Égalités

Les petits secrets du Collectif Némésis, ces «Femen d'extrême droite»

Il semble n'être qu'un pion dans la stratégie anti-immigration et anti-islam opérée par les identitaires français.

Manifestation du Collectif Némésis le 31 janvier 2021. | Capture d'écran collectif_nemesis <a href="https://www.instagram.com/p/CKtDAQ2qry-/?utm_source=ig_web_copy_link">via Instagram</a>
Manifestation du Collectif Némésis le 31 janvier 2021. | Capture d'écran collectif_nemesis via Instagram

Temps de lecture: 7 minutes

Le 31 janvier, une vingtaine de membres du Collectif Némésis manifestaient en niqab (voile intégral) pour ce qu'elles ont appelé le #NoHijabDay, prenant le contre-pied du World Hijab Day qui encourage toutes les femmes à porter le hijab en solidarité avec les femmes stigmatisées.

Si le port du voile est un sujet de discorde dans les cercles féministes, le projet du Collectif Némésis n'a pas en tête de dénoncer l'oppression dont peuvent être victimes les femmes musulmanes mais bien de se manifester contre ce qui constitue pour elles une menace absolue: l'islamisation de la société qui ferait que d'ici quelques années, toutes les femmes en France porteraient le hijab (ou le niqab, puisque selon elles et sur le principe de la pente glissante, c'est la même chose.)

#MeToo prétexte à défendre une idéologie anti-immigration

Le sujet du Collectif Némésis, composé de jeunes femmes entre 18 et 30 ans, c'est l'idée selon laquelle l'immigration serait «un frein à l'épanouissement des femmes en Europe». Le mouvement, créé à la suite de #MeToo et de la prétendue agression par un migrant d'une jeune femme à Calais en 2019, s'est construit sur «l'invisibilisation des violences faites aux femmes par les immigrés». «Il était temps que les femmes libèrent leur voix», explique Alice, 23 ans, assistante en ressources humaines en alternance et présidente du Collectif Némésis. «Nous, ce que nous voulons, c'est les femmes qui se font violer par des migrants, qui subissent l'immigration ne soient pas invisibilisées. Cela crée des drames. Il faut agir avant.»

Leur combat: la préservation de la femme blanche face à la menace des hommes dits «extra-européens»: «Nous avons un regard extrêmement critique sur l'immigration, expose Alice. Notre veille médiatique nous permet de nous rendre compte de ce qui se passe au quotidien dans le cadre des violences faites aux femmes. De par notre expérience, nous savons qu'il y a une forte propension des personnes issues de l'immigration à commettre des violences sexuelles envers les femmes, ce qui s'explique par le choc culturel et par une mauvaise politique d'intégration. Nous dénonçons bien évidemment cela. Nous pensons qu'il faudrait expulser les étrangers qui commettent des actes de violences sexuelles/sexistes envers les femmes. Pour nous, c'est une urgence.»

«Leurs objectifs sont clairement ceux de l'extrême droite: sécuritaires, anti-immigration et anti-islam», commente Florence Rochefort, chercheuse au CNRS, spécialiste de l'histoire du féminisme, coautrice de Ne nous libérez pas, on s'en charge – Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours avec Bibia Pavard et Michelle Zancarini-Fournel. «Le collectif ne retient du programme féministe que la lutte contre la violence, il surfe sur la vague #MeToo pour s'inscrire dans quelque chose qui serait de l'ordre du féminisme mais l'objectif est clairement politique. On retrouve les références aux “droits et devoirs”, à la défense de la civilisation” qui s'oppose à celle des “immigrés” déclarés responsables de tous les viols.» En somme, leur appropriation du mouvement #MeToo ne sert qu'à défendre une idéologie anti-immigration et anti-islam.

«Il s'agit bien de thèses identitaires teintées de féminisme plus que de féminisme teinté de thèses identitaires.»
Paul Conge, journaliste spécialiste des nouvelles radicalités

Si leur slogan est «Féministes anticonformistes», c'est sans hésitation qu'elles se déclarent identitaires. «Nous sommes assez pionnières dans le féminisme identitaire», s'enorgueillit Alice. Ce qui n'est pas tout à fait faux, estime Florence Rochefort: «Le Collectif Némésis peut sembler surprenant car c'est une posture relativement rare dans le mouvement identitaire dont il se réclame. C'est original dans la fachosphère de se réclamer du féminisme.»

