Santé

Le mouvement pour la neurodiversité, un progrès pour les personnes autistes?

Avec ce concept militant, qui considère qu'il existe une diversité des cerveaux humains et des fonctionnements neurologiques, l'autisme est vu comme une simple différence, pas une pathologie.

Les partisans de la neurodiversité affirment que leurs difficultés disparaîtront en adaptant la société à leurs différences. | Annie Spratt <a href="https://unsplash.com/photos/5HPwoy7NmmU">via Unsplash</a>
Les partisans de la neurodiversité affirment que leurs difficultés disparaîtront en adaptant la société à leurs différences. | Annie Spratt via Unsplash

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Corpulence, traits du visage, carnation: nos différences sont infinies, et il en va de même pour notre cerveau. Il existe autant de fonctionnements cognitifs que d'individus sur Terre. La notion de neurodiversité englobe ce constat et va au-delà: «Les différences neurologiques [doivent être] reconnues et respectées comme toute autre variation humaine.»

Neurodiversité? Forgée en 1998 par le journaliste Harvey Blume et la militante Judy Singer en appui des revendications portées par les personnes concernées depuis les années 1960, cette notion bouleverse la notion même de handicap. Loin d'être une pathologie qu'il faudrait absolument guérir, il ne serait au contraire qu'un décalage face au manque d'adaptation d'une société exclusivement conçue par et pour des personnes valides.

Ainsi, une personne autiste est-elle atteinte d'un trouble qu'il faudrait soigner voire éradiquer, si elle a accès à des lieux où son hypersensibilité sensorielle est prise en compte, avec une moindre luminosité par exemple? Ses gestes perçus comme brusques et répétitifs (battre des mains, secouer les membres, se frotter la tête, etc.) pourraient être aussi bien tolérés que les gestes réflexes que nous faisons tous, comme croiser et décroiser les jambes en position assise.

Car certaines pratiques varient d'une société à l'autre; comme parler en regardant l'autre en face, qui n'est pas un comportement naturel partout. «Regarder dans les yeux est mal vu au Japon. Même chose pour la capacité à tenir ses couverts à table: lorsque l'on a des troubles praxiques importants, on est vu comme quelqu'un de peu autonome et défavorisé dans des cultures où il faut manger avec des couverts ou sans se salir, mais pas dans des cultures où l'on mange avec les doigts», explique Thibault Corneloup, porte-parole du Collectif pour la liberté d'expression des autistes (CLE Autistes).

Et si la perception de l'autisme comme pathologie n'était finalement qu'une affaire de conventions sociales?

L'autisme, une simple différence?

«L'autisme en tant que tel ne vous fait pas souffrir. Ce qui vous fait souffrir, c'est l'exclusion, c'est le rejet», témoigne l'auteur Josef Schovanec.

Les partisans de la neurodiversité affirment que leurs difficultés en tant que personnes autistes disparaîtront avec «les nombreuses barrières physiques, culturelles et sociales d'une société qui ignore nos besoins sensoriels, notre style cognitif ou de communication. Nous voulons par exemple plus de recherches sur les méthodes de communication alternatives permettant d'exprimer plus de besoins ou d'avis quand le langage oral ne peut être utilisé», revendique Thibault Corneloup.

Les défenseurs du concept de neurodiversité seraient très souvent des personnes atteintes du syndrome d'Asperger.

L'autisme ne serait donc pas un trouble ni une pathologie, mais une simple différence. Un premier constat se dégage ainsi, d'après M'Hammed Sajidi, président et fondateur de Vaincre l'autisme, association active depuis vingt ans qui a déjà remporté plusieurs batailles juridiques déterminantes: selon lui, les défenseurs du concept de neurodiversité seraient très souvent des personnes atteintes du syndrome d'Asperger, qui ne souffrent pas de difficultés lourdes aux niveaux intellectuel et cognitif.

