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Emmanuel Macron, maître du féminisme washing

Les auto-déclarations et félicitations du président de la République masquent des mesures décevantes pour les militantes féministes.

Des militantes féministes manifestent à la suite de la nomination de Gérald Darmanin à la tête du ministère de l'Intérieur, à Paris, le 7 juillet 2020. | Geoffroy Van der Hasselt / AFP
Des militantes féministes manifestent à la suite de la nomination de Gérald Darmanin à la tête du ministère de l'Intérieur, à Paris, le 7 juillet 2020. | Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Temps de lecture: 7 minutes

Grâce à une enquête journalistique fouillée qui confronte les usages militants aux productions et ressources humaines des entreprises, Léa Lejeune démontre comment elles cherchent à séduire –parfois à berner– la nouvelle génération féministe.

Elle s'appuie sur des exemples concrets et sur la vulgarisation de travaux de recherche en économie. Et conclut son livre en donnant des pistes pour les femmes engagées qui souhaitent s'affranchir des discours mercantiles. Et des pistes pour les entreprises qui veulent corriger leurs mauvaises habitudes?

Féminisme Washing – Quand les entreprises récupèrent la cause des femmes paraît aux Éditions du Seuil le 4 mars 2021. Nous en publions ci-dessous un extrait.

«Je suis un féministe auto-déclaré et j'aimerais être reconnu comme tel par les féministes, ce qui est beaucoup plus important», s'est enflammé le candidat Emmanuel Macron sur la scène du Women's Forum 2016. En pleine campagne présidentielle, il a probablement répondu à l'invitation en pensant aux futures électrices et soutiens –féministes libérales, patronnes d'entreprise ou cadres supérieures– dans le public. «Notre principal problème n'est pas d'avoir des femmes dans les conseils d'administration, mais dans les comités exécutifs», soit ceux qui prennent les décisions opérationnelles, a-t-il ajouté. Il a partagé son souhait de voir davantage de femmes entrer en politique et dans la vie professionnelle. Par contre, il ne s'est pas rendu compte qu'une telle vision se focalise sur les femmes les plus privilégiées.

Il ne faut pas chercher longtemps pour comprendre pourquoi les multinationales françaises usent du féminisme washing sans pudeur. Parce que ce subterfuge est une habitude hexagonale, un mélange de bonne image, de bonne conscience et de politique des petits pas. Depuis quarante ans, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, y recourent pour éviter des réformes coûteuses. Mais Macron est le premier à l'épouser avec autant de brio.

Autre échantillon. À l'occasion du décès de l'avocate Gisèle Halimi en juillet 2020, il s'approprie son action quitte à dénaturer son discours. Pour elle, «le féminisme était un humanisme. La France perd une républicaine passionnée qui, comme avocate, militante et élue, fut une grande combattante de l'émancipation des femmes», lâche-t-il dans un tweet présidentiel, tendance universaliste[1]. On est loin de la position expliquée dans La Cause des femmes par cette partisane de la désobéissance civile pour le droit à l'avortement ou le Front de libération nationale algérien: «L'universalisme des droits n'engendre qu'une universalité trompeuse. L'humanisme, qui a phagocyté la femme sous prétexte de la fondre dans l'individu –masculin–, constitue le piège redoutable de nos démocraties modernes.» Ils n'ont clairement pas la même vision de la cause.

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Le 25 novembre 2017, lors de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Emmanuel Macron prononce un discours zélé et érige la lutte contre les violences faites aux femmes comme «grande cause du quinquennat». Sa longueur fait date, mais les associations tiquent déjà sur une position conservatrice dans la foulée du mouvement #MeToo. Emmanuel Macron lâche qu'il ne souhaite pas passer d'une «société de l'oubli à une société de la délation généralisée», «où chaque rapport entre un homme et une femme devient suspect d'une domination». En référence aux États-Unis, il s'enorgueillit que la France ne soit pas «une société puritaine». Refusant de reconnaître les rapports de pouvoir qui soutiennent le patriarcat, il avance que «la civilité est notre force, ce qui tient notre République».

