Santé

Le vaccin AstraZeneca mérite-t-il vraiment la méfiance dont il fait l'objet?

Le vaccin du laboratoire anglo-suédois a connu bien des déboires. Retour sur un parcours chaotique.

Depuis l'automne 2020, l'AstraZeneca est le vaccin qui suscite le plus de réticences. | Miguel Riopa / AFP
Depuis l'automne 2020, l'AstraZeneca est le vaccin qui suscite le plus de réticences. | Miguel Riopa / AFP

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Lorsque l'université d'Oxford annonce, le 7 février 2020, qu'une équipe dirigée par la Pr Sarah Gilbert démarre des recherches pour le développement d'un vaccin contre le Covid-19, elle n'imagine sans doute pas qu'un an après, le sérum conçu sera l'objet d'autant d'aléas, de méfiances et d'enjeux internationaux.

Pour autant, la naïveté n'est pas totale: dès mars 2020, le gouvernement britannique, ainsi que les scientifiques concernés, poussent Oxford à confier la production au groupe suédois-britannique AstraZeneca plutôt qu'à l'américain Merck & Co., redoutant que des vaccins fabriqués aux États-Unis ne soient ensuite pas exportés au Royaume-Uni et dans le reste du monde. Cela s'appelle avoir le nez creux, puisque le président américain Joe Biden a signé un décret en mars 2021 qui donne aux Américains la priorité sur les vaccins produits au pays de l'Oncle Sam.

Alors que l'on craignait initialement une défiance majeure envers les vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna, basés sur une technologie à ARN messager innovante, c'est le vaccin produit par AstraZeneca (AZ) qui suscite dès l'automne 2020 le plus de réticences, quand bien même il use d'une technologie mieux connue –celle des virus vecteurs, reposant ici sur la modification d'un adénovirus du chimpanzé qui ne se réplique pas chez l'homme. En cause? Des failles méthodologiques évidentes dans les études publiées, et largement mises en exergue par la communauté scientifique.

Premier couac, la survenue d'un cas sévère de réaction indésirable, une allergie grave mais non mortelle, signalée le 8 septembre 2020. Deuxième couac en novembre, lorsque l'université d'Oxford et AstraZeneca annoncent des résultats intérimaires tirés de la phase III des essais cliniques: une faille méthodologique dans l'étude est pointée du doigt par les experts de l'Agence américaine du médicament (FDA). En effet, la méthode de calcul s'appuie sur des taux de 62% et 90%, obtenus de deux groupes de sujets soumis à des doses différentes du vaccin candidat à la suite d'une erreur dans le conditionnement des doses pour l'essai, et le meilleur taux est obtenu avec le dosage erroné.

Troisième couac, cette semaine, lorsque les experts des NIH (Instituts américains de la santé) dévoilent publiquement –fait rarissime de leur part– de nouvelles failles dans la qualité de la toute dernière étude conduite par le fabricant du vaccin aux États-Unis. Alors que tous les regards étaient tournés vers les promesses d'un vaccin moins onéreux que ses concurrents à base d'ARN messagers, plus facile à produire, à stocker et à distribuer, autant dire que ce manque de rigueur méthodologique, qui ne sera pas le dernier, ternit le tableau.

Des réactions indésirables surviennent rapidement

Pourtant, le vaccin AZ avait fait montre de son efficacité et de sa relative innocuité, à la suite d'une étude parue dans la revue The Lancet en décembre 2020. Le vaccin est alors considéré comme sûr et fiable, mais probablement moins efficace que ses homologues à ARN-m.

L'AZ obtient une autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle, en Europe (procédure centralisée), le 29 janvier 2021. À ce moment-là, estimant que les données concernant les plus de 65 ans sont insuffisantes dans le dossier d'enregistrement, la Haute Autorité de santé recommande alors ce vaccin pour les moins de 65 ans.

Il commence à être proposé en France le 6 février 2021 dans plusieurs établissements de santé, notamment à destination des soignants. En parallèle, ainsi qu'il est d'usage pour les nouveaux produits de santé, l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) poursuit sa surveillance de pharmacovigilance, afin d'identifier les éventuels effets secondaires qui n'auraient pas été repérés lors des essais cliniques, en amont de la mise sur le marché, parce qu'ils surviendraient de manière trop rare ou retardée pour avoir pu être détectés lors de ces essais.

Rapidement, les primo-vaccinés déclarent des réactions indésirables, peu graves mais handicapantes: un syndrome grippal avec fièvre et courbatures assez intenses, les contraignant parfois à prendre quelques jours d'arrêt maladie… Arrêts qui s'avèrent compliqués à gérer pour des professionnels de santé, déjà épuisés physiquement et moralement par la crise sanitaire et travaillant très souvent en sous-effectif.

