Sciences / Société

Pourquoi avons-nous des chiens?

Deux études scientifiques viennent d'éclairer les débuts de l'amitié entre notre espèce et les loups.

Qui s'est dit, un jour, <em>«J'en veux un»</em>? | Anna Dudkova <a href="https://unsplash.com/photos/urs_y9NwFcc">via Unsplash</a>
Qui s'est dit, un jour, «J'en veux un»? | Anna Dudkova via Unsplash

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Jet est tellement de choses. Il est mon compagnon canin, un pilleur de poubelles, la sentinelle du facteur, un irrépressible renifleur de visages et un réveil de secours. Chaque matin, lorsqu'il entend «Eye of the Tiger» de Survivor résonner sur mon téléphone, il remue la queue près du mur, ce qui produit un chapelet de coups secs puis, avec ma permission, saute sur le lit.

C'est à ce genre de moments, plaqué par un berger allemand d'une bonne trentaine de kilos et comptabilisant mentalement le nombre de poils noirs qui se sont incrustés dans ma couette, que j'en viens à me demander: «Mais au fait, pourquoi avons-nous des chiens? Ils sont adorables, mais ce sont aussi des carnivores qui sentent fort et font beaucoup de bruit.»

Comme vous le savez sans doute, les chiens ont été domestiqués à partir du loup gris, ou d'un de ses ancêtres (le processus n'a rien d'une ligne droite entre la bête sauvage et l'animal domestique). Ce sont à ces origines que nous rendons littéralement hommage lorsque nous achetons des croquettes au packaging fleurant bon l'appel de la forêt ou discutons pour savoir qui est «l'alpha» dans une portée de chiots adorables.

En outre, les chiens ont probablement été domestiqués plus d'une fois –nos compagnons pourraient être issus d'un processus relativement récent en Eurasie occidentale. Mais une nouvelle étude publiée dans la revue PNAS, situant l'origine de certains des premiers chiens durant la dernière période glaciaire, il y a environ 23.000 ans, a attiré mon attention.

Rencontre à l'ère glaciaire

Telle est la scène primordiale, selon cet article, de nos toutes premières interactions avec les ancêtres des chiens. Une époque de glaciers à perte de vue par le monde, sans aucun équivalent depuis lors. Autour de ces géants de glace, une grande partie de l'espace habitable était constitué de prairies froides où erraient les mammouths et les lions. On en déduit qu'en Sibérie, les loups et les humains ancestraux se partageaient un même territoire.

Par rapport aux glaciers, les oasis de toundra gelée occupaient une surface relativement limitée. C'est là que les hommes et les loups devaient se lécher les babines en surveillant les herbivores qui broutaient la steppe glaciale. Les circonstances avaient rapproché ces deux espèces sociales.

Qui, dans la toundra, a regardé les loups et tous leurs crocs et s'est dit: «Trop mignon, j'en veux un»?

Voir Jet comme le parent éloigné d'un chiot de l'ère glaciaire est rigolo. Mais qui, dans la toundra, a regardé les loups et tous leurs crocs et s'est dit: «Trop mignon, j'en veux un»? C'est typiquement le genre de réaction que j'aurais pu avoir, tant j'aime les créatures menaçantes, ce qui me vient probablement de ma relation déjà ancienne avec les chiens.

La théorie des tas d'ordures

Mais pour en savoir plus, j'ai contacté Angela Perri, archéologue de l'université de Durham comptant parmi les autrices et auteurs de l'étude de PNAS, et lui ai demandé comment nos ancêtres ont pu tomber raides dingues de ces proto-toutous. L'idée maîtresse qui circule aujourd'hui dans les cercles archéologiques tourne autour de la nourriture.

«À mon avis, la théorie des tas d'ordures est l'hypothèse la plus probable et la plus répandue en ce moment», explique-t-elle. En d'autres termes, là où il y a des humains, il y a des déchets qui font saliver les chiens. Peut-être que les humains et les loups se sont habitués les uns aux autres en rognant tout ce qu'ils pouvaient sur les mêmes carcasses de mammouths. Ou peut-être que les loups se sont habitués à la proximité des humains en fouillant dans leurs ordures.

