Monde

Le vade-mecum d'al-Qaida

Suivez le guide dans ce qu'il reste du réseau terroriste d'Oussama Ben Laden, tué par dans la nuit de dimanche à lundi.

Temps de lecture: 10 minutes

Le fondateur et chef historique d'al-Qaida, Oussama Ben Laden, a été tué dimanche 1er mai, au Pakistan, lors d'une opération commando des forces spéciales américaines près de la capitale Islamabad. Barack Obama a annoncé sa mort lors d'une allocution solennelle, en direct depuis la Maison-Blanche, à 5h30 (heure française) ce lundi matin. «Ce soir, je suis en mesure d'annoncer aux Américains et au monde que les Etats-Unis ont mené une opération qui a tué Oussama Ben Laden, le dirigeant d'al-Qaida, un terroriste responsable du meurtre de milliers d'innocents», a déclaré le président américain. Il a précisé que Ben Laden a été tué à Abbottabad, une ville située au nord d'Islamabad.

Cette mort met fin à dix ans de traque après les attentats du 11-Septembre, «Justice est faite», a affirmé Barack Obama, tout en prévenant ses compatriotes que la nébuleuse terroriste continuerait à essayer de s'en prendre aux Etats-Unis malgré la mort de son chef. En dépit de l'invasion de l'Afghanistan fin 2001 et du renversement du régime des talibans qui abritait la direction d'Al-Qaida, Ben Laden avait jusqu'ici échappé à la capture et même aux tentatives de localisation.

Nous republions à cette occasion un article publié en mai 2010.

Foreign Policy, partenaire de Slate, a décidé d'offrir à ses lecteurs la première analyse exhaustive de la situation de l'organisation: le vade-mecum d'al-Qaida, un compte-rendu détaillé de l'évolution de sa hiérarchie, de ses méthodes et de sa stratégie au cours des dix dernières années; un aperçu, aussi, de ce qu'elle pourrait devenir.

» Lire l'introduction

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La hiérarchie

La stratégie de relations publiques

Mais où se cache Ben Laden?

Après Ben Laden

Terroristes kamikazes

Numéro 3, job le plus dangereux du monde

Les attentats manqués

Les attaques de drones

Les alliés d'al-Qaida

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LA HIÉRARCHIE

Difficile de donner une définition exacte du concept de «combattant d'al-Qaida». Le cercle rapproché compte assez peu de combattants (ils étaient environ 200 en 2001, et on n'en dénombrait plus qu'une centaine en 2009, selon les responsables des renseignements); ces derniers prêtent directement allégeance à Oussama ben Laden lors d'un serment sacré, le «bayat». Au cœur du réseau al-Qaida (aujourd'hui basé au Pakistan), on trouve ensuite plusieurs centaines d'«agents libres» étrangers, principalement Arabes et Ouzbek; selon un responsable des renseignements américains, «ils sont combattants à part entière, sans en avoir le titre». L'échelon suivant est occupé par les militants pachtounes; les agents étrangers se marient parfois avec les membres de leurs tribus.

LA STRATÉGIE DE RELATIONS PUBLIQUES

La branche média d'al-Qaida, al-Sahab («Les Nuages» en arabe), est une experte du système D. Sans grands moyens logistiques, al-Sahab parvient à se faire entendre chez ses alliés idéologiques et géographiques («de Kaboul à Mogadiscio», pour reprendre le titre d'une déclaration faite en février 2009 par Zawahiri); opportuniste, elle en profite pour revendiquer les actions terroristes des militants jihadistes du monde entier. Elle diffuse principalement des déclarations de personnalités, des films documentaires, ou des vidéos de félicitations pour saluer un attentat militant.

MAIS OÙ SE CACHE BEN LADEN? DEMANDEZ À LA CIA!

J'ai une excellente idée de l'endroit où se cache [Ben Laden]

Porter J. Gross, directeur de la CIA, 22 juin 2005

Tout comme vous, nous continuons de penser qu'Oussama ben Laden est vivant. Nous continuons de penser qu'il se cache sans doute dans les zones tribales du Pakistan.

John Krigen, Deputy Director for Intelligence de la CIA, 11 juillet 2007

Et Ben Laden? Comment se fait-il que nous ne l'ayons toujours pas arrêté ou tué? Tous ceux qui connaissent la frontière pakistano-afghane savent à quel point ce terrain est rude et inaccessible.

Michael Hayden, directeur de la CIA, 13 novembre 2008

Oussama ben Laden et son premier lieutenant, Ayman al-Zawahiri, se cachent «dans les zones tribales au nord du Pakistan, dans le Nord-Waziristan, ou quelque part dans la région».

