Life

La douloureuse vérité de l'adoption

Il faut avoir l'honnêteté de le dire: adopter un enfant, ce n'est pas synonyme de maison du bonheur et de monde rose bonbon.

Temps de lecture: 7 minutes

«Je ne désire plus être la mère de cet enfant.» Ces mots ne sont pas moi. Ils ont été écrits par Torry Hansen, infirmière du Tennessee de 33 ans, dans une lettre qu'elle a envoyée par avion en Russie avec le fils de 7 ans qu'elle avait adopté en septembre dernier. Pourtant, cet été, quand nous avons ramené de Chine notre petite de 3 ans fraîchement adoptée, j'aurais très bien pu les écrire. Cette phrase incarne parfaitement l'état dans lequel j'étais au cours des semaines qui ont suivi notre retour de ce voyage d'adoption (bien que ma version aurait contenu davantage de gros mots). Je n'aimais pas cette enfant. Et cette enfant ne m'aimait pas -même si, lorsqu'elle ne me hurlait pas dessus, elle s'agrippait à moi comme si j'avais été le dernier arbre debout au milieu d'une tornade. Je ne voulais pas être la mère de cette enfant, et je doutais de jamais y parvenir.

Évidemment, j'ai fini par y arriver, car sinon la tempête qui fait rage autour de Torry Hansen se déchaînerait aujourd'hui contre moi. Mais sans mettre en doute, en aucune manière, la souffrance de son fils adoptif, je comprends, du fond de mes tripes, ce par quoi Torry Hansen est passée quand elle a fait l'impasse sur toutes les autres solutions d'urgence et mis cet enfant dans un avion. De même que les femmes qui ont connu la dépression post-partum comprennent celles qui se tuent avec leurs bébés, je le comprends. Rendons Grâce à [remplir avec la divinité de votre choix], j'y ai échappé. Mais cela aurait pu être moi.

Tout comme moi, Hansen a dû se dire qu'elle était prête. Elle a été passée au crible, questionnée et évaluée. Elle a assisté aux cours obligatoires «d'éducation à l'adoption» sur les enfants en orphelinat, décrivant toutes sortes de sévices, sexuels et autres, les colères violentes et les retards procéduraux imprévisibles. Elle a rempli des formulaires, elle a été évaluée par des assistantes sociales, et, à cause des conditions strictes des voyages en Russie, elle s'y est rendue à deux reprises -la première pour rencontrer l'enfant qu'elle allait adopter, et puis de nouveau, après une période d'attente, pour confirmer sa volonté de devenir sa mère et d'officialiser leur relation. Mais les parents désireux d'adopter sont soit d'incorrigibles optimistes (moi par exemple), soit des gens à la foi profonde et inconditionnelle, et la plupart d'entre eux ne se rendent compte que les choses peuvent mal tourner -mais vraiment très mal- que lorsqu'il est trop tard.

D'autres enfants ont déjà été renvoyés

L'histoire de Torry Hansen n'est pas la première à se terminer ainsi. Elle n'est même pas la première mère à renvoyer son enfant en Russie, un couple de Géorgiens a ramené une fillette de 9 ans en 2000, en disant qu'ils n'arrivaient pas à l'aider. La Russie est connue pour avoir des enfants adoptifs difficiles -son système d'assistance publique est plus rigide que celui d'autres pays et offre souvent moins d'opportunités aux jeunes enfants de nouer des liens avec un adulte référent, ce qui est considéré comme crucial pour pouvoir, plus tard, transférer sa confiance et son affection à un parent adoptif. Mais il existe des histoires d'adoption tragiques dans toutes les régions du monde. Une femme de Floride a abandonné le petit Guatémaltèque de moins de 6 ans à l'aéroport juste après l'avoir ramené au États-Unis (il est resté dans une famille d'accueil jusqu'à ce qu'elle réclame, et obtienne à nouveau, sa garde seize mois plus tard). Tous les cas difficiles ne s'achèvent pas sur une tragédie ou un rejet, mais de nombreux parents adoptants (y compris certains de mes plus proches amis) s'accrochent à un quelconque «plan B» pour survivre aux premiers mois à la maison avec celui ou celle qui n'est finalement qu'un étranger, un étranger perturbé et en colère que vous avez promis d'aimer sans conditions jusqu'à la fin de vos jours.