Le 11 février, l'ANSM décrit des «syndromes grippaux souvent de forte intensité» constituant un «signal potentiel» (un «signal» étant défini comme une «relation entre un médicament et un effet inconnue ou non documentée»). Il est alors tacitement recommandé que la vaccination soit échelonnée au sein des équipes de soignants d'une même unité, afin d'éviter les absences collectives. Ces syndromes grippaux n'avaient pas été rapportés par l'expérience britannique, qui avait pourtant concerné plusieurs millions de personnes vaccinées, probablement du fait de leur âge. On se demande même depuis si ces réactions ne sont pas principalement liées à une précédente infection par le coronavirus, fréquente et passée inaperçue chez nombre de personnes jeunes. Bref, ces cas de forte fièvre ont rapidement jeté un froid sur ce vaccin, jugé par certains soignants comme «de seconde zone».

«Le vaccin AstraZeneca [...] est sûr et son efficacité est amplement démontrée par les études réalisées en Israël et en Grande-Bretagne.»
Communiqué des ordres des professionnels de santé

Ainsi, alors que certains médecins avaient pu être au préalable vaccinés avec les doses perdues du sérum Pfizer-BioNTech, les soignants candidats à l'AstraZeneca rechignent de plus en plus à se faire injecter l'AZ. Le 17 février, Alain Fischer, le «Monsieur vaccin» français, organise une réunion avec les représentants des professionnels de santé afin de rassurer quant aux effets indésirables. Il invite alors les moins de 40 ans à prendre systématiquement du paracétamol après l'injection (ce que les Britanniques recommandaient déjà), et à poursuivre absolument la vaccination.

La sauce peine cependant à prendre et, le dimanche 7 mars, les différents ordres des professionnels de santé publient un communiqué de presse pour inciter l'ensemble des soignants à se faire vacciner. «Le vaccin AstraZeneca, qui est proposé aux soignants les plus jeunes et en bonne santé, est sûr et son efficacité est amplement démontrée par les études réalisées en Israël et en Grande-Bretagne où il a été largement administré», écrivent-ils alors que dans les médias, de nombreuses voix s'élèvent en faveur de l'obligation vaccinale pour les soignants, quitte, parfois, à dénigrer les professions paramédicales, supposées plus sceptiques envers la vaccination.

Une soignante prépare une dose de vaccin AstraZeneca, en mars 2021 à Londres. | Daniel Leal-Olivas / AFP

Le climat n'est pas bon au sein de la population générale non plus, et notamment chez les 55-74 ans atteints de comorbidités ou d'une maladie à haut risque de forme grave du Covid, éligibles désormais à la vaccination avec les doses d'AstraZeneca. Il existe une certaine méfiance malgré l'envie croissante d'être enfin vacciné. «J'aurais préféré le Pfizer ou le Moderna» devient une phrase que l'on entend couramment chez les néo-vaccinés résignés. Dans le même temps, les médecins généralistes sont accusés de ne pas vacciner suffisamment, quand bien même les doses manquent, et même si l'enflaconnage les oblige à convoquer dix patients répondant aux critères de vaccination dans la même demi-journée afin d'éviter toute perte.

Suspensions en série

Autant dire que le vaccin AZ fait grincer des dents. Et la série ne s'arrête pas là. Le 8 mars 2021, l'Autriche annonce qu'elle cesse d'utiliser un lot du vaccin, après le décès d'une infirmière de 49 ans après de «graves troubles de la coagulation», quelques jours après avoir été vaccinée. D'autres pays suivent, suspectant un lien entre l'injection du vaccin et des thromboses ou des CIVD (ou syndrome des manifestations thrombotiques). Dans la foulée de l'Allemagne, qui avait rapporté sept cas de thrombose cérébrale grave, dont trois décès, chez des femmes âgées pour six d'entre elles de moins de 50 ans, la France suspend la vaccination avec le vaccin AZ le 15 mars, en attendant l'avis de l'EMA le 18. Dans la foulée, la France réintègre l'AZ dans sa stratégie de vaccination, mais en suivant l'avis de la HAS, qui recommande désormais de ne l'utiliser que chez les plus de 55 ans.

La question qui se pose est «Est-ce que la France a eu raison de suspendre le vaccin pendant trois jours?» Les réponses sont multiples. On a lu et entendu, ça et là, des réactions indignées arguant qu'il s'agissait davantage d'une décision politique que scientifique. On a vu des comparaisons hâtives avec la pilule, qui est connue pour causer potentiellement des thromboses cérébrales chez des femmes porteuses de facteurs de risques connus. Un des enjeux de la suspension du vaccin AZ était justement d'évaluer la relation causale avec le vaccin, et d'identifier d'éventuels facteurs de risque afin de protéger ceux qui seraient concernés et leur proposer rapidement une alternative!

