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Zahia D., le nouveau coup de boule de Zidane

La call-girl «entendue» dans l'«affaire Ribéry» est rentrée dans l'imaginaire populaire.

Temps de lecture: 5 minutes

Nathalie Kosciusko-Morizet vient de dévoiler un projet de charte sur le droit à l'oubli numérique. Pour Zahia D., l'initiative restera définitivement à l'état de projet. Celle que le web identifie comme étant la jeune fille de 18 ans, call-girl «entendue» dans l'«affaire Ribéry», a perdu à vie toute dignité sur Google où sont affichées de nombreuses photos d'elle à moitié dénudée. En quelques heures de déchaînement numérique, Zahia D. a perdu tout droit à l'oubli, devenant tout à la fois une star, une anti-star, une icône pop et un sujet de moquerie.

Le destin médiatique de Zahia D. débute mercredi 21 avril vers 10h quand Le Monde révèle son prénom et son initiale. Vieille pratique journalistique en matière de fait divers, le fait de donner le prénom et pas le nom permet de maintenir un certain anonymat, évitant par exemple le harcèlement téléphonique. C'est oublier que 15 millions de Français sont maintenant inscrits sur Facebook: avec un prénom, une initiale et quelques éléments de contexte, il est possible de retrouver quiconque. En quelques heures, la «Zahia D.» du Monde se transforme en un profil Facebook, et donc en un visage. La page était simple à trouver: il suffisait de taper «Zahia» dans les amis d'Abou S., autre protagoniste de l'affaire.

670.000 résultats sur Google

Rien ne prouve jusqu'à présent que cette Zahia Facebook soit bien la fameuse Zahia D. Tant pis, l'image est trop belle. Ces photos d'une bimbo blonde aux seins visiblement refaits qui pose dans les plus beaux hôtels de Dubaï alimentent la légende en marche. Les médias étrangers balancent immédiatement les photos, les médias français hésitent et les blogs «buzz», zone grise de la presse en ligne, s'y lancent sans états d'âme. Ces sites semi-professionnels -qui maîtrisent le référencement sur les moteurs de recherche comme personne- ont immédiatement publié les photos, pourrissant irrémédiablement la requête «Zahia D.» sur Google. Tous veulent rééditer l'exploit du leader du secteur, Chauffeur de buzz, qui s'était offert une rente à vie en 2007 en se plaçant premier sur «Laure Manaudou nue», la requête la plus bankable de l'histoire du buzz français.

Leparisien.fr a fait les comptes: le mercredi à midi, sur Google, le nom de Zahia renvoyait à 200 résultats. 5 minutes plus tard, on en était déjà à 400. Le lendemain à 10h, 115.000 réponses et 670.000 à 15h. L'actualité s'écrit aussi sur Google. Une vidéo YouTube d'une prestation supposée de Zahia dans une émission de NRJ12 a dépassé les 800.000 vues avant qu'elle ne soit bloquée par le site de vidéo sur le territoire français.

La Zahia de Facebook a bloqué très vite son compte Facebook pour que les photos ne soient plus apparentes, mais trop tard, elles étaient déjà disséminées partout. La vague du web a déferlé, Zahia ne peut plus que constater les dégâts. C'est le terrible théorème de l'Internet: il suffit qu'un seul internaute ait enregistré les photos pour que l'ensemble du web puisse potentiellement en être irrigué. La jeune femme pourra toujours méditer cette phrase de NKM: «La photo de vous nue la plus facile à enlever d'Internet, c'est celle que vous n'y avez jamais mise.»

Le cas Kerviel

Mais comment Zahia pouvait-elle savoir qu'elle deviendrait une figure médiatique? Tant qu'on reste entre friends Facebook, pas de problème à s'exhiber. Les nouveaux obus médiatiques, dont le nom est outé par un article de presse, n'ont aucune manière de se défendre face à la déferlante numérique. On se souvient du cas Jérôme Kerviel dont le nom a soudainement débarqué dans l'actualité un jour de janvier 2008. Pas d'histoire de sexe, plutôt des mécanismes financiers extrêmement complexes mais cette figure du trader solitaire qui fait dérailler le capitalisme en fera une star immédiate sur Internet. Invisible dans les médias dans les premiers jours, barricadé derrière son compte Facebook (qui perdra lentement ses 11 amis, craignant d'être inquiétés par la justice), Jérôme Kerviel regardera passer en silence les très nombreuses friend requests. Il n'avait heureusement pour lui aucune photo disponible mais sa présence en ligne sera auscultée dans le monde entier, son nom googlé à la recherche du moindre indice.

