Société

«Et là, début février, il m'envoie une photo de moi, dans une baignoire»

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Élodie, victime du chantage exercé par un homme qui détient une photo d'elle nue.

<em>«Il m'avait juré à l'époque avoir détruit le négatif.»</em> | Robert Couse-Baker <a href="https://www.flickr.com/photos/29233640@N07/9082209356/in/photolist-BzWYmg-HumccC-Hqn5Wd-MuJx3k-PauTT7-iDdzeE-nVEwHk-C2pWYv-qSJmpn-NfADEV-Bkbt97-9oDRbY-eQyGqu-VNbBvR-U13mia-2i2w3G9-25f4CKZ-LEyDa5-YPQyHp-pgczTj-xx32zU-xM98Hg">via Flickr</a>
«Il m'avait juré à l'époque avoir détruit le négatif.» | Robert Couse-Baker via Flickr

Temps de lecture: 5 minutes

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected].

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.

Chère Lucile,

Je t'écris car je ne sais pas quoi faire vis-à-vis d'une connaissance Facebook qui me fait me sentir extrêmement mal en tentant de me contraindre à une relation toxique.

Ce type est une connaissance d'amis de lycée. Il doit avoir deux ou trois ans de plus que moi.

Il a toujours été très lourd, avec un humour dérangeant, un type pas sûr de lui, mais drôle, jouant les bouffons jusqu'à la caricature. J'étais sympa avec lui à l'époque, parce qu'il me faisait un peu de peine et que je sentais qu'il était mal dans sa peau. Il a ensuite pris cela pour des sentiments et j'ai vite cessé de le voir car il était forceur.

Et puis, j'ai fait ma vie. Un jour, j'ai installé Facebook. Au départ, j'ai accepté beaucoup de monde du lycée. Lui, j'avais hésité parce qu'il avait commencé à me dire «je crois me rappeler que tu étais un peu amoureuse de moi à l'époque». Je l'avais remis en place et finalement, il s'est excusé pour son humour.

J'avais fini par accepter en lui précisant bien que j'avais un petit ami et il m'avait laissée tranquille.

On ne s'est jamais revus jusqu'aux 40 ans d'un ami, il y a quelques années. C'était une fête surprise en Normandie et d'anciens amis y allaient. Je ne me suis pas méfiée, mais ce soir-là il a de nouveau été extrêmement collant et j'ai dû franchement m'énerver pour qu'il me laisse tranquille. Je venais de me séparer et il pensait avoir une chance, j'imagine.

Depuis j'ai bien pris soin de ne jamais le recroiser, et pas de messages.

Et puis, vint le moment où je dois faire une interview pour ma boîte qui est diffusée cet été sur YouTube, et là il m'écrit sur Messenger, il s'excite et veut me revoir. Je ne réponds pas.

Puis il passe à la vitesse supérieure et commente une de mes publications de manière agressive, on s'explique, je lui demande le respect et de ne plus me contacter. Une nouvelle fois, il s'excuse.

Il m'écrit et je ne réponds plus.

Fin novembre, il m'écrit qu'il va mal, qu'il a des pensées suicidaires, qu'il a besoin de retrouver un job et qu'il pleure tous les deux jours. Je ne réponds pas.

Et là, début février, il m'envoie une photo de moi, dans une baignoire, qu'il avait prise un jour où il était rentré dans la salle de bains (il avait forcé la serrure, son super humour) alors qu'on avait dormi chez lui avec des potes. Il m'avait juré à l'époque avoir détruit le négatif. Là, à la suite de ses nombreux messages sans réponse, il me la balance (vingt-cinq ans après donc...) avec pour commentaire «j'ai un super dossier sur toi, 50.000 € le négatif» et un smiley qui pleure de rire.

Sauf que moi, ça ne me fait pas rire du tout. Au contraire: depuis, je me sens mal, je dors difficilement, je fais des cauchemars. Je ne comprends pas pourquoi, trente ans après, il cherche à me blesser. J'étais une des seules personnes sympa avec lui. J'ai signalé à Facebook son harcèlement et la publication, car je suis mineure sur la photo et qu'elle avait été prise sans mon consentement.