Hansen a adopté un petit garçon de 7 ans, qui vient d'un pays marqué par une longue histoire de difficiles adoptions d'enfants en orphelinat. Moi, j'ai adopté une enfant de 3 ans élevée dans les meilleures conditions imaginables pour une petite fille abandonnée bébé en Chine -une famille d'accueil, avec un couple aimant qu'elle appelait Maman et Baba, et qui s'était occupé d'elle depuis qu'elle avait 2 mois. Grâce à leur aide, elle nous a été confiée avec le maximum de soins et de tendresse permis par le gouvernement chinois. Et pourtant, nous avons eu du mal. Ma fille a hurlé pendant des heures en réclamant sa Maman, et nous savions toutes les deux que je n'étais pas la mère qu'elle voulait. Elle donnait des coups de pied, criait et me désobéissait; elle frappait comme une brute ses nouveaux frères et sœurs quand ils essayaient, toujours au pire moment possible, de lui faire un câlin. Elle nous disait qu'elle ne nous aimait pas; elle suppliait qu'on la renvoie à Baba Mike. Le puits sans fond de ses besoins signifiait qu'il me fallait souvent négliger l'un de mes trois autres enfants. J'étais certaine que j'avais mis toutes nos vies en l'air, pour toujours.

Recoller les morceaux

Ça s'est arrangé, et ça continue de s'améliorer; nous œuvrons quotidiennement pour notre happy ending. Bien intentionné est une expression facile à critiquer, mais il est évident qu'Hansen (tout comme moi) avait de bonnes intentions. À quelques folles exceptions près, peu de parents adoptants s'infligent ces procédures dans l'idée de faire le mal. Le problème est que le mal est déjà fait. Même le meilleur parent adoptant ne peut jamais faire mieux que de recoller les morceaux.

Les enfants qui ne sont plus des bébés et qui attendent d'être adoptés aux États-Unis ou ailleurs ont déjà été abandonnés ou victimes de sévices. Les parents désireux d'adopter sont prévenus, mais il existe aussi une mythologie parallèle qui a émergé autour de l'adoption, que l'on peut rapprocher de celle de l'accouchement avant qu'Anne Lamott et ses héritiers spirituels ne fassent exploser la bulle. Les histoires que les agences d'adoption intègrent à leur matériel, les livres, les blogs -même les signatures des parents sur les forums d'adoption («heureuse maman de DD Mei Mei, à la maison depuis 2007») évoquent tous une expérience censément merveilleuse. Votre enfant est «à la maison», sa vie d'orphelin est révolue, vos voyages respectifs sont terminés, et vous êtes unis pour la vie dans une grande et belle famille. Même la terminologie politiquement correcte de l'adoption insiste sur le fait qu'une fois que c'est officiel, c'est bon-votre enfant «a été» adopté (et non pas «est adopté»), maintenant vous êtes sa mère, amen. Nous refusons que l'adoption soit un processus; nous voulons qu'elle soit une destination, ce qui ne fait qu'aggraver notre colère quand les choses ne tournent pas comme prévu. Torry Hansen a trahi son fils, et elle a trahi notre système de croyances. Pour nous, il était son enfant, mais pas pour elle, ce qui fait d'elle la méchante de l'histoire.

