Politique

Les bévues de Macron offrent un boulevard à Marine Le Pen pour 2022

Chronique d'une fin de mandat français par un Américain.

Marine Le Pen, à Nanterre, le 29 janvier 2021. | Thomas Samson / AFP
Marine Le Pen, à Nanterre, le 29 janvier 2021. | Thomas Samson / AFP

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Emmanuel Macron a souvent semblé invoquer la teneur et les stéréotypes des discours de Charles de Gaulle dans son allocution nationale télévisée du mercredi 31 mars. «Un an d'efforts pour tous. D'angoisse, de sacrifices. De fierté aussi et d'actes héroïques [...] où nous avons résisté et appris» a psalmodié le président français. Il est très vite devenu évident que l'invocation des mânes de de Gaulle était un calcul aiguillonné par le désespoir. La France, a annoncé Macron, allait être soumise à une série de mesures de santé publique au milieu d'une nouvelle vague de cas de coronavirus, notamment la fermeture des écoles pendant un mois et celle de tous les commerces non-essentiels. Il s'agit du troisième confinement national en France depuis le mois de mars 2020.

Cette décision marque une année parsemée d'erreurs commises par Macron dans ses tentatives de maîtriser la pandémie. Elle pourrait également s'avérer être un virage, non seulement pour les perspectives de la présidence Macron, mais pour celles de la République française tout entière. Si ce dernier confinement devait échouer ou cafouiller, il se pourrait bien que l'année prochaine, le palais de l'Élysée ait pour occupante Madame la présidente Marine Le Pen.

Une gestion calamiteuse

Tous les confinements sont tristes, mais chaque confinement est triste à sa façon. Inspiré par les mesures déjà prises en Chine, en mars de l'année dernière, l'objectif du premier confinement était: «Zéro Covid.» Particulièrement strict, il avait vu fermer les écoles, les bureaux, les restaurants, les commerces et les marchés, à l'exception de ceux considérés comme essentiels. Malgré des conséquences économiques et sociales cataclysmiques, la grande majorité des Français avaient soutenu ces mesures. Les récompenses semblaient à la hauteur des sacrifices. Lorsque le confinement a été partiellement levé au bout de deux mois, le nombre de malades et de morts en France avait nettement chuté.

Mais la réouverture a été de courte durée. Au début de l'automne, l'incidence des cas positifs –sans doute alimentés par les traditionnelles grandes vacances et le relâchement dans les protocoles sanitaires de base– s'est mise à remonter. Région après région, les magasins et les restaurants qui avaient rouvert à peine quelques mois auparavant ont de nouveau dû baisser le rideau de fer. Fin octobre, lorsque cette approche parcellaire a démontré qu'elle ne suffisait pas à juguler la vague de contaminations, Macron a annoncé un second confinement, dans une version allégée. Inquiet à l'idée que l'économie ne se relève pas d'un second confinement strict et que sa popularité ne se remette pas de l'imposition de contraintes aussi draconiennes, cette fois, il a laissé les écoles ouvertes et élargi la liste des commerces essentiels. L'idée n'était plus d'écraser le virus, mais de vivre avec.

Les Français ont réussi cette cohabitation délicate avec le virus pendant plusieurs semaines, incitant Macron à alléger les restrictions pour les fêtes de fin d'année. Mais lorsqu'un nouveau variant plus virulent est apparu début janvier, cet arrangement est devenu ingérable. Porté aux nues par son équipe de communication pour sa maîtrise des études scientifiques, Macron a décidé d'ignorer ses conseillers en santé qui comprenaient les désastreuses conséquences du nouveau variant et l'exhortaient à imposer un troisième confinement. Au lieu de cela, il a prescrit des couvre-feux et des restrictions au cas par cas en fonction des régions, pariant que cela suffirait à tenir le virus à distance en attendant l'arrivée des vaccins.