Les humains pourraient avoir mangé les morceaux gras et donné le reste à des loups curieux, ce qui aurait ainsi ouvert la porte de la domestication.

Des équipes de recherche ont même retrouvé la piste de ces premiers rogatons. Dans un article publié en janvier dernier, Maria Lahtinen, chercheuse au musée finlandais d'histoire naturelle, insiste avec ses collègues sur l'importance du type de viande laissé ainsi derrière nous. Les humains, contrairement aux loups, ont du mal à métaboliser la viande maigre. Pendant l'hiver, le gibier sauvage était probablement plus rachitique. D'après l'équipe de recherche, les humains pourraient donc avoir mangé les morceaux gras et donné le reste à des loups curieux, ce qui aurait ainsi ouvert la porte de la domestication.

J'aime imaginer que le regard que me lance Jet, quand il me voit cuisiner n'importe quelle protéine animale pour le dîner, ressemble à celui dont des humains du Pléistocène ont été gratifiés par des loups un peu moins farouches que les autres. Que les chiens domestiqués arrivent bien mieux que des loups à tirer un avantage nutritif de restes de spaghetti montre bien que la tradition des plats lavés à la langue ne date pas d'avant-hier.

Soutien émotionnel

Comment sommes-nous passés des loups traînant autour d'un campement pour y trouver des restes, à mon berger allemand qui saute sur mon lit et s'y roule de bonheur comme s'il venait de trouver un truc merveilleusement puant? Personne n'a tenu de journal écrit sur une peau de renne disant «Maman dit que je peux garder Spot» pour documenter ce qui s'est réellement passé.

«Les chasseurs-cueilleurs du paléolithique n'auraient eu aucune notion de domestication, vu qu'ils n'avaient jamais croisé de plante ou d'animal domestiqué», ajouta Perri. Il est donc peu probable que quelqu'un ait regardé un loup gris arracher un morceau de gigot de bison pour se dire «Ça ferait un super chien».

Mais il est possible que les loups soient devenus de plus en plus amicaux à mesure qu'ils traînaient autour des humains pour y trouver des restes, explique Brian Hare, directeur du Duke Canine Cognition Center, dans un article du National Geographic. Après tout, seuls les loups disposés à ne pas trop grogner ni déranger les humains auraient eu le droit de s'aventurer près des campements et à y vivre en devenant, génération après génération, des loups ressemblant de plus en plus à des chiens, jusqu'à accepter des ordres humains. «Les loups sont des meneurs et les chiens des suiveurs», comme l'expliquait en 2019 un article de Scientific Reports. À partir de là, nous nous sommes peut-être rapprochés des chiens parce qu'ils avaient une utilité, pour nous aider à chasser ou nous tirer en traîneau.

Les chiens sont non seulement entrés dans nos vies, mais sont devenus des membres à part entière de nos foyers.

Je ne sais pas ce que Jet pourrait donner en bête de somme. Les rares fois où je lui ai mis un sac sur le dos pour m'aider à transporter du matériel de randonnée, ses sourcils se sont entortillés en une expression qui semblait dire «Mais pourquoi tu me fais ça?». Il est par contre très utile quand la dépression ou le stress post-traumatique s'emparent de moi. C'est mon animal de soutien émotionnel, qui me force à sortir et marcher quand je n'ai pas d'autre envie que de m'enfouir sous la couette. Quand mes larmes coulent, il pose sa grosse tête de chien sur ma jambe. Autant d'échos à la façon dont les chiens sont non seulement entrés dans nos vies, mais sont devenus des membres à part entière de nos foyers.

Une autre étude publiée fin 2020 révèle combien l'affection des femmes pour les chiens, en particulier, a contribué à ce qu'ils deviennent des personnes et se distinguent des autres animaux. Tout vient peut-être de ces yeux de chien battu, après tout.

Je suis à des années-lumière de la Sibérie du Pléistocène, mais je ne me croyais pas du genre chien avant qu'on me présente un chiot renifleur en besoin de nourriture et d'un endroit chaud pour dormir. Je suis heureuse que les chiens n'aient pas seulement fait les poubelles de l'ère glaciaire autour de nos campements, mais qu'ils aient aussi appris à ne plus en bouger.

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