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Soudan: vers la sécession du Sud-Soudan

La réélection d'Omar el Béchir à la tête du Soudan signifie un prochain référendum au Sud-Soudan et une probable indépendance chaotique pour une région dépourvue de tout.

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Défier la communauté internationale? Le président soudanais Omar el Béchir est passé maître en la matière: il vient d'être réélu le 26 avril à la tête du pays le plus vaste d'Afrique avec plus de 68% des suffrages. Alors même que la Cour pénale internationale (CPI) a lancé en mars 2009 un mandat d'arrêt contre lui pour «crime contre l'humanité».

Certes, l'élection du 11 au 15 avril n'était pas un modèle du genre «d'exercice démocratique». L'Union européenne l'a commentée avec sévérité. Et le suspense était des plus faibles. Les principaux rivaux du «raïs» avaient renoncé à se présenter: ils dénonçaient avec vigueur les risques de fraudes. Des ONG de défense des droits de l'homme ont d'ailleurs diffusé sur Youtube des vidéos qui attestent, selon elles, de manipulations sur grande échelle des résultats. Avant même que le scrutin ne soit organisé, les jeux étaient déjà faits.

Comment organiser un scrutin sérieux dans un pays en guerre? Au Darfour, région grande comme la France, le régime de Khartoum continue à affronter des mouvements rebelles. Ce conflit a fait plus de 300.000 morts et provoqué le déplacement de plus de 2 millions de personnes, selon les Nations unies.

L'enjeu est ailleurs

Dans le Sud, l'heure n'est pas à la contestation. Le principal mouvement d'opposition, l'ex-rébellion sudiste, l'Armée-mouvement de libération des Peuples du Soudan (SPLA-M) s'était engagée, avant le scrutin, à ne pas en contester les résultats. Car, pour elle, l'issue était connue d'avance. Et l'enjeu principal n'est pas là. L'essentiel n'est pas cette parodie d'élection, même si c'est le premier scrutin pluraliste depuis vingt-cinq ans. Mais ce scrutin est le préalable à l'organisation d'un référendum d'autodétermination pour l'indépendance du Sud Soudan.

Dès son élection acquise, le président Omar el Béchir a d'ailleurs confirmé son intention d'organiser cette consultation en janvier 2011. Son issue fait peu de doute. Le Sud devrait voter pour son indépendance. La guerre entre le régime de Khartoum et la partie méridionale du Soudan a duré plus de vingt ans. Entre 1983 et 2005 (année de la signature des accords de paix), elle a fait plus d'un million de morts.

Scott Gration, émissaire spécial des Etats-Unis pour le Soudan évoque tout de go cette marche vers la partition: «Il est très probable que le Sud va choisir l'indépendance. Je ne vois pas le Nord envahir à nouveau le Sud et recommencer la guerre. Il y a de grandes chances pour que le Sud obtienne un divorce civil plutôt qu'une guerre civile.»

Des infrastructures inexistantes

Si l'issue du scrutin fait peu de doute, l'avenir de ce nouveau pays paraît bien incertain. Ainsi le magazine américain Time s'inquiète en constatant que Juba, la capitale du Sud, ne possède pas de téléphone (hors des portables), pas de transports publics et d'industries. Et que certains «locaux ministériels» sont constitués de «containers de bateaux». «Comment le Sud Soudan peut-il devenir un Etat indépendant s'il possède si peu de ce qui en constitue les attributs? Beaucoup d'experts en développement présents à Juba se posent la question», souligne le Time.

Pour sa part, The Independent s'interroge très sérieusement sur le nom qu'il faudra donner à ce nouvel Etat : «On ne peut pas l'appeler le pays des dinkas, explique le quotidien britannique, car c'est une terre de melting pot et cette ethnie dominante n'est pas la seule représentée dans la région.» Avant d'ajouter: «Nous avons vécu avec deux Yémen, deux Corées et deux Allemagne et maintenant deux Congo. Mais ce ne serait pas idéal d'avoir deux Soudan. Il faut donc l'appeler la République du Nil blanc.»

Plus sérieusement, cette sécession annoncée «inquiète les diplomates», souligne The Guardian. Le Sud Soudan sera la première nouvelle nation à voir le jour en Afrique après la création de l'Erythrée en 1993.

Depuis les indépendances, les frontières héritées de la colonisation avaient été le plus souvent respectées, malgré le caractère très arbitraire de nombre d'entre elles. La sécession du Sud Soudan risque de donner des idées au Nigeria et en République démocratique du Congo, ainsi que dans bien d'autres pays du continent. En redessinant les frontières de l'Afrique, les Soudanais risquent d'ouvrir la boîte de pandore. Le colonel Kadhafi a d'ailleurs plaidé en mars 2010 en faveur d'une partition du Nigeria: un Nord musulman et un Sud chrétien.

Lors de la guerre du Biafra qui avait fait de deux à trois millions de morts de 1967 à 1970, les Ibos (Ethnie catholique du sud-est du Nigeria) avaient tenté de faire sécession. Parmi les grandes puissances, seule la France les avait soutenus. Grande-Bretagne, Etats-Unis et URSS avaient épaulé le régime fédéral au nom de la défense du principe d'intangibilité des frontières. En irait-il de même aujourd'hui? Rien n'est moins sûr. Comme avant la guerre du Biafra, des pogroms antichrétiens comme ceux qui ont eu lieu récemment dans la région de Jos pourraient servir à légitimer des tentatives de sécession.

Sauf que la réalité nigériane est bien plus compliquée que celle que laisse entendre le colonel Kadhafi. Des millions de chrétiens vivent dans le Nord du Nigeria. Des millions de musulmans vivent dans le Sud. Dans les mêmes familles, les chrétiens se mêlent aux musulmans.

Le pays compte plus de 250 ethnies et les partitions donneraient lieu à des affrontements sanglants, au Nigeria, le pays le plus peuplé d'Afrique. Comme dans les autres régions du continent noir, des équilibres fragiles seraient menacés. Rien n'indique par exemple que les ethnies minoritaires du sud-est du Nigeria accepteraient de se retrouver sous le joug des Ibos. Lors de la guerre du Biafra, elles avaient déjà grandement contribué à faire échouer la tentative de sécession des Ibos.

En RDC aussi, une sécession du riche Katanga (province minière) pourrait déboucher sur des troubles économiques et politiques extrêmement graves. Le Rwanda serait aussi tenté de profiter de ce «redécoupage» pour réclamer sa part du «gâteau», pour récupérer une partie du territoire de la RDC.

Cinquante ans après les indépendances, redessiner la carte de l'Afrique ne peut être une priorité. Par définition, les frontières sont arbitraires. Celles qui sont héritées de la colonisation ont souvent eu le mérite «d'échafauder» des espaces économiques viables. Fractionner les pays pourrait s'avérer très dangereux. Surtout à l'heure où l'Afrique s'engage dans un fragile processus de renaissance économique.

Pierre Malet

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Photo: Des femmes font la queue le 11 avril pour voter dans le camp de réfugié d'Al Fasher au nord du Darfour  Zohra Bensemra / Reuters

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