Enfin, d'autres arguments, autrement plus fondés, craignaient que cette suspension n'entraîne une aggravation de la perte de confiance en ce vaccin déjà mal-aimé. C'est la position défendue de manière pertinente par le professeur de psychologie sociale Olivier Klein, sur Twitter. «Je suis le premier à considérer qu'il faut interrompre si les données indiquent un risque substantiel mais ici, ce n'est pas le cas et le seul effet, à mon sens, sera d'affaiblir encore un peu plus la confiance et de créer un précédent intenable», écrit-il, prenant l'exemple de la suspension du vaccin contre l'hépatite B, suspecté à tort d'avoir engendré des cas de scléroses en plaques. Cette suspension a largement contribué à la défiance vaccinale en France aujourd'hui.

Il y a certes une urgence à reconquérir la confiance aujourd'hui, mais cela n'aurait sans doute pas été possible sans cette courte pause.

De leur côté, quelques médecins se sont réjouis de cette suspension provisoire –tout en gardant un œil critique sur la politique gouvernementale. C'est le cas du Dr Christian Lehmann, qui a expliqué sur France Culture que l'on ne vaccine pas bien dans la méfiance, que l'on ne doit pas «vacciner à la hussarde». C'était également notre avis. Il était important, tout autant pour les médecins vaccinateurs que les candidats au vaccin, de suspendre pour prendre le temps d'évaluer la relation de causalité et considérer les éventuels facteurs de risque. Les propos alarmistes hurlant que cette suspension allait retarder grandement la campagne de vaccination, et même tuer des gens, étaient peu convaincants étant donné le déroulement déjà chaotique de cette campagne et surtout la proposition d'une suspension très brève de la vaccination. Il y a certes une urgence à reconquérir la confiance aujourd'hui, mais cela n'aurait sans doute pas été possible sans cette courte pause.

Un autre argument pouvait être de douter qu'on puisse vraiment faire la lumière sur ces événements rares et graves en si peu de temps. On connaît le temps de la recherche: il faut des mois, voire des années, pour monter une étude épidémiologique qui, de plus, peine souvent à conclure sur ce type de question. Ce fut d'ailleurs l'un des problèmes que l'on a rencontrés avec le vaccin contre l'hépatite B, et les suspicions de cas de sclérose en plaque. Alors comment, en trois jours, pourra-t-on convaincre quiconque que l'on saura innocenter ou incriminer le vaccin d'AstraZeneca contre le Covid-19?

En réalité, la beauté et bien sûr la fragilité de la pharmacovigilance est qu'il s'agit d'une discipline fondée sur l'expertise clinique, et non sur la recherche épidémiologique. Elle n'empêche en rien de compléter l'évaluation par un volet épidémiologique mais, fondamentalement, son raisonnement de causalité est différent. Le raisonnement de pharmacovigilance part souvent d'un calcul de probabilité initial. Les autorités de Berlin, par exemple, ont calculé qu'alors que sept cas de thrombose cérébrale sévère avec thrombopénie (baisse des plaquettes circulantes dans le sang) avaient été rapportés dans les quinze jours suivant la vaccination, seulement un cas de ce type était «attendu» par le fait du hasard, dans ces mêmes conditions. En effet, lorsque l'on organise une campagne de vaccination de masse dans la population, on sait que l'on doit s'attendre à voir rapportés des événements de santé survenant par coïncidence juste après l'injection. Le calcul statistique a alors permis aux autorités allemandes de vérifier que ce regroupement de cas ne semblait pas relever du simple hasard.

Rapport bénéfices/risques

C'est alors que les experts médicaux entrent en lice. Ce sont des spécialistes de l'événement rapporté, ici des thromboses veineuses cérébrales avec baisse des plaquettes. Ces experts sont en l'occurrence des médecins, qui ont l'une des meilleures expériences du pays sur ce type d'événements. Ils analysent toutes les données disponibles, parfois demandent des éléments complémentaires lorsque le patient est joignable, notamment s'il est encore hospitalisé. Ils doivent statuer sur le lien de causalité entre le vaccin et l'événement. On leur demande habituellement une réponse selon quatre modalités: la relation causale est-elle «exclue», «improbable», «possible» ou «probable»?