Les vraies stars gèrent, elles, au cordeau leur présence en ligne. On voit ce phénomène avec les miss régionales qui blindent leurs comptes Facebook à la veille de l'élection Miss France qui peut propulser ces anonymes dans la célébrité. Mais que peuvent faire les stars d'un jour, victimes des indiscrétions d'une procédure judiciaire?

La «mémification»

Cette nouvelle forme de vague médiatique, typique des années 2000, se fonde sur une culture pop en recherche perpétuelle d'icônes. Dès que ses supposées photos sont apparues, Zahia D. est devenue un «mème», c'est à dire un objet culturel recyclé à l'infini sur les différents réseaux sociaux. La «mémification» est une nouvelle forme de starification qui prend des formes beaucoup plus subtiles que la traditionnelle «curée médiatique». Certes les internautes sont très moqueurs -et les nombreux groupes Facebook, blagues Twitter ou montages photos créés pour l'occasion en témoignent- mais cela dénote aussi une vraie créativité populaire. On peut y voir un scandaleux accès de machisme, comme le dénonce le blog C'est la gêne. On peut aussi constater comme lepost.fr qu'«une nouvelle star est née».

Car l'emballement d'Internet est à la fois cruel et admiratif. Toutes ces groupes Facebook célèbrent l'arrivée d'une nouvelle icône. Le phénomène rappelle l'itinéraire d'Ashley Alexandra Dupre, la call-girl qui a fait démissionner le gouverneur de New York, Eliot Spitzer en 2008 (à la différence que Zahia D. était mineure au moment des faits et que les photos ne sont pas avérées). Il est intéressant de rappeler son histoire.

L'exemple américain

Le nom d'Ashley Alexandra Dupré est révélé le 13 mars 2008 dans un article du New York Times. Aucune précaution comme en France, son nom apparaît d'emblée en entier. Le prestigieux quotidien balance en illustration des photos... tirées de son MySpace. On apprend que la prostituée de luxe est aussi une piètre chanteuse de R'n'B qui tente vainement de vendre ses MP3 en ligne. Immédiatement, la machine à mèmes se met en place et Ashley Alexandra Dupre devient une star du web, inépuisable source créative de moqueries. De très nombreux internautes essayent de l'ajouter en ami sur Facebook et MySpace. (L'un d'entre eux se glorifiera même sur son blog d'avoir eu une réponse de la call-girl). La vague médiatique est tellement importante qu'un industriel du porno lui propose 1 million de dollars pour poser nue. La vente de ses chansons explose sur le net, les estimations les plus basses lui prédisant au moins 13.000$ pour son médiocre R'n'B.

Un an et demi après avoir été outée par le New York Times, Ashley Alexandra Dupré devient chroniqueuse pour le New York Post. Elle a aussi été en négociations pour être la star d'une émission de télé-réalité et a finalement posé nue pour Playboy. Quant à sa page MySpace qui avait illustré par ses photos suggestives toute la presse américaine lors de la révélation du scandale, elle est maintenant celle d'une vraie professionnelle de la chanson. Avec la mention «OFFICIAL PAGE».

Zahia D. aura-t-elle un jour une fan page officielle sur Facebook? Participera-t-elle à Secret Story 4? Fera-t-elle la une d'Entrevue contre quelques milliers d'euros? Rien ne dit qu'elle sortira par le haut de toute cette histoire, mais les cruels jeux du cirque numérique -qu'on appelle maintenant le «LOL»- génèrent paradoxalement des héros.

C'est humainement contestable, mais culturellement indéniable: Zahia D. est la nouvelle main de Thierry Henry, le nouveau coup de boule de Zidane, autrement dit le nouveau «mème» officiel de l'équipe de France voué à d'infinies parodies. L'iconographie officieuse, le jpeg dégueulasse qui vient contrer les images officielles en haute-définition de TF1.

Vincent Glad

Photo: Capture d'écran France-Italie, TF1

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