Société

Les loupés du retour progressif à l'université

Le gouvernement assure qu'il est possible de revenir, depuis le 8 février, un jour par semaine sur les bancs de la fac. La réalité est souvent bien plus complexe.

Un professeur donne un cours, à l'université de Rennes 1, le 4 février. | Damien Meyer / AFP
Un professeur donne un cours, à l'université de Rennes 1, le 4 février. | Damien Meyer / AFP

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La campagne publicitaire dure cinquante-cinq secondes. Bien que masqués, des étudiants heureux discutent, s'entraident, flânent dans la bibliothèque universitaire et partagent un repas à la cantine. Posté sur le compte Twitter du ministère de l'Enseignement supérieur le 23 mars, ce clip vise à promouvoir le retour progressif des étudiants dans les universités. «Depuis fin janvier, tous les étudiants qui le souhaitent peuvent retourner en présentiel un jour par semaine dans les établissements d'enseignement supérieur», assure-t-on. Cette mesure, voulue par le président de la République, est effective depuis le 8 février.

 

Cette vidéo a néanmoins fait réagir de nombreux internautes, qui l'ont jugée trompeuse. Car, sur le terrain, la réalité est bien éloignée du souhait du gouvernement d'accélérer le retour progressif sur les sites universitaires.

Des situations disparates

Julien, 24 ans, est en dernière année de formation en apprentissage, à l'école spéciale de mécanique et d'électricité Sudria. Après plus de huit mois à suivre ses cours en ligne, le futur ingénieur a pu retourner au sein de son établissement, début mars. «Je suis favorable au retour en présentiel autant que possible, explique-t-il. Lors du premier confinement, les cours en ligne étaient supportables, mais vers le mois de juin, cela a commencé à devenir compliqué. J'avais moins d'entrain. Peu de camarades rebondissaient sur les interrogations des professeurs, la classe participait peu aux cours. Puis ça devenait trop théorique pour moi, alors que j'avais opté pour une formation en apprentissage pour le côté pratique.»

Alexandre* a lui aussi retrouvé le chemin de l'université. En licence d'histoire à l'université de Lyon III, son établissement n'a pas attendu les annonces du gouvernement pour faire revenir certains étudiants. «J'ai passé 80% des examens du premier semestre en présentiel. L'université a jugé que le présentiel était un gage de crédibilité du diplôme», raconte-il. À l'occasion de ces examens, un protocole strict a été mis en place pour garantir le respect des gestes barrières: les étudiants étaient assis à plus d'un mètre les uns des autres, toutes les sorties étaient définitives et le port du masque obligatoire jusqu'à la fin des épreuves.

Dans la pratique, le retour progressif à l'université s'avère être un réel casse-tête pour les institutions.

L'université a souhaité poursuivre cette première expérience en présentiel et a fait le choix d'un retour à temps partiel sur le site. «Désormais, dans ma promotion, nous alternons trois jours de cours sur place toutes les deux semaines», confie Alexandre, qui estime que les cours en distanciel «sont moins instructifs». Néanmoins, des disparités demeurent entre les établissements d'enseignement supérieur, voire même entre certaines facultés. À la fac des sciences de Grenoble, par exemple, les cours n'ont pas encore repris en présentiel.

Même s'il permet à certains étudiants en situation de détresse psychologique de sortir de l'isolement, dans la pratique, le retour progressif à l'université s'avère être un réel casse-tête pour les institutions. À peine réélu à la présidence de l'université de Strasbourg, Michel Deneken n'a pas manqué de faire part de ses inquiétudes. «Nous ne pourrons revenir en présentiel à 100%, ni à la rentrée prochaine ni dans un an», a-t-il confié à l'agence de presse AEF.

Changement de rythme

Ce retour nécessite une certaine réorganisation, puisque les établissements doivent respecter une jauge maximale de 20% de leur capacité d'accueil. Cette exigence a donné naissance à un enseignement dit hybride, qui consiste à alterner entre des cours à distance et ceux en présentiel, en faisant revenir certains étudiants quelques jours sur le campus.

Mais tous ne sont pas tenus de revenir à l'université. À la rentrée de septembre 2020, dans de nombreuses facultés françaises, certains se sont inscrits dans la catégorie d'étudiants en dispense de présentiel (DEP), qui correspond aux jeunes ayant quitté leur logement depuis le début de la pandémie pour retourner vivre chez leurs parents. Ceux-là suivent les cours exclusivement en ligne.

«C'est difficile de se construire une routine quand on est hybride.»
Oscar, étudiante en lettres à la Sorbonne

Même si les cours sont dispensés en présentiel, la tâche du professeur est alors double car il doit, en même temps, l'assurer en ligne. «Ce n'est pas tous les jours facile, je dois rester devant mon écran [pendant mon cours], sans bouger alors que j'aime occuper l'espace. J'ai souvent l'ordinateur sur les genoux et je dois alterner mon regard entre mes étudiants qui sont présents et ceux à la maison», explique Carole Gomez-Gauthié, professeure de lettres à l'université de Montpellier, Paul Valéry.