Pour exclure une relation causale, il faut apporter de solides arguments, par exemple si dans chaque cas rapporté la temporalité allait contre l'association car la thrombose daterait en réalité d'avant l'injection du vaccin. Pour évaluer la relation comme «improbable», il faut aussi des arguments forts. Par exemple, si les patients avaient des facteurs de risque de thrombose préexistants notables et que l'on pouvait identifier un élément déclencheur clairement identifié, alors la relation de causalité paraît peu probable, même si elle ne peut pas être totalement exclue. Le vaccin pourrait, tout au plus, avoir participé au phénomène. Sinon, dans tous les autres cas, on bascule dans les catégories «possible» ou «probable», ce qu'ont fait les experts dans le cas présent des thromboses cérébrales consécutives à la vaccination AZ.

Le Premier ministre français Jean Castex reçoit une dose de vaccin AstraZeneca, le 19 mars 2021. | Thomas Coex / AFP

Ils n'ont pas pu exclure que ce regroupement anormal de cas soit lié à l'administration du vaccin. Sur le plan biologique, c'était en effet plausible, sur le plan temporel aussi, et sur le plan de la connaissance que l'on avait de ces événements, cela n'avait rien d'impossible. Les pharmacovigilants alors, forts de ces expertises pointues, se sont penchés sur une notion que l'on appelle le «rapport bénéfices/risques» du vaccin, que la position norvégienne peut illustrer. La Norvège n'a pas décidé de reprendre la vaccination après la suspension européenne et il faut un élément de contexte épidémiologique pour comprendre cette position. C'est un pays qui suit une stratégie dite de «suppression» en matière de riposte au Covid-19, un peu comme les Japonais. Les Norvégiens ont enregistré une très faible mortalité par rapport aux autres pays européens, plus de dix fois inférieure à celle des Français par exemple. Alors, leur agence du médicament a énoncé clairement qu'en Norvège, la population ne voyait pas de bénéfice à poursuivre la vaccination par AZ au regard des risques potentiels désormais suspectés, tout en comprenant très bien que les pays plus durement frappés par le Covid-19, comme le Royaume-Uni ou ceux de l'UE, continuent à l'administrer.

En France, c'est aussi au regard du rapport bénéfices/risques que la Haute Autorité de santé a décidé de ne recommander qu'aux plus de 55 ans ce vaccin. Il y a en effet un saut quantitatif important en termes de mortalité par Covid-19 après 55 ans en France, et l'ensemble des cas de thrombose cérébrale rapportés par la pharmacovigilance européenne avaient moins de 55 ans. Par ailleurs, l'expérience britannique de ce vaccin avait été très bonne chez les personnes âgées de plus de 55 ans (et le Royaume-Uni est connu pour être doté d'un système de pharmacovigilance particulièrement performant). Ainsi, cette histoire a pu démontrer que l'on pouvait bien, en l'espace de trois jours, résoudre cet épineux problème. Les autorités ont été en mesure d'évaluer le lien de causalité avec la série d'événements indésirables rapportés, et de réévaluer le rapport bénéfices/risques du vaccin, avant d'éventuellement recadrer les recommandations vaccinales, en fonction du contexte et de la situation épidémiologique des pays concernés.

Une confiance définitivement abîmée?

Il reste encore une question importante à résoudre pour tous ceux qui ont reçu une première dose du vaccin AZ et qui ont moins de 55 ans: avec quel vaccin vont-ils recevoir la deuxième dose? La question n'est pas simple, parce que l'on quitte un peu ici les routes goudronnées de la preuve scientifique solidement établie. On ne dispose en effet pas d'essais cliniques forts publiés, indiquant si l'on peut ou non administrer une deuxième dose d'un vaccin à ARN messager après une première dose d'un vaccin AZ. Les résultats pré-cliniques sont cependant excellents à ce sujet. Certains experts pensent même que c'est peut-être un meilleur cocktail que la deuxième dose d'AZ en termes d'efficacité!

Il se trouve que l'antigène du coronavirus visé par l'immunité conférée par la vaccination par AZ est la protéine Spike, la même que celle conférée par l'immunité du vaccin de Pfizer/BioNTech ou Moderna. Il faut néanmoins que les autorités de santé se prononcent officiellement et rapidement sur ce sujet, car leur réponse conditionnera l'homologation de la vaccination si un passeport vaccinal se met en place prochainement.

Est-ce qu'au terme de cette histoire, la confiance envers le vaccin AZ en sortira écornée? Évidemment oui, mais reconnaissons qu'il faudrait cependant être un peu aidé par le laboratoire AstraZeneca lui-même, et l'on est en droit d'attendre de lui qu'il fasse preuve d'une plus grande rigueur dans sa communication avec les agences en charge de l'homologation des produits de santé. Toute remise en question de la part de ces instances régulatrices est un coup porté à l'essentiel contrat de confiance qui doit se nouer de manière objective et désintéressée entre un laboratoire et son produit, les professionnels de santé et le grand public. Nous avons besoin, aujourd'hui, de vacciner très massivement toute la population avec des vaccins sûrs et efficaces.

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