Boire & manger

Poilâne, l'art du pain français à l'ancienne

Apollonia Poilâne révèle dans une autobiographie les secrets des pains de la célèbre boulangerie familiale, et livre des recettes pour reproduire certaines créations phares.

La devanture de la boulangerie Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria
La devanture de la boulangerie Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

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Dans une autobiographie très documentée, l'héritière Poilâne, avec sa sœur Athena, raconte la saga du pain Poilâne, de la miche ronde, des gâteaux, des tartes et des sablés produits par la boulangerie artisanale qui emploie 160 artisans du métier, du pain au levain et des gâteaux maison.

De l'artisanat industriel qui honore cette famille exemplaire qui n'a jamais dérogé à sa mission: nourrir au mieux l'humanité, le pain étant un ingrédient sacré comme le sel, le sucre et l'huile.

Apollonia et sa sœur cadette Athena incarnent la troisième génération de boulangers créateurs dont le pionnier fut Pierre Poilâne, qui ouvrit la célébrissime boutique de pains en 1932, rue du Cherche-Midi à Paris, dans le VIe arrondissement. Il avait à peine 23 ans et ce fils de paysans normands inventa la boulangerie mythique à Saint-Germain-des-Prés dans un ancien couvent où il installa au sous-sol un four bien particulier: rien sans le feu.

Le fournil de la boulangerie Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

Au lieu de mouler des baguettes de pain blanc, si à la mode alors, il élabore un pain rond au levain (farine et eau) rustique, recouvert d'une croûte épaisse et croustillante.

Ce pain de légende, une trouvaille de génie grâce au levain, allait devenir le produit phare de la boulangerie. Frais, nourrissant, bon marché, on le vendait en tranches (encore aujourd'hui), il restait frais longtemps et fournissait l'énergie suffisante pour de longues journées de travail. C'était la pièce maîtresse du repas à la parisienne vendu à Saint-Germain-des-Prés. Artistes, écrivains et peintres fauchés échangeaient leurs œuvres contre la fabuleuse miche à la mie voluptueuse.

Tout dans la fantastique destinée des Poilâne, le grand-père initiateur, le père, la mère, les filles et les employé·es de la boulangerie, part de ce pain rond spectaculaire orné du «P» de la famille.

La légende Poilâne s'est incarnée dans cette miche mythologique, elle sera suivie de viennoiseries (croissants et brioches divines), de tartes aux fruits, de gâteaux d'extrême gourmandise: 5.000 unités par jour sorties de la manufacture aux fournils installée à Bièvres (Essonne). C'est cette manufacture modèle qui va dynamiser la boulangerie et la sortie quotidienne des pains au levain.

La miche Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

Le prophète du bon pain

Il faut rendre hommage à Lionel Poilâne, génial visionnaire, qui a succédé à son père au début des années 1970.

Apprenti dans l'entreprise de la rue du Cherche-Midi à l'âge de 14 ans, il a appris le métier de la boulange manuelle, les secrets des cuissons, de la croûte, du levain et des farines de blé sélectionnées: c'est la matière première de base.

La découpe du pain Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

Lionel Poilâne avait une haute idée du pain artisanal, une nourriture essentielle à l'humanité valorisée par l'histoire, la culture et l'art de vivre à la française: un repas élégant doit comporter du pain de vérité, signé d'un artiste de la boulange, ce qu'était l'admirable boulanger, leader de la profession.

Le pain manufacturé est devenu l'image de la France du goût, du plaisir de rompre la croûte et d'une certaine volupté du bien manger.

Élégant, distingué, portant costume et nœud papillon, Lionel Poilâne aimait le pain par-dessus tout. Il avait constitué une collection de livres sur le sujet et les voyages, la lecture, les contacts avec de grands contemporains (Salvador Dalí) ont enrichi sa vocation.

Le pain manufacturé est devenu l'image de la France du goût, du plaisir de rompre la croûte et d'une certaine volupté du bien manger.

Le pain de seigle Poilâne aux raisins de Corinthe. | Philippe Vaurès-Santamaria

Avec le soutien d'Iréna dite «Ibu», son épouse d'origine américaine et architecte de formation, Lionel vivait pour l'essor de la boulangerie artisanale, un must dans le Paris gourmand, et il a entrepris avec constance de renforcer, d'améliorer l'image de ses pains.

