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Le savoir-plaire des cuisiniers de l'Est

Jean-Georges Klein de L'Arnsbourg et Marc Haeberlin de l'Auberge de l'Ill allient grande cuisine et modestie.

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Jean-Georges Klein, quinquagénaire d'extrême modestie, le contraire du gros bonnet à l'ego démesuré, a obtenu trois étoiles en 2002 pour le restaurant familial L'Arnsbourg à Baerenthal, un minuscule village de 703 habitants dans la campagne vosgienne, en pleine forêt classée. Avec Marc Haeberlin, chef de l'Auberge de l'Ill à Illhaeusern (Haut-Rhin), 715 habitants, à 15 kilomètres de Colmar, ce sont les deux plus grands cuisiniers des marches de l'Est, et l'on vient de loin pour déguster leurs plats. À Baerenthal, 50% de la clientèle est étrangère, Allemands, Néerlandais et Belges en priorité, idem pour Illhaeusern.

Jean-Georges Klein et son épouse Nicole, directrice du «K», l'hôtel très zen en surplomb du restaurant niché dans la forêt, reviennent de l'Auberge du Pont de Collonges, chez Paul Bocuse, en bord de Saône -grand menu comprenant la soupe aux truffes VGE, le rouget en écailles de pommes de terre, la poularde en vessie, les œufs à la neige. «Ce fut une initiation et un grand moment de gastronomie, rehaussé par la présence imposante et chaleureuse du maître de maison qui a illuminé l'assistance», confie Klein, encore ému par ce repas d'exception.

Tout au long des 20 années d'apprentissage auprès de Lily, sa mère cordon-bleu, Klein n'a cessé d'admirer le chef mythique et octogénaire des environs de Lyon pour son aura, sa notoriété mondiale et l'exemple donné aux jeunes générations de cuisiniers patrons. Savoir plaire par la saveur fine des plats, réjouir le palais des mangeurs, voilà la clé de la continuité, de la réussite.

Comme l'Aveyronnais Michel Bras à Laguiole, Jean-Georges Klein est un autodidacte qui a appris l'art de cuire, d'assaisonner et de présenter l'assiette dans l'ombre de sa mère -aux fourneaux- laquelle a obtenu une étoile en 1980 à l'Arnsbourg où l'on servait alors 26.000 couverts par an. Pas rien. De toute l'Alsace et la Lorraine, les bons mangeurs venaient déguster à la bonne franquette les champignons, le gibier l'hiver, le foie d'oie, admirable recette, et le loup au fenouil, incroyable spécialité rapportée de Nice -la mer est à 900 kilomètres de Baerenthal. Merci à l'habile poissonnier du marché de Strasbourg.

Pendant deux décennies, le fils Klein, sorti de l'École Hôtelière, s'occupe des approvisionnements et assume le service de salle avec sa sœur Cathy, la fée de l'Arnsbourg. Il épaule sa mère et observe sa gestuelle précise, apprise dans un gros livre de recettes rédigées en gothique allemand, «une épreuve à déchiffrer», se souvient-il.

Quand il succède à Lily en 1990 au piano, il reproduit son répertoire, mais très vite, la répétition des préparations saisonnières, des garnitures, des accompagnements, des sauces (Thermidor, Dugléré, Orloff...) inspirées du Gringoire et Saulnier, le bréviaire des cuisiniers, finit par routiniser son travail -il veut modifier sa manière en utilisant l'huile d'olive et les vinaigres. Et il s'en va à Saint-Étienne observer Pierre Gagnaire, le génie de l'improvisation, l'Einstein de la modernité culinaire qui vient en 1993 d'avoir trois étoiles. C'est une révélation: Klein comprend que la créativité et la personnalisation des plats sont les chemins nouveaux de la restauration moderne. Nul besoin de figer son style. Et il ira encore plus loin en faisant le voyage chez Ferran Adriá à El Bulli (Rosas, Espagne), lequel viendra passer quelques jours au piano de l'Arnsbourg. Suprême faveur.

Tout sauf l'ennui

Pour le fils de Lily Klein, sa cuisine ne sera plus jamais comme avant. Il va se libérer du carcan des recettes ancestrales, en gardant l'essentiel de l'héritage maternel dont le loup au fenouil puis les cuisses de grenouilles aux herbes et coriandre, et en introduisant un jeu de cuillères gourmandes entre les plats, césures ludiques -car Klein est un chef joueur à l'humour vif. Tout sauf l'ennui.

