Égalités / Société

L'école n'est pas pensée pour les jeunes filles qui ont leurs règles

Toilettes sales, manque d'intimité et interdiction de sortir pendant les cours participent, en plus du tabou des menstruations, à désavantager les jeunes filles.

100% des filles et 92% des garçons estiment qu'il manque toujours quelque chose dans les toilettes. | Monika Kozub <a href="https://unsplash.com/photos/95-cYFObGH0">via Unsplash</a>
100% des filles et 92% des garçons estiment qu'il manque toujours quelque chose dans les toilettes. | Monika Kozub via Unsplash

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«Tout ce que je demande, quand j'ai mes règles au collège, c'est pouvoir aller aux toilettes quand je veux, réclame Margaux, 14 ans tout juste. Dans la vie de tous les jours, mes règles ne me gênent pas du tout. Mais quand j'ai mes règles à l'école, ça me saoule vraiment.» Le cas de cette élève de quatrième n'est pas isolé. Selon une étude de l'entreprise spécialisée dans les produits d'hygiène Essity, rendue publique en octobre 2020, les menstruations à l'école pèsent lourdement sur le bien-être des jeunes filles.

Une situation déstabilisante alors que les premières règles restent un événement mal accueilli pour de nombreuses filles. Soixante-huit pourcent d'entre elles verraient dans l'arrivée des règles le début d'une vie de contraintes, associée à un sentiment de perte de liberté, selon l'enquête d'Essity. Ce que confirme Aurélia Mardon, maîtresse de conférence en sociologie, qui s'est intéressée aux premières règles des jeunes filles pour son travail de thèse. «Très souvent les contraintes sanitaires que cela implique tous les mois sont mal vécues. Les filles, à travers cet événement, intériorisent une identité féminine qui n'est pas l'égale de celle des hommes», explique-t-elle.

«L'école, surtout le collège, est un univers très compétitif. Tous les élèves sont sur la même ligne de départ et que le meilleur gagne! Je crois que beaucoup de filles, celles qui sont en tout cas affectées par leurs règles, se sentent handicapées à cause d'elles», analyse de son côté la sociologue Marie Duru-Bellat, spécialiste de l'éducation et des inégalités de genre.

Discipliner les corps

Margaux, qui a ses règles depuis la sixième, avoue être encore mal à l'aise aujourd'hui. «On n'a pas le droit d'aller aux toilettes pendant les cours. Parfois on se lève, on a une tache, c'est franchement gênant.» La collégienne se souvient d'un cours de sport «horrible». «J'avais mes règles. Non seulement, j'avais peur que ça déborde mais en plus, j'avais très mal. Et on faisait du saut... La prof m'a engueulée et m'a obligée à continuer», poursuit l'adolescente. Laisser une élève quitter un cours pour se rendre aux toilettes sans l'incriminer, c'est l'un des combats de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), coprésidée par Rodrigo Arenas. «On interdit aux élèves, pour des raisons fallacieuses, de se déplacer dans l'établissement quand elles en ont besoin. Cela contrevient à l'émancipation de la femme et à la liberté des femmes à disposer de leur corps», estime-t-il.

L'école discipline les élèves mais aussi leurs corps. Elles n'ont pas le droit de bouger, sauf si un adulte leur en donne l'autorisation. Elles doivent suivre des règles strictes, régies par un règlement intérieur, pour se déplacer dans l'école. «On est dans l'injonction, notamment à partir du collège, à être autonome par rapport à ses besoins naturels. Ceux-ci ne doivent pas troubler les espaces d'apprentissage», explique Anne Dizerbo, enseignante-chercheuse en sciences de l'éducation. Pourtant, «une jeune fille qui sent une humidité, qui se demande si elle a ses règles, si elle doit se changer, si ses vêtements seront tachés à la fin du cours, n'est clairement pas disponible pour les apprentissages», précise la chercheuse. On peut ajouter à ces désagréments la douleur parfois générée par les règles.

«Une jeune fille qui se demande si elle a ses règles n'est clairement pas disponible pour les apprentissages.»
Anne Dizerbo, enseignante-chercheuse en sciences de l'éducation

Par ailleurs, les débuts des règles sont souvent trop irréguliers pour que ces jeunes filles puissent réellement anticiper. Quand bien même, l'école devrait avoir conscience qu'avoir ses règles chaque mois nécessite un apprentissage pour des collégiennes de 11 ou 12 ans. Avoir ou non le droit de sortir d'un cours dépend du bon vouloir de l'enseignant. Beaucoup sont compréhensifs. D'autres pas du tout. «Les professeurs n'enseignent pas à des élèves désincarnées. Elles ont un corps et peuvent avoir des besoins ou des problèmes qui lui sont liés. Il est important que les enseignants et l'ensemble du personnel de l'école en tiennent compte. Il ne s'agit surtout pas de stigmatiser les filles mais elles peuvent avoir besoin de soutien les premières années. Cela pourrait participer à la formation des enseignants», propose Marie Duru-Bellat.

Et même avec une ou un prof compréhensif la situation reste complexe pour une fille de 11 ans. «Les élèves ont tous bien intégré qu'il faut se rendre aux toilettes pendant la récréation pour uriner, mais quand une élève rencontre ce problème lié aux règles, elle n'a pas d'autre choix que de le signifier à l'enseignant», ajoute Anne Dizerbo. Et de le signifier parfois devant toute la classe alors qu'à l'école, à l'image de la société, les règles doivent restées cachées. «Les profs pensent qu'après le primaire, on est capable de ne plus aller aux toilettes pendant les cours, mais ce n'est pas forcément parce qu'on a envie de faire pipi qu'on veut aller aux toilettes. On peut avoir besoin d'autre chose et les profs n'en ont pas conscience, témoigne Annaëlle, élève de cinquième. Franchement, ça ne me dérange pas d'avoir mes règles, mais je n'ai pas envie de le dire devant tout le monde.» Anne Dizerbo dénonce deux injonctions totalement contradictoires: «Les élèves doivent discipliner leur corps et les taire, mais les filles doivent avouer à un moment ou à un autre qu'elles n'ont pas ce pouvoir.»

