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Que sait-on des civilisations africaines qui ont sillonné les mers avant 1492?

Plusieurs entretenaient une tradition maritime, et certaines seraient allées aussi loin qu'en Chine ou en Amérique.

Le Mali, l'Égypte ou la Somalie font partie des civilisations d'explorateurs en Afrique. | Jeff Attaway <a href="https://www.flickr.com/photos/33398364@N08/5405595088">via Flickr</a>
Le Mali, l'Égypte ou la Somalie font partie des civilisations d'explorateurs en Afrique. | Jeff Attaway via Flickr

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Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d'autres, spécialistes du sujet, leur répondent.

La question du jour: «Que sait-on à propos des civilisations africaines qui ont sillonné les mers avant 1492?»

La réponse de Yoan Makaya:

Vous parlez sûrement d'Aboubakri II, l'empereur du Mali, surnommé «l'empereur explorateur». Son successeur Mansa Moussa, pendant son pèlerinage, dit à l'émir du Caire de l'époque, à propos de son arrivée au pouvoir:

«Nous appartenons à une maison qui transmet la royauté par héritage. Mon prédécesseur ne croyait pas qu'il était impossible de découvrir la limite la plus éloignée de l'océan Atlantique, et souhaitait vivement le faire. Il équipa 200 navires remplis d'hommes et le même nombre équipés d'or, d'eau et de provisions suffisamment pour les durer des années, et dit à celui qui était chargé de les conduire: “Ne revenez pas avant d'avoir atteint la fin de celui-ci ou que vos provisions et votre eau ne s'épuisent.” Ils sont partis et un long moment s'est écoulé avant que quiconque ne revienne. Puis un navire est revenu, et nous avons demandé au capitaine quelles nouvelles ils apportaient. Il a dit: “Oui, ô Sultan, nous avons voyagé pendant un long moment jusqu'à ce qu'il apparaisse en pleine mer [pour ainsi dire] une rivière avec un courant puissant. Le mien était le dernier de ces navires. Les [autres] navires sont allés de l'avant, mais lorsqu'ils ont atteint cet endroit, ils ne sont pas revenus et on n'en a plus vus et nous ne savons pas ce qu'ils sont devenus. Quant à moi, je m'en suis allé aussitôt et je ne suis pas entré dans cette rivière.” Mais le sultan ne l'a pas cru. Ensuite, ce sultan a préparé 2.000 navires, 1.000 pour lui et ceux qu'il a emmenés avec lui, et 1.000 pour l'eau et les provisions. Il me quitta pour le remplacer et s'embarqua sur l'océan Atlantique avec ses hommes. Ce fut la dernière fois que nous l'avons vu, ainsi que tous ceux qui étaient avec lui, et je suis donc devenu roi à part entière.»

Ce texte de Mansa Moussa fut utilisé par les afrocentristes pour dire que les Maliens avaient découvert l'Amérique avant Christophe Colomb. Mais plusieurs facteurs empêchent les historiens d'être d'accord sur cette théorie. C'est en effet la seule évocation de cette expédition, il n'y a rien d'autre. Même les griots, qui sont la source historique de l'Afrique de l'Ouest, n'ont jamais fait évocation de cette expédition. Il y'a aucune preuve.

Les Maliens n'avaient pas une grande connaissance maritime et étaient très peu intéressés par la mer. La preuve: l'archipel du Cap-Vert, qui se trouve au large, n'était même pas peuplé. Il en va de même pour la plupart des peuples de la côte ouest-africaine. L'océan Atlantique a commencé à attirer grâce au commerce avec les Européens, bien plus tard. Bien sûr, peut-être que dans un futur proche ou lointain, nous trouverons des preuves capables de confirmer l'arrivée du roi Aboubakri II en Amérique.

Qu'il s'agisse du voyage d'Hannon le Navigateur ou de celui fait par les Égyptiens, il manque un grand nombre de preuves pour prouver leur véracité.

Même si l'Afrique de l'Ouest n'avait pas une tradition maritime portée vers l'Atlantique, on peut noter une tradition importante de navigation fluviale. Les grands empires, comme le Mali ou l'Empire songhaï, possédaient une flotte pour la navigation sur le fleuve Niger. Sonni Ali fit par exemple appel à des centaines de bateaux pour conquérir la ville de Tombouctou. Sa flotte lui permit ainsi d'assurer la sécurité sur tout le delta intérieur du Niger.

Plusieurs autres régions du continent ont eu une culture maritime bien plus importante. On peut citer l'Afrique du Nord, qui depuis l'Antiquité a toujours eu une porte maritime –comme Carthage, qui était une véritable thalassocratie. Certains voyages, comme celui d'Hannon le Navigateur, auraient même pu atteindre le Cameroun moderne.

L'Égypte antique a également eu une certaine expérience dans les périples fluviaux à longue distance. Grâce au Nil, les Égyptiens ont eu l'habitude de naviguer, jusque dans les ports de Phénicie, ou encore dans le pays de Pount, dans la mer Rouge. Plusieurs voyages ont aussi fait grand bruit, comme celui qui a eu lieu pendant le règne du roi Nékao II, un pharaon de la XXVIe dynastie qui aurait lancé une expédition qui aurait pu faire le tour du continent africain. Mais, qu'il s'agisse du voyage d'Hannon le Navigateur ou de celui fait par les Égyptiens, il manque un grand nombre de preuves pour prouver leur véracité.

L'Afrique de l'Est, championne de l'exploration?

Mais la région, pour moi, qui était la plus portée vers le commerce maritime, et donc dans une certaine mesure les voyages longue distance, était sûrement l'Afrique de l'Est –avec déjà, dès l'Antiquité, le royaume d'Aksoum, dans la région de la corne de l'Afrique. Celui-ci est devenu un acteur majeur du commerce entre l'Empire romain et l'Inde grâce à son importante flotte commerciale, qui dominait le commerce avec le Yémen, la Nubie et l'Inde, et qui envahit même l'Arabie du sud sous le règne de Ella Asbeha. Mais le royaume a perdu de son importance à cause de l'expansion de l'islam et des Arabes qui ont pris sa place sur le commerce avec l'Inde. Il fut envahi par la légendaire reine juive ou païenne Yudit.

On peut aussi parler de la civilisation swahilie, métisse d'un mélange de culture bantou africaine et arabe, avec des éléments persans et indiens. Ces peuples de commerçants traversaient d'est en ouest l'océan Indien pour vendre leurs produits: principalement de l'ébène, du bois de santal, de l'encens, de l'ivoire et des esclaves. On a retrouvé des traces de leur présence en Inde, en Arabie, en Perse, et même dans des lieux aussi lointains que la Chine, où une ambassade de Swahili venant de la ville de Malindi pour offrir une girafe en offrande à l'empereur Ming Yongle aurait fait grand bruit à la cour chinoise de l'époque.

Mais la palme d'or de la navigation revient très certainement aux Somaliens. Si, aujourd'hui, la Somalie rime avec pauvreté et piraterie, il y a quelques siècles, elle était plutôt synonyme de cités portuaires florissantes et abritait des commerçants qui faisaient partie des meilleurs de l'océan Indien. Ils entretenaient des contacts commerciaux avec l'Arabie, l'Inde, la Perse, l'Égypte, la Chine, Venise et, plus tard, le Portugal.

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