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Les robots ne vont pas vous voler votre travail

Du moins, pas tout de suite.

Une infirmière face à un robot, construit pour aider à effectuer des tests sur des patients atteints du Covid-19 en Égypte. | Khaled Desouki / AFP
Une infirmière face à un robot, construit pour aider à effectuer des tests sur des patients atteints du Covid-19 en Égypte. | Khaled Desouki / AFP

Temps de lecture: 6 minutes

En février dernier, le McKinsey Global Institute a prévu que 45 millions d'Américains (soit un quart de la population active) allaient perdre leur emploi d'ici 2030 en raison de l'automatisation. Cette hausse par rapport à l'estimation qu'avait faite le même institut en 2017 –qui prévoyait alors que le nombre d'emplois perdus en raison de l'automatisation serait de 39 millions– s'explique par les bouleversements économiques engendrés par le Covid-19. Historiquement, c'est durant les périodes de récession que les entreprises ont tendance à remplacer les employés qu'elles licencient par des machines.

La crainte d'un chômage de masse dû aux robots devient de plus en plus courante. Andrew Yang, qui est actuellement en tête des sondages pour l'investiture démocrate à la mairie de New York, en avait fait un point majeur de sa campagne peu orthodoxe pour l'élection présidentielle de 2020. Le manque d'emplois à venir justifiait, selon lui, que le gouvernement donne à chaque américain un revenu mensuel de 1.000$.

Toutefois, si l'on regarde de plus près les études qui prédisent une perte d'emploi due à l'automatisation, les raisons de s'alarmer semblent moins évidentes (ce qui n'est pas une raison pour ne pas prendre en considération l'utilité d'un revenu universel de base). Dans l'ensemble, les robots ne vont pas venir vous voler votre travail –du moins, pas tout de suite.

Robot n'est pas synonyme d'automatisation

Pour commencer, il y a une énorme différence entre «robots» et «automatisation». Autrefois, beaucoup d'ascenseurs étaient actionnés par des personnes. À Washington D.C., on en trouvait encore dans les années 2010. Ils n'ont pas été remplacés par des robots humanoïdes qui écoutent les demandes des passagers avant d'actionner un levier de leurs doigts mécaniques. Au lieu de cela, ils furent remplacés par des rangées de boutons sur lesquels les utilisateurs appuient eux-mêmes. L'automatisation fonctionne beaucoup comme cela.

C'est une distinction qui importe, parce que ce type d'automatisation arrive tout le temps. Au cours de ces 150 dernières années, les États-Unis sont passés d'un pays de fermiers à un pays d'ouvriers, pour finalement devenir un pays de cols blancs et d'employés du tertiaire. Une grande partie de ces changements ont été dus à l'automatisation du travail. Toutefois, même si les économies locales ont été perturbées et si les récessions ont entraîné des périodes de chômage, il n'y a jamais eu de pénurie chronique et structurelle d'emplois à l'échelle nationale. Les nouvelles inventions créent de nouveaux marchés et, avec eux, de nouveaux emplois.

Le scénario apocalyptique d'un chômage de masse dû aux robots repose sur l'hypothèse que la prochaine vague d'automatisation technologique sera fondamentalement différente. On pense notamment que l'intelligence artificielle avance si rapidement que les nouveaux emplois ne pourront pas suivre le rythme. Les gens en viennent à se demander si notre propre espèce, si fragile et imparfaite, sera nécessaire encore longtemps.

Pourtant, ce n'est pas ce qu'annoncent les prévisions. Le grand boom des prédictions de pertes d'emplois dues aux robots remonte à 2013, époque à laquelle deux chercheurs de l'université d'Oxford estimèrent que 47% des emplois américains étaient «à risque» d'être informatisés. Cette étude fut très largement citée, y compris dans un rapport officiel de la Maison-Blanche.

Les machines effectueront une part croissante de tâches de routine, ennuyeuses, et les travailleurs se mettront à effectuer des tâches plus humaines.

Pour parvenir à cette estimation, un groupe d'experts en apprentissage machine avait examiné soixante-dix professions, qui avaient chacune été analysées par le ministère américain du Travail et décomposées en une dizaine de tâches et compétences différentes. Les experts avaient alors analysé chaque tâche en se prononçant, de manière éclairée, sur la possibilité, ou non, de l'automatiser, en tenant compte des dernières avancées technologiques, des immenses quantités de données qui abreuvent les intelligences artificielles modernes et des futurs progrès techniques qui n'avaient pas encore eu lieu. Ils s'étaient servis de ces estimations pour écrire un algorithme capable d'analyser automatiquement des centaines d'autres métiers.

Cependant, «à risque» d'être automatisées ne voulait pas dire, selon cette analyse, «menacées par l'automatisation». Cela voulait dire qu'elles pourraient, en théorie, être automatisées si quelqu'un ayant accès aux dernières innovations en matière d'intelligence artificielle avait assez de temps et d'argent pour s'en charger. C'est une énorme différence. Peut-être que les ingénieurs de Boston Dynamics –qui produisent ces célèbres vidéos virales de robots horriblement humanoïdes– pourraient dépenser des millions de dollars pour construire une version robotisée du type qui distribue des prospectus au coin de la rue pour des pizzas en promotion… Mais ils ne le feront pas, tout simplement parce que personne n'irait acheter ce robot alors qu'il suffit d'embaucher un type à 10$ de l'heure pour le faire.