Leon Panetta, directeur de la CIA, 17 mars 2010

APRÈS BEN LADEN

Dans sa jeunesse, Oussama Ben Laden était si pieux que les autres enfants évitaient de dire des grossièretés ou de raconter des plaisanteries déplacées en sa présence. Cette dévotion devait, plus tard, se transformer en haine fanatique. «Tout musulman ayant au fond de son cœur fait la part des choses hait les Américain, les juifs et les chrétiens», a-t-il ainsi affirmé lors d'une interview accordée à Al Jazeera en 1998. «Cela fait partie de nos croyances et de notre religion.»

Aujourd'hui, Ben Laden exerce un contrôle presque total sur les membres d'al-Qaida; le serment d'allégeance («bayat») en est le meilleur exemple. Plusieurs fidèles ont décrit la première rencontre avec le maître comme une expérience spirituelle intense, et disent éprouver de l'amour pour lui.

En dépit des rumeurs persistantes portant sur sa santé (on parle de graves problèmes de reins), tout tend à prouver qu'il est toujours en vie, et qu'il toujours à la tête d'al-Qaida. Depuis le 11 septembre, Ben Laden diffuse régulièrement des cassettes audio et vidéo dans lesquelles il commente l'actualité; il félicitait ainsi dernièrement l'auteur de l'attentat raté du jour de Noël 2009. Dans une cassette de 2007, il avait même fait teindre en noir sa barbe poivre et sel —ce qui laisse penser que le terroriste saoudien ne craint pas, l'âge venant, de céder à quelques accès de coquetterie.

Qui prendra le relais lorsque Ben Laden disparaîtra pour de bon? Abou Yahya al-Libi, le jeune et très médiatique théologien radical de l'organisation, est l'un des successeurs potentiels. Mustafa Abu al-Yazid, qui fut l'un des premiers membres du conseil de la choura d'al-Qaida, et qui dirigeait la branche afghane, comptait également parmi les prétendants (mais il a été tué en mai 2010 dans une attaque de drone). Certains fils de Ben Laden pourraient eux aussi entrer dans la course; ils ont été élevés dans l'idéologie du père. Sur une vidéo de mariage daté du 10 janvier 2001, on peut entendre l'un de ses fils, alors âgé de 8ans, tenir ces propos: «Le jihad est dans ma tête, dans mon cœur, il coule dans mes veines. Aucune peur, aucune intimidation ne pourra jamais arracher ce sentiment à mon corps et à mon esprit.»

TERRORISTES KAMIKAZES

Qui sont ces hommes et ces femmes prêts à sacrifier leur vie pour al-Qaida? En Afghanistan —le nouveau point chaud des attentats-suicides, la plupart des kamikazes viennent de la frontière est. Ils sont jeunes, peu instruits, souvent recrutés dans les madrasas pakistanaises; une étude des Nations Unies datant de 2007 note qu'ils ne sont motivés par aucune cause en particulier. On pense que la religion, la sécurité, le nationalisme et la peur du déshonneur jouent tous un rôle moteur. En Irak, même scénario: les auteurs d'attentats kamikazes n'ont pas grandi sur place. Dans une étude qui fait autorité (Suicide Bombers in Iraq), Mohammed Hafez affirme qu'en Irak, jusqu'en 2006, sur 139 kamikazes «connus», on dénombrait 53 Saoudiens et seulement 18 Irakiens (le reste étant originaire d'autres pays arabes ou d'Europe).

NUMÉRO 3 D'AL-QAIDA, LE JOB LE PLUS DANGEREUX DU MONDE

Lorsqu'on compare la liste des terroristes les plus recherchés d'aujourd'hui à celle de 2001, un chiffre ressort: celui des «Numéro 3 d'al-Qaida» ayant perdu la vie (ou leur liberté).