Macron a perdu son pari. Alors qu'il était en pleine course à la troisième voie, entre ouverture absolue et fermeture totale, la calamiteuse gestion logistique du gouvernement lui a collé un coup de batte dans les rotules. Si le manque de masques pour le personnel médical avait servi d'étalon à la pagaille gouvernementale en mars 2020, l'absence de congélateurs pour conserver le vaccin est devenue la nouvelle échelle de mesure de l'incohérence administrative.

Entre la fin janvier, lorsque Macron s'est embarqué dans cette troisième voie, et fin mars, il y a eu près de 20.000 nouveaux décès liés au Covid-19. Avec moins de 5% des Français ayant reçu les deux doses de vaccin, le président-épidémiologiste a dû céder devant la réalité. L'homme qui s'est un jour qualifié lui-même de «maître des horloges» a concédé que le virus était désormais le vrai maître du temps.

La «règle commune»

Tant de choses dépendent désormais du rythme de la vaccination et du moment choisi pour ce nouveau confinement. Si la première s'avère trop lente et le second trop tardif, le coût en vies humaines sera incalculable. Ce qui est plus facile à calculer, en revanche, c'est le coût politique. Dans un an aura lieu le premier tour de l'élection présidentielle. Au cours des derniers mois, presque tous les sondages ont annoncé une redite de l'élection de 2017, où le centriste Macron avait fait face au second tour à Marine Le Pen, leader du parti d'extrême droite Rassemblement national.

En 2017, le match était joué avant d'avoir débuté. Bien que ni la droite, ni la gauche n'a eu confiance en un Macron inconnu qui n'avait pas encore fait ses preuves, il bénéficiait néanmoins de leur peur et de leur aversion communes pour Le Pen, ainsi que de la performance catastrophique de cette dernière lors de leur unique débat télévisé. Les trois-quarts des électeurs se sont présentés aux urnes et Macron a récolté 66% des voix, contre 34% pour Le Pen.

 

Marine Le Pen et Emmanuel Macron, lors du débat de l'entre-deux-tours, en 2017. | Éric Feferberg / AFP

Si le succès de Macron a été décisif, il n'a pas été la victoire écrasante dont on a pu avoir l'illusion de l'extérieur. En 2002, le conservateur Jacques Chirac avait remporté plus de 82% des voix au second tour contre l'autre Le Pen, Jean-Marie, père belliqueux de Marine et fondateur du Front national, parti antisémite, anti-européen et antimusulman. Lorsqu'elle lui a succédé en 2011, Marine a lancé un processus de dédiabolisation du parti dont les républicains respectables ne s'abaissaient alors pas à prononcer le nom. Elle a déclaré que la Shoah, dont son père avait plusieurs fois mis en doute la réalité ou qu'il avait réduite à un «détail de l'histoire», était «le summum de la barbarie» et a purgé le parti de ses négationnistes et autres révisionnistes (son père, qui a refusé de revenir sur ses propos négationnistes, s'est également vu montrer la porte).

Lorsqu'il est question d'islam et d'immigration, chez Le Pen, plus ça change, moins ça change.

Après avoir rebaptisé le parti Rassemblement national, un nom moins agressif et plus inclusif, Marine Le Pen met désormais en avant l'attachement de son parti pour la République –mais pas pour toutes ses lois, notez bien– comme étant la «règle commune». En bref, Le Pen a reconnu le caractère sacré de la Constitution, tout en se réservant le droit de la fignoler ici ou là. Lorsqu'elle s'est rendu compte que les Français étaient davantage attachés à l'euro qu'elle ne l'avait anticipé, elle a cessé de réclamer à grands cris un Frexit et prétend désormais que son objectif est de «réformer» l'Union européenne de l'intérieur. Ceci dit, lorsqu'il est question d'islam et d'immigration –les deux termes ne faisant qu'un dans le discours de l'extrême droite– chez Le Pen, plus ça change, moins ça change. Elle a promis d'organiser un référendum sur la refonte des lois sur l'immigration si elle accédait à la présidence, et proposé un projet de loi visant à interdire le port du voile en public –vêtement dont elle insiste sur le caractère «islamiste».