 

Changer les emplois, pas les faire disparaître

Le récent rapport McKinsey prend cela en compte, en estimant le coût du développement de nouvelles technologies d'automatisation, le coût du travail qu'elles remplaceraient et le temps qu'il faudrait pour qu'elles se généralisent. C'est pourquoi son estimation se monte à 27% des emplois, et non 47%. Mais ici aussi, il convient de bien lire les définitions.

McKinsey prévoit que sur les 49,1 millions de personnes qui verront leur emploi remplacé par l'automatisation, 32 millions conserveront le même métier et 2,2 millions demeureront dans la même catégorie professionnelle. Le nombre de personnes qui perdront réellement leur emploi dans le sens qu'ils devront «trouver une nouvelle profession» ne sera que de 14,9 millions. Soit 9%, et non 27% de la population.

Cela s'explique par le fait que l'automatisation est plus susceptible de modifier les emplois que de les faire disparaître. Les machines effectueront une part croissante de tâches de routine, ennuyeuses, et les travailleurs se mettront à effectuer des tâches plus humaines. Lorsque des centaines de milliers de distributeurs automatiques de billets ont été installés dans les années 1980 et 1990, le nombre de guichetiers de banque a augmenté et non diminué, parce que la réduction des coûts de main-d'œuvre a permis aux banques d'ouvrir davantage d'agences. Aujourd'hui, les machines peuvent compter l'argent et les employés se sont mis à vendre des crédits auto. L'automatisation fonctionne particulièrement bien lorsque les travailleurs sont associés à la conception de leurs nouvelles relations avec les machines.

Une perte d'emplois de 9%, c'est encore beaucoup. Mais la quantité optimale n'est pas zéro. Le rapport sur l'automatisation de la Maison-Blanche indique que l'économie américaine voit environ 6% des emplois être supprimés tous les trois mois, en raison du processus normal de baisse d'activité ou de la fermeture de certaines entreprises, tandis que d'autres ouvrent ou se développent.

Même les tâches de routine les plus simples peuvent s'avérer terriblement difficiles à automatiser.

Les pertes d'emplois dues à l'automatisation sont une réalité. En 2020, les économistes Daron Acemoglu et Pascual Restrepo ont constaté que chaque nouveau robot industriel installé aux États-Unis entre 1990 et 2007 a remplacé 3,3 travailleurs, même si l'on tient compte des effets économiques positifs des entreprises plus productives. Bien que faible (un employé sur 1.000), l'impact était bien réel.

La question de savoir qui risque d'être remplacé est également délicate. L'automatisation qui a eu lieu au XIXe siècle a mis fin à la carrière des artisans qualifiés les mieux payés. Au XXIe siècle, ce sont les ouvriers les moins qualifiés et les moins payés qui sont les plus touchés. Les récessions les plus récentes ont été brutales pour les familles de la classe ouvrière, qui, bien souvent, ne parviennent jamais à regagner le terrain économique perdu. Le système d'assurance chômage américain est inadapté, dépassé et il doit être réformé de toute urgence.

Les scénarios les plus fous sur une dystopie robotique naissent souvent d'une mauvaise métaphore. Beaucoup de nouveaux systèmes d'intelligence artificielle ont recours à une méthode appelée «réseaux neuronaux», ce qui, pour beaucoup de gens, signifie «pareil à un cerveau humain». Pourtant, ils n'ont rien de semblable à un cerveau humain. L'intelligence artificielle, c'est de la reconnaissance de schémas. Alexa, par exemple, sait que certains sons prononcés correspondent à la suite de lettres «beurre de cacahuète», ce qui est certes formidable, mais elle n'a aucune idée de ce que signifie «beurre de cacahuète» et ne saurait dire que c'est délicieux sur du pain, accompagné de confiture.

Les prévisions les plus pondérées concernant les pertes d'emplois dues à l'automatisation reposent sur un enchevêtrement de prédictions liées les unes aux autres qui pourraient ne pas se réaliser. Il y a cinq ans, il semblait que nous étions sur le point de voir les taxis et les camions de marchandises robots se généraliser. Aujourd'hui, nous en sommes toujours au même point. Le passage du «presque assez bien» au «assez bien» peut prendre beaucoup de temps.

Même les tâches de routine les plus simples, qui sont au cœur de la plupart des scénarios sur les pertes d'emplois dues aux machines, peuvent s'avérer terriblement difficiles à automatiser. Amazon dispose de centaines de milliers de robots à la pointe de la technologie dans ses entrepôts, mais ce ne sont pas des androïdes qui prennent les articles dans les rayons. Les robots sont les rayons, qui se déplacent jusqu'aux humains, qui eux, continuent de choisir.

Ces mouvements simples et précis des yeux et des mains qui savent reconnaître et saisir d'innombrables formes en trois dimensions sont le fruit de millions d'années d'évolution. Les scientifiques et les ingénieurs se donnent beaucoup de mal pour parvenir à les imiter, mais ils ne pourront pas résoudre tous ces problèmes d'un seul coup, ni dans les neuf prochaines années, ni même avant très longtemps.

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