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En un an de crise sanitaire, mes enfants ont changé

La dégradation a été insidieuse parce que très progressive.

De l'extérieur, ils donnent l'impression d'être en train de se fossiliser sur le canapé. | Josh Applegate <a href="https://unsplash.com/photos/cwGk-u9PHOo">via Unsplash</a>
De l'extérieur, ils donnent l'impression d'être en train de se fossiliser sur le canapé. | Josh Applegate via Unsplash

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Pendant longtemps, quand on me demandait comment mes enfants réagissaient à la crise sanitaire, j'avais beau réfléchir, je ne voyais qu'une réponse possible: «bien». Ils n'avaient pas l'air terrorisés ou traumatisés. On parlait calmement de la situation. Le masque les embêtait un peu mais ils s'y étaient finalement bien habitués.

La dégradation a été insidieuse parce que très progressive.

On pourrait croire que le contexte sanitaire depuis un an aurait transformé les enfants en piles électriques avec un surplus d'énergie inexploitée. Chez moi, c'est l'inverse. Ils sont de plus en plus calmes. C'est comme si les enfants étaient rentrés en eux-mêmes, partis chercher un mystérieux trésor aux tréfonds de leur être. De l'extérieur, cette quête donne l'impression qu'ils sont en train de se fossiliser sur le canapé.

Point positif: cette fossilisation se fait avec des livres. Dès le premier confinement, j'ai vu que le fils aîné, dit «le Têtard», s'était réfugié dans les bouquins. Ç'a été l'occasion pour lui de se lancer dans la lecture seul des Harry Potter. Le petit, dit «le Curly», s'est pour sa part plongé dans les BD et autres mangas. Bien sûr, au début, ils étaient assez demandeurs d'activités physiques. Il faut dire que le Têtard faisait du basket et du judo et que la brusque privation de sport a été difficile.

Mais ça, c'était il y a an. Maintenant, c'est comme si ses muscles s'étaient atrophiés –et il faut insister pour qu'il daigne s'éloigner de la maison et courir un peu.

Une résistance plus qu'une phobie

L'effet le plus visible de la pandémie, c'est ça: ils ne veulent plus sortir de la maison. Alors que moi j'étouffe et je crève d'envie d'ailleurs, eux, ils sont dans la maison-coquille.

Ce qui leur fait lever la tête, c'est quand à la radio quelqu'un dit le mot magique «confinement». «Maman? Ils ont dit confinement? On reconfine? Maintenant? Pas d'école demain?»

Et ce n'est pas que chez moi. Le phénomène a été constaté par nombre de pédopsychologues, au point qu'en octobre dernier, le New York Times se demandait dans un article intitulé «Mes enfants ne veulent plus sortir» si nous n'étions pas en train d'élever une génération agoraphobique.

En réalité, les spécialistes expliquent que ce n'est pas de la phobie proprement dite. Plutôt une forme de résistance. Chez moi comme chez les parents qui témoignent, les enfants disent ne pas avoir peur mais être simplement mieux à la maison que dehors.

On ne peut pas leur reprocher leur manque de cohérence

C'est bien sûr également une question de tempérament. Chez nous, le cadet a toujours été casanier et dans le contrôle de tout. Mais depuis un an, il a développé une véritable anxiété qui rend la vie quotidienne compliquée. À l'inverse, l'aîné était plutôt tourné vers l'extérieur, y compris l'école, toujours content de faire quelque chose de nouveau. Je ne m'attendais donc pas à ce que l'autre jour, il m'annonce que ce qu'il préfère au monde, c'est rester peinard à la maison.

Qu'est-ce qui a changé? Le temps qui passe, bien sûr, et la situation présente. Il y a des premiers cas de Covid dans son école et ça correspond au début de sa stratégie d'évitement. On entend les chiffres qui augmentent. Et puis, on ne sait pas si on reconfine ou pas. Il sent que rien n'est clair et qu'il y a des menaces qui planent au-dessus de nos têtes.

Or depuis des mois, comme le rappelle une pédiatre dans le NYT, on a dit aux enfants que le seul espace sûr, c'était la maison. Et ça, ils l'ont très bien compris. Si tu ne veux pas mourir ou faire mourir tes proches, tu dois rester à la maison.

Donc, ils ne veulent plus sortir. On ne peut pas leur reprocher leur manque de cohérence. (Même s'ils ne l'expriment pas comme ça. Ils disent juste qu'ils se sentent mieux à la maison.)

Il ne suffira pas de leur dire que la vie reprend

Et j'avoue que ça m'inquiète pour la suite. Pour l'instant, en vrai, je n'ai rien de foufou à leur proposer de faire dehors. La seule motivation du Têtard est d'aller à la librairie se ravitailler. Quant au Curly, il a trouvé une solution plus simple: l'autre jour, alors que son père essayait de l'amadouer pour faire une sortie tous les deux, quitte même à aller encore acheter des livres, le Curly lui a donné un morceau de papier: «Tiens papa, c'est la liste des livres que je veux, tu peux aller me les chercher pendant que je reste à la maison?»

Donc pour le moment, il n'y a pas grand-chose à faire. Mais je vois d'avance les problèmes. Il ne va absolument pas suffire de leur dire que la vie reprend normalement. Le jour où on va pouvoir sortir aller au musée ou au restau, ça va être l'enfer. Comment faudra-t-il faire? Les réhabituer progressivement? Les amadouer avec des sorties au zoo?

Le NYT recommande d'abord de bien identifier la peur. Est-ce que c'est une angoisse de séparation d'avec les parents? La peur qu'il leur arrive quelque chose si on s'éloigne du nid? Ensuite, il est conseillé de faire l'inverse de ce que les enfants évitent. Graduellement les emmener de plus en plus loin de la maison. Il va falloir prévoir bien à l'avance les sorties, choisir ce qui peut leur plaire le plus sans les angoisser, et négocier tout ça en gaufres.

On n'a pas les fesses sorties des ronces.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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