En réalité, ce n'est la faute de personne. Les humains semblent éprouver un besoin écrasant d'entendre des histoires bien proprettes, besoin qui, dans le cas de l'adoption, vient presque toujours se heurter à une réalité bien plus laide. La loi le comprend et c'est pourquoi, si moralement inacceptable que puisse nous paraître le geste de cette femme, avoir mis son fils adoptif dans un avion pour le renvoyer en Russie n'est pas illégal. Irréfléchi, d'accord, et moche, mais pas contraire à la loi. La loi reconnaît encore qu'adopter des enfants d'un certain âge n'est pas la même chose que d'être des parents biologiques. Il nous revient maintenant, à nous les parents adoptants, éreintés mais expérimentés et aux professionnels de l'adoption qui nous entourent (souvent des adoptants eux-mêmes) de cesser de nous reposer sur la pédagogie de l'adoption et sur les assistantes sociales pour parler des réalités plus sombres des troubles de l'attachement, des retards administratifs, de la dépression post-adoption et de commencer à en parler nous-mêmes.

Préparer différemment l'adoption

Tant que nous persisterons à faire croire que l'histoire de l'adoption est celle d'une famille qui rentre à la maison du bonheur et devant qui se déroule un avenir rose bonbon, les affaires comme celle de Hansen donneront du grain à moudre aux alarmistes qui ne démordent pas de leur théorie selon laquelle tous les parents adoptants sont naïfs et mal préparés. La menace de la Russie de suspendre temporairement toutes les adoptions américaines paraîtra mesurée plutôt que vengeresse. Mais c'est une réaction primaire qui aura pour conséquence de faire attendre des centaines d'enfants, dont beaucoup ont déjà rencontré les familles qui projettent de les adopter, pendant des mois ou même des années dans des institutions pendant que des «précautions supplémentaires» (qui n'affecteront sans doute que très peu d'adoptions) seront mises en place. Cette famille attend à Saint-Pétersbourg de finaliser son adoption. Celle-ci vient juste d'y parvenir. Le geste de Hansen -ou plutôt, la réaction disproportionnée de la Russie- risque de mettre en péril leurs adoptions, en admettant qu'elles y parviennent: plus un enfant est resté longtemps dans un orphelinat ou plus il est âgé au moment de l'adoption, plus l'adaptation sera difficile à la fois pour l'enfant et pour la famille.

Pour notre famille, l'adoption n'a pas été parfaite, et de loin, même si pour le moment elle semble mieux se dérouler que celle de Torry Hansen. Évidemment, nous ne savons pas encore comment elle se terminera. Même si ma fille adoptive finit par aller bien, il faut prendre en compte mes autres enfants -mon fils biologique de 3 ans passera peut-être des années sur le divan pour avoir été supplanté par ma fille; mon fils ou ma fille aînés rechercheront peut-être l'affection perdue cette année dans une secte ou en se jetant dans une série de relations sans lendemain destructrices. On ne peut pas savoir tant que ça n'est pas arrivé (et nous ne saurons jamais ce qui aurait pu être différent).

Étant donné le battage autour de son retour, le fils adoptif de Hansen sera sûrement recueilli par une famille russe, et quoi qu'on en dira, sa vie alors n'aura rien d'un long fleuve tranquille. Il est fort probable que rien ne se déroulera comme prévu. D'ailleurs, par définition, c'est déjà ce qu'il s'est passé. Dans un monde idéal, chaque enfant recevrait les soins dont il a besoin de sa mère biologique. Mais nous ne vivons pas dans ce monde-là. Une histoire d'adoption «réussie» est celle où vous pouvez vous dire que la situation est meilleure que si l'autre solution avait été adoptée. Il faut s'en contenter.

KJ Dell'Antonia

KJ Dell'Antonia un auteur vivant dans le New Hampshire. Elle rédige la chronique EcoLiving du magazine Kiwi et est co-auteur de Reading With Babies, Toddlers and Twos: Choosing, Reading and Loving Books Together.

Traduit par Berengère Viennot

Photo: Look!, AZAdam via Flickr CC License by

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