Des troubles pluriels

Il faut dire que la notion d'«autisme» recouvre une multitude de réalités. L'autisme est un «trouble précoce du développement du système nerveux central», selon la définition de la Haute Autorité de santé.

Reconnu comme un handicap en France depuis 1996, l'autisme se caractérise par des difficultés à lire et comprendre les émotions d'autrui, une incompréhension de l'implicite et donc une difficulté à nouer des relations sociales, des centres d'intérêt restreints, des gestes stéréotypés et répétitifs et une sensibilité sensorielle surdéveloppée.

«Certaines personnes autistes ont exprimé le souhait de voir l'autisme soigné. Cela suscite l'indignation des partisans de la neurodiversité.»
Jonathan Mitchell

Le trouble du spectre autistique (TSA), comme il est convenu de l'appeler en référence au DSM-5 (dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), concerne environ 1% de la population selon l'Inserm. «Les études les plus récentes parlent aujourd'hui d'1 naissance sur 50», précise le Livre blanc scientifique et international de l'association Vaincre l'autisme, publié en 2018.

L'autisme, c'est aussi parfois une incapacité à parler, une surcharge d'émotions et d'angoisses face à l'incommunicabilité qui peut entraîner des comportements violents, destructeurs ou des automutilations. Mère d'un enfant gravement atteint, l'autrice américaine Amy S.F. Lutz a ainsi recueilli sur son blog des témoignages de parents qui évoquent des agressions physiques d'enseignantes, d'élèves et de personnes inconnues, mais aussi des troubles alimentaires, des insomnies chroniques, etc.

Plus de la moitié des enfants autistes ont des comportements violents envers les autres et/ou eux-mêmes, révèle ainsi une étude publiée en 2013 dans la revue Research in Autism Spectrum Disorders. Et 31% des enfants diagnostiqués avec un TSA présentent une déficience intellectuelle associée.

Un concept militant ou scientifique?

Concerné lui-même par ce trouble, l'Américain Jonathan Mitchell ne se reconnaît pourtant pas dans le discours des militants en faveur du concept de neurodiversité. «Certaines personnes autistes dont moi-même ont exprimé le souhait de voir l'autisme soigné. Cela suscite l'indignation des partisans de la neurodiversité. Ils assimilent un remède à l'autisme à l'eugénisme et au génocide. [...] Beaucoup de personnes autistes ne savent ni parler ni utiliser un ordinateur. Ils ne peuvent pas s'opposer à la “neurodiversité” parce qu'ils ne peuvent pas exprimer leur position. Ils sont trop handicapés, pourrait-on dire.»

Selon M'Hammed Sajidi, le discours d'associations comme le CLE Autistes n'est que l'avis d'un groupe de personnes sur un sujet qui, en effet, ne concerne qu'elles: leur santé. La notion de neurodiversité, à la fois descriptive et normative, n'a aucun fondement scientifique, rappelle-t-il. C'est un concept militant qui ne doit pas prévaloir sur des données factuelles.

Dans les faits, l'autisme est une maladie dont on ne connaît pas les causes. En tant que maladie, l'autisme entraîne un handicap, c'est-à-dire une vulnérabilité dans l'accès aux droits. La mission première de l'association est de garantir l'accès aux droits fondamentaux, notamment une adaptation du système scolaire. En cela, elle rejoint les revendications liées à la neurodiversité. M'Hammed Sajidi dénonce ainsi les incapacités du système de santé lui-même, qui montre un manque criant de connaissances de la maladie et de ressources pour accompagner ces personnes.

Cela étant, et c'est le propos de Vaincre l'autisme grâce à qui des méthodes abusives comme le packing et l'usage de neuroleptiques a été interdit en France, dénoncer une situation d'exclusion ne signifie pas nier que l'autisme est une «aberration neurologique» qui entraîne de graves difficultés et que la majorité des personnes autistes souffrent d'un handicap cognitif. Puisse le progrès dans l'accès aux droits ne pas se faire aux dépens de la recherche médicale vers une moindre souffrance.

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