Économie

Goldman Sachs, l'arme fatale d'Obama

La mise en accusation de la plus prestigieuse banque d'investissements de Wall Street va permettre à l'administration Obama de faire voter la réforme de la régulation financière.

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Il y a mille façons de voir l'affaire Goldman Sachs, mais toutes conduisent au même type de conclusion: s'il faut trouver à qui profite le crime dont est accusée depuis quelques jours la plus célèbre banque d'affaires au monde, c'est en premier lieu à l'administration Obama. Quelle magnifique occasion pour imposer enfin sa réforme de la régulation financière et dompter Wall Street.

La plainte déposée par la Securities dans Exchange Commission (SEC), le gendarme des marchés financiers américains, contre «Government Sachs», soupçonné d' avoir poussé des clients à investir dans des titres de crédits hypothécaires tandis que dans le même temps la banque pariait sur leur effondrement, n'est pas une accusation très nouvelle. Souvenons-nous. Les hommes en or de Goldman Sachs étaient sortis grands vainqueurs de la crise des subprimes.  A l'époque, la banque était apparue comme l'une des rares à avoir eu raison contre tout le monde en pariant sur l'effondrement de ce marché.  Ce qui lui avait valu de clore cet «annus horribilis» pour certains de ses concurrents, à commencer par Lehman Brothers, sur un somptueux bénéfice.

Tandis que les autres accumulaient les pertes, remaniaient  à la hache leur état major, sabraient dans leurs équipes, tendaient la sébille pour se faire recapitaliser, Goldman Sachs marchait sur les eaux. La direction de la banque avait soutenu contre vents et marées ses traders qui voyaient juste en pariant sur l'effondrement du marché des crédits hypothécaires. Déjà à l'époque - on était fin 2007-  certains s'interrogeaient tout haut sur cette curieuse façon de faire, consistant à voir la banque jouer ses fonds propres dans un sens et laisser ses équipes inviter ses clients à faire le contraire en investissant massivement dans ces produits hypothécaires à risques.

En conservant au frigidaire ce soupçon qui flottait depuis près de deux ans pour le ressortir aujourd'hui, l'administration Obama - que beaucoup voient tirer les ficelles derrière la SEC - recueille le plus grand profit de l'affaire Goldman Sachs. Après avoir bataillé pendant des mois pour faire passer sa réforme du système de santé, au risque de paraître incapable de résister au lobby de Wall Street qui semblait capable d'empêcher toute réforme de la régulation financière, la Maison Blanche est aujourd'hui en position de force. La réforme de la santé a été adoptée. Goldman Sachs, la plus prestigieuse et la plus puissante des banques d'investissement, est en difficulté. Après les bonus des traders qui auront permis aux gouvernements de prendre à témoin leurs opinions publiques, l'affaire Goldman Sachs illustre la nécessité de la réforme financière.

Le camp républicain, qui défend le lobby de Wall Street, se retrouve en porte-à- faux. Reste à l'administration Obama à ne pas se brûler les ailes. En mettant Goldman Sachs sur le banc des accusés, elle court en effet le risque d'ouvrir la boîte de Pandore dont les conséquences pourraient dépasser largement le seul périmètre de Wall Street: un procès de grande ampleur conduisant à dévoiler toute la chaîne de responsabilités et des pratiques de la place financière sans se contenter de faire payer quelques lampistes. Cela pourrait mettre au jour les relations incestueuses existant entre le management des plus grandes institutions financiers new-yorkaises, le Congrès et l'administration.

Comme la révélation de conflits d'intérêts à répétition, à une échelle dépassant largement la seule Amérique. Il n'est qu'à voir l'attitude ambiguë reprochée une fois de plus à Goldman Sachs vis à vis de la Grèce: la banque est soupçonnée d'avoir aidé le gouvernement grec à maquiller ses comptes publics tout en spéculant dans le même temps sur un effondrement de la note financière du pays. L'onde de choc d'un grand déballage aurait tout pour ébranler d'autres piliers de la finance mondiale, les Deutsche Bank, JP Morgan et autres Morgan Stanley eux aussi largement impliqués dans le dossier des crédits hypothécaires frelatés.

On comprend d'autant mieux la volonté de l'état major de Goldman Sachs de se défendre bec et ongles contre les accusations. Mais que l'affaire se solde après des mois de procédures par un compromis, comme c'est souvent le cas, et le paiement d'une amende spectaculaire, reviendrait à dire que la banque a reconnu ses fautes. Si on ne voit pas pourquoi l'administration Obama se priverait aujourd'hui de ce formidable levier pour faire passer sa réforme de la finance, il faudra se demander si à plus long terme elle ne se sera pas rendu le plus mauvais service en sapant la crédibilité de la puissance financière de Wall Street. En clair, l'arme fatale que peut représenter un procès public de Goldman Sachs pourrait se révéler désastreuse pour toute la finance américaine.

Philippe Reclus

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Image de Une: Le siège de Goldman Sachs au 85 Broad Street dans le quartier de la finance à Manhattan Brendan McDermid / Reuters

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