Paul Conge, journaliste spécialiste des nouvelles radicalités et auteur de Les Grand-remplacés – Enquête sur une fracture française, observe: «Elles sont ultra-minoritaires et isolées. Mais, comme il s'agit bien de thèses identitaires teintées de féminisme plus que de féminisme teinté de thèses identitaires, elles constituent quelque chose d'acceptable dans le milieu identitaire.»

Ainsi reçoivent-elles sur les réseaux sociaux des soutiens de Damien Rieu, de Gilbert Collard, de différents membres du RN comme Jean Messiha, de Génération identitaire, de Valeurs actuelles ou de Causeur et ne cachent pas leurs accointances avec Gabrielle Cluzel, Eugénie Bastié ou Charlotte d'Ornellas. À propos de cette dernière, Alice glisse: «Elle a beaucoup de bon sens selon moi, même si elle récuse le terme “féminisme” par crainte d'être assimilée aux féministes de gauche.»

Récupération de figures féministes

Cela dit, elles ne se font pas que des amies à droite. Solveig Mineo, qui se définit comme «féministe occidentaliste», les voit d'un très mauvais œil. Même si elle partage avec le collectif sa posture droitière et anti-islam, elle lui reproche son conservatisme: «Je suis en désaccord total avec Némésis à tous les niveaux, tant sur le fond de leur idéologie que sur la forme, et ne suis pas plus proche d'elles que des communistes. Elles sont conservatrices, tandis que le féminisme occidentaliste est de droite, c'est-à-dire libéral et donc résolument progressiste, notamment dans le champ social et politique. Le féminisme de droite est aussi éloigné du féminisme conservateur que du féminisme de gauche. Le féminisme occidentaliste considère la gauche et le camp conservateur comme tous deux des alliés objectifs de l'arriération misogyne islamique: le premier en instituant un devoir de vivre-ensemble avec les tenants de la charia, le second en promouvant le christianisme, qui est un pont culturel forcé entre Occident et univers mental chariatique.»

«On se réfère aux femmes qui ont bâti l'histoire de France.»
Alice, présidente, cofondatrice et porte-parole du Collectif Némésis

Solveig Mineo poursuit: «Concrètement, le collectif Némésis est un mouvement conservateur identitaire chrétien sauce bleu-blanc-rouge avec un enrobage féministe opportuniste. Parmi les suiveuses de ce mouvement, il y a sans doute quelques sincères féministes conservatrices, mais la fondatrice, Alice Kerviel, est une conservatrice chrétienne avant tout, et la rhétorique féministe est juste un moyen pour elle de se faire une petite notoriété dans les milieux conservateurs.»

De manière plus surprenante, Alice évoque Olympe de Gouges comme référence majeure. «On se réfère aux femmes qui ont bâti l'histoire de France», dit-elle, quitte à prendre quelques largesses avec l'histoire, comme le relève Florence Rochefort: «La référence à Olympe de Gouges est une contre-vérité historique: elle était au contraire une fille des Lumières qui voulait changer l'ordre établi, elle était anti-esclavagiste et pour la défense des droits des femmes. C'est l'exemple même du détournement: on récupère une figure historique pour légitimer son propos, peu importe la vérité historique.»

On pourra également s'étonner de les entendre citer l'ex-Femen Marguerite Stern. Mais cela se justifie uniquement par le fait qu'elles partagent avec elle une vision du féminisme dont les femmes trans sont exclues car non considérées comme des femmes. «Le transactivisme a pris bien trop de place, pense Alice. Nous sommes claires sur ce point: pas de mélange.» Au-delà, elles récusent largement le féminisme qu'elles nomment «mainstream» et qui, selon elles, ne se concentre pas suffisamment sur les «vrais besoins» des femmes (entendez des femmes blanches supposément victimes des hommes immigrés).

Rejet des idées, copie des méthodes

L'égalité femmes-hommes? Pour elles, ce n'est même plus une question puisque la civilisation occidentale «a presque tout fait pour que l'on arrive à une certaine égalité des droits entre hommes et femmes».

