Santé

Pourquoi l'industrie pharmaceutique doit investir dans la recherche de médicaments contre le Covid

Alors que les médias et le grand public concentrent leur attention sur les vaccins, évidemment essentiels pour sortir de la crise, il ne faudrait pas négliger l'importance de poursuivre les recherches concernant les traitements.

Les médicaments déjà existants testés contre le Covid-19 sont sélectionnés parce qu'ils ont une efficacité antivirale constatée en laboratoire. | ThisisEngineering RAEng <a href="https://unsplash.com/photos/qI7USKbZY_A">via Unsplash</a>
Les médicaments déjà existants testés contre le Covid-19 sont sélectionnés parce qu'ils ont une efficacité antivirale constatée en laboratoire. | ThisisEngineering RAEng via Unsplash

Temps de lecture: 9 minutes

Aujourd'hui, les spécialistes s'accordent: le SARS-CoV-2, virus responsable du Covid-19, pourrait bien persister parmi nous pour des années, sinon pour toujours. Plusieurs raisons expliquent que la maladie a des chances de devenir endémique et de persister.

D'abord, le SARS-CoV-2 est originellement une zoonose, c'est-à-dire qu'il a été capable de passer de l'animal à l'humain et réciproquement. On l'a ainsi vu se transmettre vraisemblablement d'une chauve-souris à un humain via un hôte intermédiaire qui n'a pas encore été identifié. On a vu par la suite que l'humain a pu le transmettre au vison et réciproquement, le vison à l'humain, comme au Danemark. Ce mouvement de va-et-vient entre espèces le rend encore plus difficile à contrôler... car on ne peut pas éliminer tous les animaux potentiellement porteurs et vecteurs. La seule maladie que l'on a réussi à éradiquer de la planète, comme la variole, avait uniquement des hôtes humains. On n'arrive pas à éradiquer la rougeole qui n'a pourtant pas d'autre hôte que l'humain, et la poliomyélite est difficile à éradiquer notamment parce que son virus survit dans l'environnement (l'eau en particulier).

Ensuite, le SARS-CoV-2 est relativement peu pathogène, en comparaison par exemple au SARS-CoV ou à Ebola. Chez certaines personnes, il ne provoque pas de symptômes, chez une majorité d'autres, il en provoque de relativement bénins et peu caractéristiques. C'est un atout évolutif car cela lui permet d'infecter son hôte et de le rendre contagieux sans que celui-ci s'en rende compte, ne soit immédiatement isolé et sans le tuer en quelques heures ou quelques jours. En outre, les personnes atteintes sont contagieuses durant l'incubation, avant qu'elles ne développent de symptômes. Ce virus sait donc rester discret et se répandre ni vu ni connu dans la population, et ce d'autant plus au sein de populations précaires et qui n'ont pas toujours accès aux tests virologiques. S'il ne provoquait pas chez une partie de la population des conséquences dramatiques, le SARS-CoV-2 serait l'exemple typique des virus avec lesquels l'humain pourrait accepter de cohabiter, à l'instar des rhumes ou de nombreux virus du groupe herpès.

Par ailleurs, on constate à travers le monde l'émergence de différents variants plus contagieux que la souche originelle dont on ne sait pas encore à quel point ils risquent d'échapper à l'immunité conférée par la vaccination. Faute d'un endiguement rapide, le virus va continuer à muter, avec possiblement une transmissibilité accrue –même si, avec un peu de chance à moyen long terme, mais nous n'en savons rien encore, il pourrait avoir une dangerosité moindre.

Enfin, la vaccination ne saurait être universelle à court et même à moyen terme, et ce même si les vaccins restaient efficaces contre tous les variants du SARS-CoV-2. À l'échelle française et plus largement occidentale, on voit déjà qu'il y a et aura des disparités de couverture selon les différents segments de la population (les moins de 16 ans sont pour le moment exclus de toute stratégie vaccinale puisque les vaccins ne sont pas homologués pour eux, alors qu'ils contractent le Covid-19 et transmettent le virus au moins autant que les adultes). Par ailleurs, à l'échelle mondiale, la distribution des vaccins s'annonce plus lente et difficile qu'espéré initialement, notamment dans les pays les plus pauvres.