Pour le moment, les propositions de Le Pen ne sont que cela –des propositions. Mais sera-ce encore le cas l'année prochaine? Selon un déluge de sondages récents, un nouveau match entre Macron et Le Pen en 2022 semblerait bien plus serré qu'il y a cinq ans. Dans une enquête conduite par l'Ifop, Le Pen bat Macron au premier tour –28% contre 24%–et finit seconde de très près au second tour; 53% à 47%. Cette réduction de l'écart entre eux reflète ce que l'Ifop identifie comme la «fragilisation» du front républicain qui avait commencé à se former autour de Chirac il y a vingt ans. Les efforts de dédiabolisation de Le Pen et la «normalisation» croissante dans le discours politique des positions autrefois extrêmes de son parti sont en train de faire glisser le paysage politique du pays.

Une machine infernale

Le Pen a bénéficié de la pandémie, peut-être plus qu'aucun des autres principaux acteurs de la politique française. Dans un livre polémique qu'elle a publié l'été dernier, intitulé Le Livre noir du coronavirusDu fiasco à l'abîme, elle descend en flèche la réaction maladroite du gouvernement face à la crise. Elle affirme que la pandémie a révélé la «faillite des élites» et leur idéologie «ultralibérale» –thèmes chers au mouvement de protestation des «gilets jaunes» qui avait paralysé le gouvernement Macron pendant les mois qui avaient précédé la pandémie. Elle a qualifié le troisième confinement de «Waterloo» macronien. Mais Le Pen doit gérer un délicat équilibre: conserver sa base mécontente tout en ratissant plus large dans le reste de l'électorat.

Il est révélateur que Macron ait choisi de donner un coup de main à Le Pen. Depuis des mois, les partis de tout le spectre politique, de La France insoumise, à l'extrême gauche, à Les Républicains à droite, pestent que Macron, trop affaibli pour affronter leurs propres candidats, a fait tout son possible pour susciter une nouvelle confrontation avec Le Pen. Ces mêmes partis, cependant, portent une large part de responsabilité dans ce qui leur arrive. Le Parti socialiste, qui a connu une défaite cinglante lors de l'élection de 2017, est désormais l'ombre de lui-même, et aucun autre mouvement n'a la capacité d'unir la gauche. En ce qui concerne la droite, la défaite tout aussi mortifiante de Les Républicains en 2017, suivie par une série de scandales dans laquelle d'éminentes personnalités comme Nicolas Sarkozy et François Fillon se sont retrouvés empêtrés, lui a sans doute également porté un coup fatal.

Lors d'un discours aux membres de son parti, La République en marche, Macron a insisté: «Vous n'avez qu'un opposant sur le terrain: c'est le Front national. Il faut confirmer cette opposition, car ce sont les Français qui l'ont choisie.» Si Macron a proféré ces paroles d'encouragement avant que la pandémie (et le chapelet de bévues et d'erreurs du gouvernement) ne se soit imposée au cœur de la vie française, il s'est débrouillé pour faire en sorte que le public ne perde pas Le Pen de vue. Mi-février, il a accepté la tenue d'un débat télévisé entre Le Pen et son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, connu pour sa fermeté.

Non seulement ce débat a montré que la revanche Macron-Le Pen était inévitable, mais elle a également permis à Macron de faire du pied aux électeurs de sa rivale. Et cela a conduit à un moment remarquable où Le Pen, appliquée à trouver un ton républicain et présidentiel, s'est faite tacler par Darmanin qui lui a reproché d'être trop molle avec les islamistes radicaux.

 

 

Plus le temps passe et plus la stratégie cynique imposée par Macron évoque la machine infernale du film Docteur Folamour, de Stanley Kubrick, un appareil qui vise à décourager la guerre atomique en garantissant une apocalypse si quiconque en prend l'initiative. Parce qu'il a imposé comme adversaire une femme dont il pensait que la majorité des Français ne la soutiendrait jamais, Macron court désormais le risque de déclencher automatiquement une réaction électorale apocalyptique lors du scrutin de l'année prochaine.

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