Société

Il faut dépassionner l'affaire Sarah Halimi

[BLOG You Will Never Hate Alone] Aussi émus et scandalisés que nous soyons par le sort réservé à Sarah Halimi, nous n'avons d'autre choix que d'accepter le dernier avis de la Cour de cassation.

À l'infini nous pourrions disserter au sujet de la responsabilité pénale ou non du meurtrier de Sarah Halimi. | martin_vmorris <a href="https://www.flickr.com/photos/martin55/49430757858/in/photolist-2ij2yaQ">via Flickr</a>
À l'infini nous pourrions disserter au sujet de la responsabilité pénale ou non du meurtrier de Sarah Halimi. | martin_vmorris via Flickr

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Comme tout un chacun, la tragédie survenue à Sarah Halimi m'a profondément bouleversé. Sa mort fut un calvaire abominable qui doit tout autant à sa condition de juive qu'au délire d'un homme traversé de visions démoniaques, les deux se confondant pour aboutir à un meurtre d'une sauvagerie sans nom. À ce titre, je comprends tout à fait que la décision récente de la Cour de cassation confirmant l'irresponsabilité du meurtrier puisse étonner voire choquer.

Pour autant, je ne crois pas qu'il soit bon de la discuter de trop ou d'y voir une certaine forme de mansuétude face à ce qui serait une résurgence de l'antisémitisme en France. De tout temps, la question de la responsabilité pénale et de ses limites a été une affaire délicate où aux arguments des uns répondent les affirmations des autres, batailles d'experts dont on ne compte plus les avis divergents ou les interprétations opposées. À l'infini nous pourrions disserter au sujet de la responsabilité ou non de Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi, sans jamais parvenir à une conclusion satisfaisante.

Il en est ainsi quand on s'essaye à comprendre ce qui par nature restera toujours une énigme, cette zone grise pleine de chausse-trappes, de béances, de replis caverneux où barbote l'esprit humain à l'heure où il se retrouve sous la proie de pulsions meurtrières surgies des souterrains de son être. Il ne saurait y avoir de science exacte ou d'avis définitifs lorsque l'on en vient à appréhender les ressorts à l'œuvre à l'instant où la pensée, emportée dans des convulsions délirantes, cède à l'acte, quand d'une manière soudaine et irrépressible, l'appel à tuer devient comme une évidence, la seule échappatoire à une angoisse qui menace de tout emporter sur son passage.

Je ne suis pas juriste et encore moins psychanalyste, mais je suis un de ceux qui pensent que la littérature permet d'approcher au plus près la vérité de ces états paroxystiques. Probablement que les romans de Dostoïevski ont plus participé à la connaissance de la psychologie des profondeurs que mille essais sur cette même problématique. Il en va de même pour L'Homme sans qualités, le roman monstre de Robert Musil où précisément, à travers le personnage de Moosbrugger, l'écrivain autrichien tente de dessiner les liens que tissent la folie avec la question de la responsabilité pénale.

Il faut prendre les décisions de justice comme elles sont, humaines et donc nécessairement imparfaites. Dans l'affaire qui nous intéresse, sur la base d'expertises contradictoires, des hommes et des femmes ont conclu à l'irresponsabilité pénale de l'accusé. Certains trouveront cette décision absurde et infamante, d'autres loueront sa sagesse et son objectivité avec comme objet de discorde, l'usage du cannabis et son effet produit. Une nouvelle fois, je n'ai aucune compétence pour donner un avis pertinent sur cette problématique. Je me contenterai juste de mentionner que ce jugement rendu par la Cour de cassation, aussi discutable soit-il, ne possède en soi, ni de près ni de loin, un caractère qui pourrait laisser à penser qu'il minore le caractére antisémite du meurtre.

D'y voir autre chose que ce qu'elle est, à savoir une décision de justice rendue en conscience par des magistrats habilités à le faire, au regard des articles de loi afférents, reviendrait à jeter sur ces derniers un soupçon qui n'a pas lieu d'exister. Essentialiser la justice au motif que la victime serait de confession juive ne peut mener qu'à une impasse délétère où l'émotion céderait le pas au caractère univoque de la chose rendue.

Je comprends tout à fait l'amertume de ceux qui auraient aimé voir l'accusé répondre de ses actes devant une cour d'assises. J'entends le raisonnement de ceux qui regrettent une occasion manquée de rappeler la persistance du sentiment antisémite et de ses ravages dans la société française. Je réalise tout à fait combien quand on porte en soi, au plus profond de son être, le souvenir des tragédies passées, on peut se montrer d'une intransigeance implacable quand nous avons l'impression d'assister à un bégaiement de l'histoire, à une répétition sinistre des abominations d'hier.

Tout cela, je le conçois tout à fait –ces sentiments, je peux même parfois les éprouver– mais envers et contre tout, je demeure persuadé qu'il nous faut accepter les décisions de justice quand bien même elles viennent heurter de plein fouet notre sensibilité aussi légitimement exacerbée soit-elle. Ce qui ne veut pas dire que cette affaire et ses démêlés ne doivent pas permettre aux autorités judiciaires d'affiner si nécéssaire les articles de loi quand, au forfait commis, se mêlent des problèmes d'addiction et d'accoutumance aux drogues.

Ce serait peut-être la seule manière pour que le supplice enduré par Sarah Halimi ne reste pas cette déchirure qui continuera pendant longtemps encore à transpercer notre cœur meurtri.

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