Voilà donc le fil conducteur de ses choix concernant les violences. Le principe de «grande cause» suscite tout de même des espoirs. Néanmoins, les associations féministes déchantent vite. Il aura du mal à s'y tenir avec un budget interministériel en direction des femmes en baisse... Petit coup de pression. Macron le relève donc de 397 millions à 420 millions d'euros, mais ça n'est toujours pas suffisant. Seulement 15% sont dédiés à la lutte contre les violences conjugales et à l'accompagnement des personnes prostituées, d'après le Document de politique transversale du projet de loi de finances pour 2018[2].

Emmanuel Macron se focalise sur la présomption d'innocence de son ministre chouchou.

Pas si étonnant qu'il nomme Éric Dupont-Moretti ministre de la Justice et Gérald Darmanin ministre de l'Intérieur lors d'un remaniement contesté en juin 2020. L'avocat pénaliste est critiqué pour un florilège de propos sexistes et opposés à #MeToo balancés ces dernières années. Certains dans les prétoires pour défendre ses clients poursuivis pour violences ou meurtres, d'autres dans les médias sans lien direct avec ses affaires. Surtout, Gérald Darmanin, premier flic de France, est accusé de viol, de harcèlement sexuel et d'abus de faiblesse par une femme à l'époque où il était chargé de mission aux affaires juridiques de l'UMP. Ses avocats ont toujours contesté l'accusation de viol[3].

Des centaines de militantes féministes sortent dans la rue. En pleine crise du coronavirus, elles s'attroupent masquées, devant leurs mairies, pour protester contre ces nominations. La symbolique de Darmanin place Beauvau est forte. Comment le patron de la police pourra-t-il dans ces conditions pousser pour une plus grande répression des viols et une attentive écoute des victimes? Une nouvelle fois, Emmanuel Macron passe à côté des revendications des femmes. Interviewé sur TF1 le 14 juillet 2020, il se focalise sur la présomption d'innocence de son ministre chouchou avec lequel il a eu une discussion «d'homme à homme».

«Je respecte toujours l'émoi et la colère des choses justes. La cause féministe je la partage, j'en ai fait le fil rouge de ce quinquennat. [...] Aucune cause n'est défendue justement si on le fait en bafouant les principes fondamentaux de notre démocratie. [...] Accusé mais pas jugé, [Gérald Darmanin] devient en quelque sorte la victime d'un jugement de rue. Nous ne devons pas céder à l'émotion constante», glisse-t-il. Pas un mot pour les victimes de viol. Sa confiance aveugle en la justice le fait passer à côté des faits. Faits rappelés sur les réseaux sociaux par la militante Femen Inna Shevchenko: «Entre 5% et 10% des victimes de viol portent plainte et seulement 1% à 2% des viols aboutissent à une condamnation en cour d'assises.»

Le bilan de sa secrétaire d'État aux Droits des femmes est plutôt maigre. Féministe convaincue, Marlène Schiappa, nommée en mai 2017, remplacée à l'occasion du remaniement de juillet 2020, court d'abord les plateaux télévisés pour parler des meurtres conjugaux parfois romancés par les médias, et expliquer le phénomène du harcèlement de rue. C'est utile, en prime, ça ne coûte rien.

Le Parlement adopte son projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles le 1er août 2018. Il crée le «délit d'outrage sexiste» et autorise la verbalisation du harcèlement de rue. Il allonge de vingt à trente ans le délai de prescription des viols sur mineurs et renforce les faits commis sur les mineurs de moins de 15 ans, en raison de la vulnérabilité de la victime. Il fait entrer dans le Code pénal la notion d'emprise.

Mais les militantes sont déçues, car il ne valide pas la «présomption de non-consentement» pour les mineurs de moins de 15 ans. Surtout, il ne comprend pas de formation obligatoire aux violences sexistes et sexuelles de tous les professionnels de la justice, de la police et de la santé, comme Marlène Schiappa l'avait elle-même souhaité lors de l'annonce de sa feuille de route.

C'est sur la mesure de l'allongement du congé paternité que le washing est le plus manifeste.

La secrétaire d'État semble s'investir à fond. En septembre 2019, elle monte un «Grenelle des violences faites aux femmes» afin de mettre tous les acteurs autour de la table. Elle promet l'ouverture de 1.000 places d'hébergement pour les victimes de violences conjugales, une plateforme de géolocalisation pour les recenser et 1.000 places de plus à l'occasion du premier confinement. Ça tarde à venir, 5 millions d'euros supplémentaires sont débloqués en juin 2020. Mais le manque de moyens financiers plane sur son action.