La seconde étoile en 1998 va couronner des plats signatures comme la grillade de foie de canard à la rhubarbe (35 euros), l'émulsion de pommes de terre et truffes, un pur régal (45 euros), le saint-pierre infusé au laurier dans une croûte de sel (110 euros pour deux), le caviar «Transmontanus Impérial» (50g), les choux-fleurs et blinis (220 euros), la pomme de ris de veau au foin, infusion à la citronnelle (51 euros), la selle de chevreuil et sa purée de céleri (51 euros), toutes ces réjouissances conjuguées à des classiques, la côte de veau de lait poêlée, tombée d'épinards et de carottes (110 euros pour deux), le carré de porcelet cuit au foin (110 euros pour deux), la pièce de bœuf Wagyu (japonais), ses pommes Pont Neuf, sauce béarnaise et Kombu (90 euros) ou le rognon de veau aux asperges, sauce aux morilles (51 euros). On le voit bien à ces intitulés clairs, Jean-Georges Klein a abandonné les leçons de technologie, disons moléculaires, de Ferran Adriá, et bien lui en a pris car il s'est forgé un style pur, précis, sensible, bien à lui.

La troisième étoile est venue couronner un maître des casseroles, d'une régularité de métronome, associée à un stupéfiant rapport prix plaisir. La plupart des 16.000 clients annuels s'orientent vers l'un des deux menus à 115 et 145 euros - soit huit et dix assiettes reflétant la formidable générosité du chef patron. À ces menus, s'ajoutent des plats en complément à des tarifs défiant toute concurrence: l'émulsion de pommes de terre et truffes pour 30 euros ou la grillade de foie de canard pour 15 euros et les nobles fromages AOC affinés par Bernard Anthony pour 15 euros.

Epargnés par la crise

Qui dit mieux dans le cénacle des 26 trois étoiles français, quand le dîner à l'Arpège à Paris revient à 340 euros. Bizarrement, l'Auberge de l'Ill, l'autre «pays», affiche des prix aussi raisonnables, 92 euros au déjeuner, et 106 et 131 euros au dîner. Décidément, les chefs alsaciens et lorrains ont le respect du client chevillé au corps. À noter que ces deux établissements mondialement fameux n'ont pas connu le vent mauvais de la crise.

Autre village pour travaillés du palais, Languimberg en Moselle, dans le parc naturel de Lorraine, à 19 kilomètres de Sarrebourg et 60 de Nancy, dont la buvette pour chasseurs, «Chez Michèle», a décroché une étoile en 2009 grâce au talent du fils Bruno Poiré, 33 ans, qui a appris la «sorcellerie culinaire» chez Blanc à Vonnas et chez Westermann au Buerehiesel de Strasbourg, quatre ans de leçons de goût.

Ce gaillard toqué au physique d'acteur s'approvisionne chez les meilleurs, le boucher Denaux, le producteur de somptueuses asperges Robert Blanc en Provence, les poissons et crustacés des côtes bretonnes -songez que le menu en semaine est à 19 euros pour trois plats et le carpaccio de langoustines frôle le chef-d'œuvre, tout comme la poitrine de pigeon et sa feuillantine de carottes au cumin. Desserts d'anthologie. Typiquement, l'adresse d'excellence qui vaut le voyage. C'est la maman du chef, Michèle, qui pilote le service amical; Bruno qui a le sens des goûts au bout des doigts devrait postuler pour la seconde étoile, en filigrane de sa carte.

Nicolas de Rabaudy

Photo: Langoustines © Arnsbourg

• L'Arnsbourg. 18 Untermuhlthal 57230 Baerenthal, pays de Bitche. Tél.: 03 87 06 50 85. Fermé mardi et mercredi. Carte de 120 à 150 euros. TGV Est, gare de Haguenau.
• Chez Michèle. 57 rue Principale 57810 Languimberg. Menus à 30 et 60 euros. Carte à 55 euros. Tél.: 03 87 03 92 25. Fermé mardi et mercredi. Grandes chambres au Domaine Les Bachats à un kilomètre, 60 euros.

 

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