Il faisait visiter la manufacture et ses fournils dès 1983 mais, surtout, il a su diffuser, expédier et faire connaître à l'export le pain Poilâne aux États-Unis, en Afrique du Sud, à Hong Kong et à Londres, où il installa une boulangerie iconique en 2000: le pain comme raffinement de la table, l'idée allait faire son chemin.

À la fin du XXe siècle, Poilâne est vu comme la star de la boulangerie artisanale dans les médias.

Lionel a été le prophète du bon pain, relayé par les chefs de la nouvelle cuisine, le pain Poilâne valorisant l'œuvre culinaire. Le pain est un régal des papilles.

À la fin du XXe siècle, Poilâne est vu comme la star de la boulangerie artisanale dans les médias: les miches, les tranches de pain, les viennoiseries ont été et restent un plus pour des restaurants étoilés et des boutiques gourmandes de qualité.

À la boulangerie Poilâne, la brioche au maïs. | Philippe Vaurès-Santamaria

Le plaisir vécu à table

À 57 ans, Lionel Poilâne envisageait sa retraite et avait désigné Apollonia, boulangère dans l'âme, pour lui succéder après ses études à Harvard d'où elle allait sortir récompensée par le fameux diplôme –quel parcours!

Mais l'horreur le rattrapa en plein ciel. Le 31 octobre 2002, l'hélicoptère piloté par Lionel s'écrasait en mer dans la baie du Mont-Saint-Michel. Apollonia avait 18 ans, Athena 16 ans, orphelines atteintes au plus profond d'elles-mêmes.

«Le lendemain, je suis allée à la boulangerie, je me suis assise à la table de mon père afin de perpétuer l'idéal que mon grand-père avait eu il y a si longtemps», écrit-elle à 36 ans dans son livre plein de sensibilité.

À la boulangerie Poilâne, la tarte à la ganache. | Philippe Vaurès-Santamaria

L'année suivante, en 2003, Apollonia achève ses études d'économie à Harvard et pilote à distance l'entreprise Poilâne, dont elle se fait expédier les pains tous les lundis. Entre les cours de la grande université, elle appelle la boutique et questionne Pascal le maître boulanger: quelle allure a le pain d'hier? Comment le levain se comporte-t-il et quels sont blés de l'année?

Toutes les quatre semaines, elle s'envole pour Paris et en 2007, elle rentre en France «avec une furieuse envie de développer l'affaire familiale devenue internationale» aux côtés des employé·es et boulangers «qui confectionnent et vendent cinq mille pains et gâteaux par jour».

La mise en forme du pain par Apollonia Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

Dans son livre autobiographique, une confession sensible, très vivante, elle incite ses lecteurs à produire chez eux les pains Poilâne. Elle indique la bonne conservation du pain, sa mise en valeur à travers le pain grillé, les recettes de cuisine ménagère et les sablés au beurre qu'elle et sa sœur Athena aiment tant.

Apollonia, c'est la reine de la farine complète T80 entièrement moulue sur meule de pierre et composée de plusieurs variétés de blé, à quoi s'ajoute le sel de Guérande non raffiné et sans additifs. Ce fut le premier pain bio de l'histoire de la boulangerie.

Gaspacho de courgettes à l'ail noir, panzanella à la pastèque, taboulé de mie de pain...

Il faut savoir que la fabrication des pains Poilâne met en œuvre une fermentation lente au levain, c'est un phénomène qui s'accomplit naturellement lorsqu'on mélange une bonne farine et de l'eau, à température favorable.

La fermentation naturelle, sauvage, est appelée fermentation «au levain». Elle se transmet d'une fournée à une autre, à condition de conserver un morceau de pâte de la fournée précédente pour ensemencer la suivante. Dix tonnes de pains au levain sont façonnées par jour.

Le pétrissage du pain Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

En 1996, persuadée que la boulangerie et la cuisine sont sœurs, Apollonia invente le bar de cuisine tout à côté qu'elle a transformé en Comptoir Poilâne, où sont proposés des salades, des feuilletés au chèvre, des tartes aux pommes, du vin et les délicieuses tartes chaudes pour le déjeuner.