Les toilettes scolaires négligées

Sortir d'un cours pour se rendre aux toilettes n'est pas l'unique difficulté. Se pose aussi le problème des toilettes. Pas de poubelle dans les cabines, des cloisons ouvertes en bas et en haut, pas de savon, pas d'eau, pas de verrou, des sols sales, des WC sales, des odeurs nauséabondes... Les toilettes et le bien-être des élèves dans ce lieu ne serait pas une priorité de l'école. C'est en tout cas ce que pensent 88% des filles et 83% des garçons interrogés par Essity. Selon les chiffres publiés par l'entreprise, 100% des filles et 92% des garçons estiment qu'il manque toujours quelque chose, comme du savon ou du papier toilette. 91% des filles et 88% des garçons estiment que les toilettes ont toujours été sales et le resteront. Autre enseignement de l'étude: 68% des jeunes filles se déclarent mal à l'aise pour changer de protections hygiéniques dans ce lieu.

Annaëlle raconte que le sol des toilettes de son collège est tellement sale qu'elle ne peut rien poser par terre. «Je pose ma trousse avec mes affaires sur la chasse d'eau ou sur le porte papier toilette. Et si on fait du bruit, ça s'entend à l'extérieur», explique-t-elle. «Nos toilettes sont séparées par des plaques en bois. Ce n'est pas vraiment isolé et tu n'as pas d'intimité. Tu entends le pipi des autres et tu vois leurs pieds. Je sais qu'on entend le bruit de la serviette quand je l'ouvre et ça me gêne», se plaint Margaux. Se pose aussi le problème d'un nombre insuffisant de toilettes, notamment «à la récréation du matin. Il y a la queue et on n'a que dix minutes de récré. On n'a pas le temps d'y aller.»

«Nos toilettes sont séparées par des plaques en bois. Ce n'est pas vraiment isolé et tu n'as pas d'intimité.»
Annaêlle, collégienne

Ces lieux pourtant essentiels des établissements scolaires sont de véritables épouvantails pour les élèves, de la maternelle jusqu'à la fin de la scolarité. Pas assez de locaux sanitaires, manque de moyens et d'agents dans les collèges et lycées... Ces problématiques sont identifiées par nombre de chefs d'établissement, comme le révélait en 2017 une étude du Cnesco. Avant cela, l'Observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement rapportait dans son rapport de 2013 que «presque un tiers des établissements a signalé avoir connaissance de cas d’élèves ayant renoncé à utiliser les toilettes, surtout des collèges». Pourquoi un tel constat?

«Le problème, c'est que l'école est pensée par les hommes et pour les hommes, regrette Rodrigo Arenas. Ceux qui pensent les toilettes scolaires ne se sont pas affranchis d'une représentation de la société construite sur la domination masculine et patriarcale. Les toilettes ne peuvent donc pas offrir l'hygiène et l'intimité nécessaires pour faire face à quelque chose de naturel qui s'appelle les menstruations.» Pour ce parent d'élèves, il est profondément injuste que les filles n'aient pas accès au même degré d'intimité et de confort que les garçons qui, eux, n'ont pas de règles. 

Une pénurie de distributeurs et d'information

Si elles n'ont pas de serviette hygiénique, les élèves savent généralement qu'elles pourront trouver de l'aide à l'infirmerie. Margaux en garde toutefois un mauvais souvenir, quand elle venait tout juste d'avoir ses règles pour la première fois. «[L'infirmière] m'a donné une serviette, mais m'a bien fait remarquer que ce n'était pas son rôle d'en fournir.» Et même si la plupart des infirmières scolaires restent des soutiens pour les élèves, les écoles n'en sont pas toutes dotées ou elles ne travaillent pas à plein-temps.

Quoi qu'il en soit, «la principale ressource pour ces collégiennes, ce sont leurs paires», commente Aurélia Mardon. «ll n'y a pas toujours de papier toilettes, ce sont mes amies qui m'en donnent. C'est aussi pour ça qu'on va à plusieurs aux toilettes. Pour s'entraider, être sûre d'avoir du papier ou même une serviette hygiénique», confirme Margaux. Qu'aimerait-elle voir arriver dans les toilettes de son établissement? «Des distributeurs de protections hygiéniques.» C'est ce que réclament aussi la FCPE et de nombreuses jeunes filles qu'a interrogées Anne Dizerbo pour ses recherches: un accès libre et gratuit aux protections périodiques quand les élèves en ont besoin. Le distributeur permettrait de banaliser ce phénomène physiologique si commun et fréquent.

Quoi d'autre pour dédramatiser un phénomène pourtant bien naturel? L'information. Selon l'étude d'Essity, 77% des filles et 76% des garçons sont favorables à davantage d’informations consacrées aux règles au collège. Au mois de décembre, en quatrième, Margaux et Annaëlle affirment n'en avoir jamais parlé dans leur classe. Si l'appareil reproducteur féminin est bien au programme, le sang qui coule chaque mois est, lui, beaucoup plus concret à 12 ans. Les élèves sont tout à fait prêts à comprendre ce qu'il se passe et pourquoi. Les pouvoirs publics, les parents et la communauté éducative ont donc chacun à un rôle à jouer pour que les règles s'extirpent enfin du mystère féminin et glissent dans la normalité, comme un premier poil au menton.

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