Oscar, étudiante en lettres à la Sorbonne (Paris IV), ne parvient pas à s'adapter à ce rythme. «Je préfère le distanciel que d'aller une demie semaine en cours. C'est difficile de se construire une routine quand on est hybride. On va à la fac une fois et on prend l'habitude d'écouter les cours en présentiel et pas derrière un écran.»

Outre ce changement de rythme, il arrive parfois de rencontrer des difficultés administratives. «Lors de notre premier jour de reprise en présentiel, nous avons eu deux cours qui se sont chevauchés. Un cours en présentiel commençait à 16h pour finir à 18h. Le cours suivant, qui était à distance, débutait dans la foulée. À cause de ce problème d'organisation, nous n'étions que trois élèves présents dans la classe. Avec ce chevauchement, plus le couvre-feu, beaucoup de camarades ont préféré rester chez eux», témoigne Alexandre.

Des enseignants en première ligne

Les enseignants, grands oubliés de cette crise sanitaire, ont eux-aussi dû se réinventer face à ces nouveaux dispositifs. Depuis le début du mois de mars, Carole Gomez-Gauthié a assuré 4 cours sur 12 en présentiel. «Pour moi, le cours en distanciel n'est pas un obstacle. J'ai toujours mobilisé la réflexivité de mes étudiants en basant mes cours sur des dossiers que je leur fournis à chaque début de semestre. Cela facilite l'enseignement à distance», estime-t-elle.

Mais pour faire face à cette situation exceptionnelle, la professeure de lettres, plutôt à l'aise avec l'informatique, a dû s'adapter lors des derniers partiels. «J'ai mis en place, sur la plateforme d'apprentissage en ligne Moodle, 90 questions, dont 30 étaient choisies de façon aléatoires et 10 selon les options des étudiants. Ainsi, même si les étudiants étaient côte à côte, la probabilité qu'ils trichent était très faible car ils n'avaient pas les mêmes questions en même temps.»

Carole Gomez-Gauthié reconnaît que ce système hybride n'est pas de tout repos. «Ce qui est difficile dans l'enseignement à distance, c'est que je fais souvent face à des écrans noirs puisque tous mes étudiants n'activent pas la vidéo», regrette-t-elle. Elle a donc mis en place une autre méthodologie: «J'ai décidé de dispenser certains de mes cours sur rendez-vous. Je les programme en petits groupes d'étudiants durant lesquels je réponds aux questions concernant les cours vidéo que j'ai au préalable mis en ligne. Cela me permet de favoriser l'interaction avec les élèves et d'assurer une meilleure formation pédagogique.»

«À la surprise générale, nous avons assisté à notre premier cours sans notre professeur.»
Une étudiante de Sciences Po Paris

Au sein du corps professoral, certains sont aussi réticents à l'idée de retourner à l'université. Les étudiants de Sciences Po Paris en spécialité Social Policy and Innovation ont dû y faire face. L'établissement avait opté dès la rentrée de septembre pour des cours exclusivement en ligne, puis pour un peu de présentiel à partir de mars. Julie* et ses cinquante-sept autres camarades inscrits dans cette formation ont donc commencé à se rendre sur le campus début mars.

«Enthousiastes, nous étions nombreux à nous rendre sur le site. Mais, à la surprise générale, nous avons assisté à notre premier cours sans notre professeur, qui l'assurait à distance. L'enseignant disait ne pas pouvoir allier les cours à distance et ceux sur le campus.» Face à la colère des étudiants qui ont jugé absurde de se rendre dans l'établissement pour suivre les cours sans professeur, l'école s'est adaptée pour dispenser deux cours en présentiel à ces étudiants toutes les semaines.

Ceux qui ne veulent pas revenir

Bien qu'ils aient envie de renouer avec la vie sociale, certains étudiants voient leur motivation entamée par ces difficultés. Dans un sondage lancé en interne par l'université de Bourgogne, 50% des élèves ont dit préférer poursuivre l'enseignement à distance.

C'est le cas de Léa Clouzot, vice-présidente des étudiants en droit à l'université de Dijon. Pourtant, dans sa promotion, en licence, les cours de droit du travail et procédure civile sont désormais assurés en présentiel pour ceux qui le souhaitent. Léa ne se souvient plus du jour où elle a mis les pieds à l'université pour la dernière fois. La jeune femme reconnaît qu'à la maison, il est difficile de dresser une distinction entre cours et repos et cours et loisirs. Néanmoins, l'étudiante n'est pas prête à retourner sur les bancs si on ne l'y oblige pas. «Il n'y a pas assez de place à la fac pour suffisamment respecter les gestes barrières et ainsi se protéger face au virus», argumente-t-elle.

Pour Carole Gomes-Gauthié, «si tous les étudiants ne sont pas vaccinés ou qu'on n'atteint pas l'immunité collective, cela va être difficile de revenir à 100% sur les sites. Car avec les contraintes de distanciation sociale actuelle, il n'y a pas assez d'espace pour accueillir tout le monde.»

*Les prénoms ont été changés.

 

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