En parallèle, Marlène Schiappa se focalise sur la famille. Elle développe le nombre de places en crèches, conformément à ses promesses de campagne. Comme annoncé, elle instaure un congé maternité unique de seize semaines pour toutes les femmes au statut professionnel atypique: les pigistes, les auto-entrepreneuses, les intermittentes du spectacle et les professions libérales. Une mesure salée. Mais le gouvernement a fait traîner le vote de la loi de bioéthique qui autorise la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de même sexe et aux célibataires. Ce sujet progressiste n'est jamais devenu prioritaire durant le mandat. Et tant pis si les Français y étaient en majorité favorables!

Marlène Schiappa a laissé aux oubliettes une autre proposition qu'elle soutenait avant de prendre ses fonctions: «l'éga-conditionnalité des aides publiques». Soutenue par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE)[4], cette méthode consiste à attribuer des financements et des aides uniquement aux ministères et aux entreprises qui respectent la mixité de leurs effectifs, la parité aux postes de direction et appliquent les mesures légales en matière d'égalité professionnelle. Cela impliquerait par exemple de ne pas soutenir des entreprises de l'aéronautique et de l'automobile en temps de crise parce qu'elles se fichent de l'égalité toute l'année[5]. L'éga-conditionnalité des aides publiques est un outil puissant de lutte contre le féminisme washing.

Mais c'est sur une dernière mesure, annoncée en fanfare par Macron, que le washing est le plus manifeste. En octobre 2020, le président se félicite de l'allongement du congé paternité –ou second parent– à vingt-huit jours dont sept obligatoires. Les études prouvent qu'une application large de ce dispositif permet de lutter contre la discrimination des femmes à l'embauche et dans l'accès aux postes de management.

Pourtant, dans les couloirs discrets de Bruxelles, la France fait partie des pays qui ont bloqué les discussions sur la directive pour l'«équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants». La Commission européenne proposait que chaque parent ait droit à quatre mois de congé, non transférables à l'autre, à prendre de façon fragmentée, et rémunérés à la hauteur des indemnités maladie du pays. En France, un tel congé aurait été compensé à hauteur de 50% du salaire journalier. Il aurait remplacé le «congé parental» actuel, rémunéré 400 ridicules euros par mois. On pouvait espérer un réel progrès social.

En effet, le faible montant de l'indemnité n'encourage guère les hommes à avoir recours au congé parental, parce que leur salaire est souvent plus important que celui de leurs conjointes. «Il faut travailler sur la proposition. J'en approuve les principes, mais c'est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable», explique à l'époque le président Macron. Entre les femmes et les entreprises, il a une nouvelle fois accordé la priorité aux secondes. Pas très féministe.

 

1 — Pour rappel, le féminisme universaliste défend l'égalité en droit des citoyens, hommes ou femmes, personnes blanches ou racisées, en insistant sur ce qui les rapproche. Il veut défendre toutes les femmes sans tenir compte de leurs différences dont leur origine ethnique ou leur religion. Retourner à l'article

2 — Les 13% d'augmentation promis par Marlène Schiappa ne sont qu'un tour de passe-passe: le budget du Planning familial a été déplacé dans cette colonne (Caroline De Haas, «Décryptage du budget dédié à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles», 27 novembre 2017). Retourner à l'article

3 — Après deux classements sans suite du parquet de Paris, la procédure a été rouverte par la cour d'appel en juin 2020 parce que l'enquête avait été bâclée. Gérald Darmanin a été entendu en décembre comme «témoin assisté» par la juge d'instruction, d'après l'AFP. La plainte pour abus de faiblesse a été classée sans suite en 2018. Retourner à l'article

4 — L'autrice de cet ouvrage siège à la Commission stéréotypes du HCE depuis le printemps 2019, mais n'a pas participé à la rédaction de cet avis. Retourner à l'article

5 — Les Glorieuses notent que le mot «femme» est carrément absent du plan de relance économique de 2020. Retourner à l'article

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