Morts

  • Mohammed Atef — Nationalité: Egyptien — Cause de la mort: tué par un drone en Afghanistan, novembre 2001.
  • Hamza Rabia — Nationalité: Egyptien — Cause de la mort: tué par une frappe de drone dans le Nord-Waziristan, novembre 2005 — Rôle au sein d'al-Qaida: commandant des opérations internationales.
  • Abou Laith al-Libi — Nationalité: Libyen —  Cause de la mort: tué par une frappe de drone dans le Nord-Waziristan, janvier 2008 — Rôle au sein d'al-Qaida: commandant militaire sur le terrain et porte-parole.
  • Cheikh Saïd al-Yazid (aussi nommé Cheikh Saed al-Masri) – Nationalité: Egyptien – Cause de la mort: tué avec sa femme et ses trois filles, probablement dans une attaque de drone dans une zone tribale au Pakistan, probablement en mai 2010. Rôle au sein d'al-Qaida: jusqu'aux attentats du 11-Septembre, il dirigeait le comité des finances et supervisait les communications de Ben Laden avec les différents centres d'al-Qaida en Afghanistan. Depuis, il était supposé servir d'intermédiaire pour s'adresser à Oussama ben Laden et Ayman al-Zawahiri.
  • Cheikh Fateh – Nationalité: Egyptien – Cause de la mort: tué par un missile tiré par un drone américain dans le nord-ouest du Pakistan, le 25 septembre 2010. Il avait succédé, selon les militaires pakistanais, à l'Egyptien Moustafa Abou al-Yazid, considéré alors comme le numéro 3 d'al-Qaida et le chef du réseau en Afghanistan. 

Arrêtés

  • Saif al-Adel — Nationalité : Egyptien — Capturé: en Iran, en 2003 ; il est aujourd'hui assigné à résidence — Rôle au sein d'al-Qaida: Commandant militaire.
  • Khalid Sheikh Mohammed — Nationalité: Pakistanais, né au Koweït — Capturé au Pakistan, en 2003, il a été placé en détention provisoire et sera jugé aux Etats-Unis — Rôle au sein d'al-Qaida: organisateur des attaques du 11 septembre 2001.
  • Abou Faraj al-Libi —Nationalité: Libyen — Capturé au Pakistan en 2005, aujourd'hui en détention à Guantanamo — Rôle au sein d'al-Qaida: responsable des opérations terroristes, successeur de Khalid Sheikh Mohammed.

Ils courent toujours

  • Abou Yahya al-Libi — Nationalité: Libyen — Opère sans doute dans la région de la frontière pakistano-afghane — Rôle au sein d'al-Qaida: porte-parole.

LES ATTENTATS MANQUÉS

Depuis 2004, la majorité des projets d'attentats visant les pays occidentaux ont été préparés par des terroristes entraînés ou dirigés par des groupes jihadistes implantés le long de la frontière pakistano-afghane. Mais depuis deux ans, de plus en plus de recrues originaires d'Occident rejoignent les alliés d'al-Qaida dans les régions tribales pakistanaises (plutôt que d'intégrer la branche principale de l'organisation), ce qui a permis au réseau terroriste d'ouvrir plusieurs voies vers l'Ouest afin d'y envoyer ses agents et d'y préparer des attentats avec plus de facilité.

On considère qu'un projet d'attentat est «sérieux» lorsqu'il a fait dix victimes ou plus, qu'il aurait pu tuer un grand nombre de personnes si les explosifs avaient bien fonctionné, et dans les cas où les terroristes ont réussi à se procurer le matériel nécessaire à la fabrication d'explosifs sans passer par des informateurs de la police ou encore par des agents secrets infiltrés. [Informations fournies par Paul Cruickshank]

  • Les bombes à l'engrais

Cible: lieux de rencontres populaires de Londres, dont une boîte de nuit et une zone commerciale

Cerveaux: cinq

2001: Omar Khyam et quatre de ses collègues britanniques contactent al-Qaida dans la région de la frontière pakistano-afghane.

2003: les cinq terroristes reçoivent une formation en élaboration d'explosifs dans le nord-ouest du Pakistan.

Mars 2004: la police britannique arrête les cinq extrémistes.

Avril 2007: les cinq suspects sont condamnés à la prison à vie pour avoir planifié plusieurs attentats à la bombe sur le territoire britannique.

  • Les avions britanniques

Cible: sept avions de ligne à destination de l'Amérique du Nord.

Cerveaux: au moins six.

Nombre de victimes potentielles: 1.500

2005-2006: plusieurs terroristes originaires de Grande-Bretagne associés au complot se rendent dans la région tribale du Pakistan.

9 août 2006: la police britannique arrête 24 hommes liés au complot.

Septembre 2008: trois suspects sont condamnés en Grande-Bretagne pour complot visant à assassiner plusieurs personnes.

Septembre 2009: trois personnes sont condamnées pour avoir tenté de faire exploser plusieurs avions de ligne.

  • Le métro new-yorkais

Cible: les métros de New York City

Cerveaux: au moins trois

Nombre de victimes potentielles: des dizaines

Automne 2008: Najibullah Zazi (citoyen américain, ancien tenancier d'un kiosque à café de Wall Street) et deux de ses complices présumés s'entraînent dans un camp d'al-Qaida dans la zone tribale pakistanaise.