Ainsi, en l'absence de mesures strictes pour contenir le virus et faute d'une stratégie vaccinale rapide et large à l'échelle de la planète, le SARS-CoV-2 devrait continuer à se propager et à muter, provoquant des épidémies de Covid-19 plus ou moins brutales et sévères à travers le monde.

Même si la prise en charge des malades s'est améliorée depuis le début de la pandémie, il n'existe toujours pas à ce jour de traitement spécifique antiviral.

D'ici à ce que le virus mute suffisamment pour perdre en pathogénicité –si cela se produit–, il y aura encore peut-être pour de longues années des malades à prendre en charge et autant que possible à sauver de complications sévères. Il faudra aussi trouver des solutions thérapeutiques pour permettre aux patients souffrant de Covid long de recouvrer la santé. La persistance de symptômes plusieurs semaines ou mois après les premières manifestations a en effet été décrite chez plus de 20 à 30% des patients après cinq semaines et plus, et chez plus de 10% des patients après trois mois, ce qui représente un enjeu de santé publique supplémentaire.

Dans ce contexte et en parallèle à de larges campagnes de vaccination rapides et efficaces et à des mesures permettant de restreindre au maximum la propagation du SARS-CoV-2, la recherche de traitements doit se poursuivre sans relâche. Même si la prise en charge des malades s'est améliorée substantiellement depuis le début de la pandémie grâce à une collaboration mondiale entre les scientifiques et les soignants qui ont pu partager leurs connaissances, il n'existe toujours pas à ce jour de traitement spécifique antiviral du Covid.

Molécules testées et écartées

Depuis plus d'un an maintenant, le corps médical a développé une expérience et des techniques améliorant l'efficacité de l'hospitalisation, comme par exemple placer le patient intubé dans une position couchée sur le ventre (décubitus ventral) pour aider à répartir l'oxygène plus uniformément dans les poumons. Même l'intubation se fait moins fréquente avec le recours à l'oxygénothérapie à haut débit pour traiter les détresses respiratoires aiguës.

En parallèle, la recherche sur les médicaments contre le Covid a pu avancer. Dès début 2020, compte tenu de l'urgence de la situation, les scientifiques ont immédiatement amorcé des essais portant sur le repositionnement de molécules déjà existantes. L'idée était d'évaluer l'efficacité sur le Covid-19 de médicaments présents sur le marché mais utilisés dans d'autres indications. Ces médicaments sont sélectionnés parce qu'ils ont une efficacité antivirale constatée en laboratoire ou parce que l'expérience et l'observation cliniques suggèrent qu'ils pourraient avoir une efficacité sur l'évolution de la maladie.

Cette approche permet de gagner un temps considérable sur le développement d'un médicament, qui dure habituellement plusieurs années, puisqu'elle fait l'économie des étapes critiques et souvent longues servant à démontrer l'innocuité d'un médicament lors des essais précliniques (chez l'animal) et les essais dits de phase I et II.

De nombreuses molécules candidates ont été mises sur la touche les unes après les autres lors des grands essais cliniques.

Étant donné que ces médicaments sont déjà sur le marché, on connaît bien leur profil de tolérance chez l'humain: il n'est plus nécessaire de le redémontrer. Jusqu'à présent cependant, ces essais de repositionnement n'ont eu que des résultats limités.

On pense bien sûr à l'hydroxychloroquine qui, si elle a beaucoup fait parler d'elle, n'a pas su montrer de bénéfices préventifs ou curatifs sur la maladie. Certes, une action de l'hydroxychloroquine a été observée ex vivo (c'est-à-dire en laboratoire, sur des cellules vivantes infectées par le coronavirus), mais les essais cliniques de phase III (ceux qui évaluent l'efficacité d'un nouveau médicament contre placebo et dont on ne peut pas faire l'impasse pour autoriser sa mise sur le marché) conduits par de grands consortiums internationaux ont tous été négatifs par la suite pour l'hydroxychloroquine.