«Sous Sarkozy, on a vu l'égalité femmes-hommes être rabattue sur la civilisation française et européenne. On nous a expliqué que l'égalité entre les sexes, les droits et la liberté des femmes étaient des composantes de l'identité française», relate Martine Storti, militante du Mouvement de libération des femmes (MLF), essayiste et autrice de Pour un féminisme universel. Pratique: cela permet de dépolitiser la question en la confondant avec les mœurs ou la culture. «Ce sont désormais des arguments utilisés par Alain Finkielkraut et les auteurs qui écrivent dans Causeur, Valeurs actuelles ou FigaroVox», complète-t-elle.

On retrouve aussi chez le Collectif Némésis tous les arguments des mouvements «anti-genre»: «Nous croyons à la complémentarité hommes-femmes, explique Alice. C'est ainsi que sont les choses, nous ne voulons pas supprimer cette complémentarité, nous la trouvons belle. Les hommes et les femmes sont différents: il y a des différences psychiques et hormonales qui influencent le comportement, nous souhaitons que ce soit maintenu. Que l'on ne nous fasse pas croire que les hommes et les femmes sont identiques.» Comme le constate Florence Rochefort, «on est là tout à fait dans le credo de la Manif pour tous avec l'idée que les hommes et les femmes sont très différents. On pense ici aux Antigones qui s'étaient rendues visibles en manifestant contre le mariage pour tous.»

La récupération des éléments de langage et des méthodes d'activisme féministe, sinon le noyautage, sont une des stratégies les plus visibles du Collectif Némésis, quand bien même ses discours se rapprochent davantage de ceux de la Manif pour tous que de NousToutes ou d'Osez le féminisme. Par exemple, elles assimilent PMA et GPA et les récusent d'emblée l'une et l'autre, que ce soit pour les couples hétéros, les couples de femmes ou les femmes seules.

«Leur méthode repose sur le principe de vider le discours de ses ennemis de son contenu en reprenant leurs termes et en y mettant sa propre idéologie.»
Florence Rochefort, chercheuse au CNRS, spécialiste de l'histoire du féminisme

Sur l'avortement, Alice se prononce sans détour: «On considère qu'il y a énormément sinon trop d'avortements. Nous pensons aux femmes qui l'ont très mal vécu, qui vivent de vrais post-traumas. On ne parle pas assez de ça. Nous savons qu'il existe des pressions des médecins et des conjoints à avorter. Nous dénonçons la sacralisation de l'avortement, on pense qu'il faut le critiquer, faire une prévention, dire que ce n'est pas anodin, dire que c'est une opération qui comporte des risques.»

Florence Rochefort réagit: «Leur méthode repose sur le principe de vider le discours de ses ennemis de son contenu en reprenant leurs termes et en y mettant sa propre idéologie. Ici, on voit bien comment sont réutilisés les termes comme “choix” lorsqu'on parle d'avortement pour sous-entendre que les femmes devraient avoir le choix de ne pas avorter ou que tout les pousse à le faire. C'est un véritable noyautage sémantique. C'est la même chose lorsqu'elles utilisent l'expression “féminisme mainstream”, qui est d'habitude utilisée par les féministes d'extrême gauche.»

Même si elles rejettent par un réflexe automatique tout ce qui vient du féminisme intersectionnel ou universaliste, elles savent très bien reprendre leurs codes. «Les membres du Collectif Némésis jouent aux Femen d'extrême droite, note Paul Conge. Elles attirent l'attention des médias avec des interventions pour se faire remarquer. C'est typique des petits mouvements qui veulent se faire connaître.»

Elles ont également repris le principe des collages féministes qu'elles disent vouloir «compléter» avec des «messages que les autres féministes n'osent pas afficher». On lira par exemple «Rapefugees not welcome» [de l'anglais rape, violer, et refugees, réfugiés]. Elles manient aussi l'art de la communication sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram: codes graphiques affirmés empruntant à l'iconographie d'extrême droite, utilisation de l'image de Némésis (cette déesse vengeresse qui donne son nom au collectif), recours à un discours cash.

Faut-il voir le «féminisme» du Collectif Némésis comme un nouveau cache-nez de l'extrême droite pour se dédiaboliser et essaimer plus large? C'est possible. Reste qu'elles donnent l'impression d'être des cathos tradis et xénophobes qui se sont emparées de la question du féminisme sans avoir vraiment travaillé leurs dossiers.

cover
-
/
cover

Liste de lecture