Septembre 2009: Zazi est arrêté à Denver.

Février 2010: Zazi est accusé d'avoir planifié un attentat visant les lignes du métro new-yorkais. Il plaide coupable.

Mars 2010: Voiture piégée à Times Square?

LES ATTAQUES DE DRONES

Au Pakistan, elles sont vite devenues la pierre angulaire de la politique anti-terroriste du président Obama: le nombre de drones mis en service au cours de sa première année de présidence dépasse celui des deux mandats de Bush réunis. Mais les frappes de drone sont-elle efficaces? Si l'on se base sur le nombre d'actions violentes constatées sur le terrain en 2009, les résultats sont loin d'être concluants. L'année dernière, le Pakistan et l'Afghanistan ont été frappés par un nombre record d'attaques talibanes (entre autres groupes).

Les drones font de nombreuses victimes chez les insurgés sans rôle hiérarchique important, mais les activistes ne semblent pas souffrir de ces pertes répétées. Reste que les Pakistanais ne sauraient voir les bottes américaines fouler leur sol; dans ces conditions, les frappes de drone risquent fort de demeurer l'une des seules options viables de l'administration Obama.

LES ALLIÉS D'AL-QAIDA

  • Les talibans

Membres: 25.000 en Afghanistan; des dizaines de milliers au Pakistan.

Chef: le Mollah Omar

On dénombre environ 25.000 combattants en Afghanistan et des dizaines de milliers d'autres au Pakistan, mais seuls 10% d'entre eux soutiennent le mouvement. Au Pakistan, les talibans se livrent au kidnapping, au braquage de banques, à l'extorsion, et prélèvent divers impôts illégaux (sur les bijoux, le bois de construction, auprès des minorités locales); ces activités leur rapportent des dizaines de millions de dollars qui viennent financer leurs opérations terroristes.

De l'autre côté de la frontière, les agences de renseignement pensent que les talibans d'Afghanistan gagnent entre 70 et 300 millions de dollars grâce aux très lucratifs champs de pavot; s'y rajoute une somme d'environ 106 millions de dollars provenant de donateurs étrangers (on pense en particulier au Golfe persique).

  • Al-Qaida en Irak

Membres: à son apogée, plusieurs milliers d'Irakiens, et une arrivée mensuelle de 100 combattants venus de l'étranger

Chef: Abou Omar al-Baghdadi (tué dans les environs de Tikrit le 18 avril 2010. Successeur inconnu)

Al-Qaida en Irak (AQI) a été fondé en octobre 2004 lorsqu'Abou Musab al-Zarqawi, ancien prisonnier Jordanien, prêta allégeance à Ben Laden au nom de son groupe, Tawhid wal Jihad (Monothéisme et Jihad). Zarqawi a été tué lors d'une attaque aérienne américaine en juin 2006, et AQI est désormais rattaché à l'Etat Islamique d'Irak. On sait assez peu de choses sur l'ancien dirigeant en titre de l'AQI, Abu Omar al-Baghdadi (tué dans les environs de Tikrit le 18 avril 2010); certains pensent qu'il n'était qu'un personnage, un acteur engagé pour donner une couleur plus locale à la branche irakienne du groupe. On ne sait toujours pas qui lui a succédé. L'AQI était au faîte de sa puissance en 2006 et en 2007; depuis, les milices sunnites, la pression exercée par l'armée américaine et les Forces de sécurité irakiennes l'ont condamné à la clandestinité.

  • Al-Qaida dans la péninsule arabique

Membres: entre 200 et 300

Chef: Nasir Abd al-Karim al-Wahayshi

Al-Qaida dans la péninsule arabique a été propulsée vers les sommets de la gloire l'an dernier, avec Umar Farouk Abdulmutallab et son attentat raté de Noël. Cette branche a vu le jour il y a un an à peine. Elle est née de l'alliance des activistes saoudiens et yéménites de l'organisation; une alliance devenue indispensable, étant donnée l'intransigeance du gouvernement saoudien envers al-Qaida. Le groupe est dirigé par Nasir Abd al-Karim al-Wahayshi, un trentenaire yéménite, qui a combattu en Afghanistan et a pris part à la bataille de Tora Bora, en décembre 2001. On pense qu'il a travaillé sous les ordres directs d'Oussama ben Laden.

Peter Bergan, Katherine Tiedemann

Traduit par Jean-Clément Nau

À LIRE ÉGALEMENT SUR AL-QAIDA: Pourquoi il ne faut pas encore détruire al-Qaida et Pourquoi n'y a-t-il pas eu un autre 11-Septembre

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