D'autres molécules candidates, qu'elles aient pour objectifs de cibler le virus, de mimer la réponse immunitaire ou de prévenir l'orage de cytokines (réaction hyper-inflammatoire de l'organisme) ont également été mises sur la touche les unes après les autres lors des grands essais Recovery, Discovery, Solidarity ou Covidoc.

Ainsi, les traitements utilisant par exemple le remdesivir, le lopinavir/ritonavir, les interférons ou l'azithromycine combinée ou non avec l'hydroxychloroquine ont été écartés.

Biais d'enthousiasme

Seule la dexaméthasone, un anti-inflammatoire peu onéreux et de facture ancienne, c'est-à-dire génériqué et facile à produire, a tiré son épingle du jeu: on a pu démontrer qu'elle permettait de réduire la mortalité de 30% lors de formes sévères de Covid ainsi que les passages en réanimation. Elle est désormais administrée systématiquement chez les patients qui peuvent en tirer un bénéfice afin de limiter la poussée inflammatoire de la maladie dans les formes graves.

L'inhibiteur de l'interleukine Tocilizumab a pu, grâce à l'essai Recovery, faire montre d'une capacité à réduire la mortalité des patients hospitalisés. C'est en revanche un traitement onéreux. D'autres essais en cours devraient venir confirmer son apport et sa place dans l'arsenal thérapeutique contre la maladie.

À l'instar de la récente mais vaine effervescence au sujet de la colchicine, nous verrons sans doute encore de nouveaux emballements autour de molécules connues et nous devrons toujours être prudents face à l'annonce de solutions miracles en raison des biais d'enthousiasme bien connus dans le domaine de la recherche.

L'un des dangers des effets d'annonce prématurée est de voir l'automédication engendrer des effets délétères alors que l'on n'a pas encore prouvé le moindre effet bénéfique.

Un chercheur est toujours convaincu de l'intérêt de sa découverte et son enthousiasme est souvent communicatif devant le désarroi de la population, des politiques et des cliniciens. Si l'histoire est truffée de ces coups de génie qui ont pu changer le visage de certaines maladies, il est toujours nécessaire de procéder à une évaluation objective de l'efficacité et de la tolérance des nouveaux traitements proposés. L'urgence de la situation ne doit pas justifier une précipitation qui pourrait s'avérer préjudiciable aux patients.

La vitamine D, par exemple, a été envisagée comme traitement ou comme adjuvant au traitement. Mais pour le moment et bien que des études soient encore en cours, elle n'a pu démontrer son efficacité. Or, on sait qu'administrée en excès, cette vitamine peut provoquer des troubles du rythme cardiaque, des dommages aux reins, des nausées, des maux de tête ou des douleurs musculaires. L'un des dangers que représentent les effets d'annonce prématurée sur ce type de médicament est de voir l'automédication engendrer des surdosages et des effets délétères alors même que l'on n'a pas encore prouvé le moindre effet bénéfique.

Pas de profit, pas d'engagement de l'industrie pharmaceutique

Jusqu'au moment où le SARS-CoV-2 n'avait que très peu muté, l'industrie pharmaceutique n'avait pas ou peu d'intérêts économiques à développer des médicaments propres au Covid-19. Le repositionnement de médicaments sous brevet peut être financièrement rentable, comme cela aurait été le cas avec le remdesivir s'il s'était avéré efficace ou comme ça le sera peut-être pour le Tocilizumab. En revanche, il n'existe aucun instrument incitatif à notre connaissance pour favoriser le repositionnement de médicaments génériqués.