Maintenant, que dois-je faire? Je voudrais porter plainte, mais la police va-t-elle me prendre au sérieux? Ce n'est pas un cliché pornographique, juste une photo, mais qui me rappelle un horrible moment.

Est-ce que ça va l'exciter? Ou le simple fait de l'avoir bloqué va le calmer?

Il vit encore pas loin de là où habitent mes parents, il m'avait demandé dans ses nombreux messages s'ils habitaient toujours là, j'ai aussi peur qu'il vienne les ennuyer.

Je suis perdue et désemparée, à qui puis-je demander de l'aide?

Existe-t-il des avocats spécialisés pour ce genre de choses?

Élodie

Chère Élodie,

Votre désarroi est tout à fait légitime. Ce que cette personne vous fait n'est ni plus ni moins qu'un harcèlement au long cours et auquel s'ajoutent aujourd'hui des menaces. Vous avez donc tout à fait le droit de porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche de chez vous en prenant soin d'amener des preuves imprimées de ce harcèlement. Vous pourrez a minima déposer une main courante contre cette personne, acte que les policiers et gendarmes ne peuvent jamais refuser. La diffusion de la photo où vous apparaissez, mineure et dénudée, pourrait relever du revenge porn ce qui est aussi répréhensible par la loi. Bref, il n'y aucun doute, cette personne est un agresseur et vous pouvez vous en protéger.

N'hésitez donc plus pour aller porter plainte contre lui. Vous n'êtes pas obligée d'avoir un avocat pour porter plainte mais si vous vous sentez plus à l'aise d'avoir un conseil professionnel, vous pouvez vous tourner vers un avocat spécialiste en droit des personnes après avoir pris soin, encore une fois, de regrouper toutes les preuves, les échanges ou non-échanges qu'il y a eu avec cet homme tout au long de ces années.

Vous n'êtes pas toute seule, Élodie. Et vous n'avez pas à l'être. Dans un second temps, vous pouvez aussi chercher du soutien parmi votre groupe d'amis. Est-ce que cette personne a eu un comportement inapproprié avec d'autres femmes du groupe? Peut-être aurez-vous une réponse étonnante à cette question et peut-être y trouverez vous un soutien supplémentaire.

Dans une récente interview pour le site 20 Minutes, la féministe Caroline de Haas expliquait très simplement ce qu'elle pensait de la question de la drague lourde: «Je crois que la drague lourde, ça n'existe pas. C'est du harcèlement sexuel. Il y a un mythe selon lequel le harcèlement sexuel serait de la drague appuyée. La réalité, c'est que soit on est dans un rapport de respect, soit on ne l'est pas. Dans un cas tu dragues la personne, et la personne est soit enthousiaste, soit pas très sûre et tu retentes, soit pas d'accord et tu te prends un râteau. Et quand tu prends un râteau, c'est hyper désagréable, mais tu ne reviens pas à la charge. C'est la vie, c'est comme ça. Le harcèlement n'est pas un rapport de respect, c'est une violence dans laquelle on impose à une personne des actes qu'elle n'a pas souhaitée. La drague n'atteint pas la dignité.»

C'est d'abord ce dont vous devez vous persuader Élodie, ce que vous avez vécu n'est pas une drague poussée. Et vous n'avez rien fait qui puisse justifier la situation dans laquelle vous êtes aujourd'hui. Un homme a décidé qu'il allait s'en prendre à vous, qu'il allait essayer de pousser au maximum contre vos résistances (et contre votre désir) pour obtenir ce qu'il veut. Il n'y a qu'un coupable ici. Et j'espère que la justice vous entendra. Au vu des faits que vous décrivez, il n'y a pas de raison qu'elle ne le fasse pas. Et je veux croire que la justice fera son travail comme il se doit.

«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:

cover
-
/
cover

Liste de lecture