Car la boulangerie et la cuisine sont cousines et liées par la même vision: le plaisir vécu à table. Résultat, le chiffre d'affaires de la maison Poilâne s'élève à 12 millions d'euros par an.

La mise en place des pains dans le boulangerie Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

Recettes tirées du livre d'Apollonia Poilâne:

• Le gaspacho de courgettes à l'ail noir

• La panzanella à la pastèque

• La salade César aux croûtons de brioche

• La salade de betteraves au roquefort et croûtons

• Le tartinable de roquefort à la chapelure de pain

• Le taboulé de mie de pain

• Le sandwich de pain Lionel Poilâne au beurre

• Les œufs en nid de brioche

• Le pain perdu à la rhubarbe et fraises

• Les bols de céréales favoris

• Le smoothie d'avoine

• Le croque mademoiselle à l'œuf

• La tartine for/bon au fromage et jambon

• La tartine de chèvre frais aux œufs de saumon

• Le pain perdu salé à la tomate

• Le pain d'épices

• La galette des rois

• Le baba au rhum

• Le fond de tarte cru au pain, ganache chocolatée

• Les rochers de chocolat Michel Cluizel

Ces recettes d'une étonnante variété s'inspirent des repas de la famille, certains plats au pain sont vendus au Comptoir Poilâne, à côté de la boulangerie où l'on peut se restaurer à midi.

Apollonia Poilâne. | Philippe Vaurès-Santamaria

L'offre boulangère et les prix

Croissant (1,30 euro), pain au chocolat (1,70 euro), chausson aux pommes (2,50 euros), brioche de 200 grammes (13,95 euros), tarte aux pommes individuelle (2,90 euros), grande tarte pour 6 personnes (20 euros), réglette de 210 grammes de Sablés Punitions (13,70 euros), miche Poilâne de 1,9 kilo (11 euros), au poids (5,79 euros le kilo), petit pain de blé au levain (1,20 euro), pavé de seigle aux raisins de 600 grammes (4,90 euros), pain de blé aux noix de 300 grammes (4,90 euros), pain de mie de 900 grammes (6,40 euros), demi-pain de mie (3,25 euros), pain de blé poivré (4,80 euros)

Au Comptoir, à côté, double expresso d'Éthiopie torréfié (3,50 euros).

À la boulangerie Poilâne, le gâteau de seigle au cacao. | Philippe Vaurès-Santamaria

Quelques chiffres clés

• Quatre adresses Poilâne à Paris, une à Londres, une manufacture à Bièvres, soit vingt-huit fours tous chauffés au feu de bois.

• Une boutique en ligne depuis vingt-cinq ans (livraison: France, États-Unis, Canada, Allemagne, Japon, Abou Dabi, Dubaï, Singapour, Hong Kong, Allemagne, Italie, Suède, etc.).

Les pains Poilâne, dont l'exquis pain de mie, sont vendus dans certaines grandes surfaces.

 

  • Poilâne Paris Rive Gauche:

8, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris. Tél.: 01 45 48 42 59. Fermé dimanche.

49, boulevard de Grenelle, 75015 Paris. Tél.: 01 45 79 11 49. Fermé lundi.

 

  • Poilâne Paris Rive Droite:

38, rue Debelleyme, 75003 Paris. Tél.: 01 44 61 83 39. Fermé lundi.

83, rue de Crimée, 75019 Paris. Tél.: 01 40 36 04 28. Fermé lundi.

 

  • Comptoir Poilâne Paris Rive Gauche:

8, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris, 01 45 48 45 69. Fermé dimanche et lundi.

 

  • Poilâne Londres Belgravia:

46, Elizabeth Street, Belgravia, SW1W 9PA Londres. Tél.: +44 207 808 4910. Fermé dimanche.

PoilâneDes grains aux pains

Apollonia Poilâne

Préface d'Hugo Roellinger, photographies de Philippe Vaurès-Santamaria

Éditions de l'Épur

2020

288 pages

32 euros.

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