C'est dommageable, car l'industrie pharmaceutique dispose d'un savoir-faire pour conduire des vastes essais cliniques avec la rigueur méthodologique nécessaire. Les équipes hospitalo-universitaires, si elles sont pionnières dans la découverte de nouvelles molécules, sont rarement équipées en compétences et en expérience suffisante pour conduire le développement d'un médicament. C'est le métier de l'industrie pharmaceutique. Mais elle fonctionne sur un mode capitalistique qui, bien qu'elle ait prouvé son efficacité, comporte ses limites. En l'absence de profit au bout du chemin, elle ne partira pas dans la course.

Si un médicament repositionné s'avérait efficace, il ne pourrait pas être protégé dans sa nouvelle indication par un brevet qui lui garantirait un prix permettant à l'industriel de rentrer ne serait-ce que dans ses coûts de développement. Le médicament est génériqué et se produit partout dans le monde à prix coûtant.

Quel est l'intérêt industriel de trouver et développer un médicament qui sera mis sur le marché lorsque le virus qu'il cible aura déjà été éradiqué?

Au début de l'épidémie, il aurait fallu être naïf pour penser que l'industrie pharmaceutique allait immédiatement se tourner vers le développement de nouvelles molécules spécifiques du traitement du Covid. Le risque industriel est grand car il suppose de faire le pari que la maladie sera toujours là dans dix ans pour qu'un tel investissement puisse être rentable.

En général, il faut compter une dizaine d'années et un bon milliard d'euros pour compter sortir une nouvelle molécule dans une maladie donnée. Un laboratoire pharmaceutique n'investit pas pareille somme sans avoir une certaine garantie de retour sur son investissement. Lorsqu'il s'agit d'un traitement contre le cholestérol, l'hypertension ou le diabète qui affecte des pans entiers de la population humaine, y compris la population des pays fortunés, alors c'est relativement aisé de convaincre son conseil d'administration du bien-fondé de son investissement. Mais pour le Covid-19, quel est l'intérêt industriel de trouver et développer un médicament qui sera peut-être mis sur le marché lorsque le virus qu'il cible aura déjà été éradiqué, ou du moins éliminé dans ses formes compliquées et graves par la vaccination?

La prudence est de mise

Aujourd'hui, la donne semble en train de changer. Si la vaccination reste un enjeu à court et moyen termes, les traitements pourraient devenir un enjeu à moyen et beaucoup plus long termes, donc un investissement potentiellement intéressant sur le plan industriel. Il est ainsi temps de songer à s'extraire des stratégies de repositionnement finalement décevantes, d'investir dans une recherche de nouvelles molécules et d'accompagner les BioTech dans ce domaine. En France, certaines sont déjà dans la course, comme Xenothera qui est actuellement en phase III des essais sur un cocktail d'anticorps monoclonaux, ou comme Abivax dont l'étude clinique sur un traitement antiviral et anti-inflammatoire devrait donner de premiers résultats fin avril 2021.

Le temps de la recherche et du développement des médicaments est long, autrement plus long que le temps qu'il faut à la population pour s'épuiser par les vagues épidémiques et les épisodes de reconfinements et déconfinements répétés.

Là encore, journalistes, médecins et scientifiques devront faire preuve de réserve et de vigilance vis-à-vis de leurs biais d'enthousiasme et de leur tendance à une certaine fascination pour l'innovation et les nouvelles technologies. Nous sommes tous impatients de voir émerger des solutions innovantes qui pourraient épargner des vies et des souffrances. On invitera aussi les experts à la même vigilance concernant leurs interactions parfois nécessaires (comment réaliser des essais cliniques sans la participation active des cliniciens-chercheurs?) avec les laboratoires fabriquant ces innovations médicales. Les liens d'intérêts ne se résument pas aux aspects financiers mais également à une proximité intellectuelle, voire parfois affective, qui peut fausser ou pervertir le jugement et qui demande à tout le moins la plus grande transparence.

 

Laure Dasinieres et le Pr Antoine Flahault déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt d'aucune sorte avec des laboratoires pharmaceutiques opérant sur le Covid-19 depuis le début de la pandémie jusqu'à ce jour.

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