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La politique chinoise de Joe Biden ne sera pas si différente de celle de Donald Trump

Certes, il y aura un changement de style. En revanche sur le plan économique et politique, la continuité devrait être de mise.

Joe Biden et Xi Jinping le 4 décembre 2013 à Pékin. | Lintao Zhang / POOL / AFP
Joe Biden et Xi Jinping le 4 décembre 2013 à Pékin. | Lintao Zhang / POOL / AFP

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De l'attitude face à l'épidémie de coronavirus à la gestion des dépenses budgétaires, des promesses de réduction des inégalités sociales aux exigences de la loi et de l'ordre aux États-Unis, les différences de points de vue étaient considérables dans les programmes de Joe Biden et de Donald Trump. En revanche, la façon d'aborder la question chinoise ne semble pas être très éloignée chez le président sortant et son successeur.

Donald Trump aura été le premier président américain à réagir fermement à la montée en puissance de la Chine. En 2017, il a décidé de limiter les importations chinoises aux États-Unis, et une grande quantité de produits sont de plus en plus taxés à leur arrivée sur le sol américain. Aucun accord avec la Chine n'a inversé cette tendance. Les sanctions contre des entreprises chinoises se sont encore renforcées le 11 janvier dernier: un décret présidentiel a interdit aux Américains d'investir dans celles qui travaillent avec l'armée chinoise. En même temps, ce même jour, Washington a suspendu toutes les transactions avec trente-et-une entreprises chinoises dont China mobile, China Telecom et Unicom, les trois plus gros opérateurs chinois de téléphonie.

Le jour-même de l'investiture de Biden, la Chine a répliqué en annonçant des sanctions contre vingt-huit responsables de l'administration Trump et des hommes d'affaires qui en sont proches. Ils ne pourront plus entrer sur le territoire chinois ni avoir de contacts avec des entreprises en Chine. Mike Pompeo, le secrétaire d'État de Donald Trump est concerné par ces interdictions.

Maintien de la fermeté face à la Chine

Le 19 janvier, Antony Blinken était auditionné par le Sénat qui devait confirmer sa nomination comme secrétaire d'État du nouveau président. Il a estimé que Donald Trump «a eu raison» d'avoir une position «plus ferme face à la Chine». «Le principe de base était le bon», a-t-il dit. Mais il a aussi reproché à cette fermeté de s'accompagner d'une forme d'unilatéralisme. «Nous devons faire face à la Chine depuis une position de force, pas de faiblesse», a lancé Antony Blinken, précisant qu'il était important de «travailler avec les alliés au lieu de les dénigrer, de participer et mener les institutions internationales plutôt que de s'en désengager».

Donald Trump a décidé de retirer les États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que de l'accord de Paris sur le climat. Le retour de l'Amérique du Nord dans ce dernier traité a été décrété dès l'entrée en fonction de Joe Biden. Une décision immédiatement saluée par la presse chinoise.

«Xi Jinping est un type qui n'a pas le moindre ossement de démocratie dans son squelette.»
Joe Biden, président des États-Unis

Les propos du nouveau secrétaire d'État confirment donc que les États-Unis vont chercher à contenir l'expansionnisme commercial de la Chine. Et pour cela, autre différence avec Donald Trump, Joe Biden a annoncé au cours de sa campagne qu'il allait rechercher une convergence de vue avec les pays européens. Parallèlement, les États-Unis devraient organiser un nouvel axe autour d'eux regroupant leurs alliés du bassin Indo-Pacifique comme l'Inde, l'Australie et le Japon.

À la différence de Donald Trump, Joe Biden a eu l'occasion d'aborder le dossier chinois avant d'être élu. Il a fait plusieurs voyages en Chine en tant que parlementaire puis, lorsqu'il était le vice-président de Barack Obama, celui-ci l'a chargé de différentes missions à Pékin. C'est ainsi qu'il a été amené à rencontrer Xi Jinping, devenu chef de l'État chinois, notamment en 2013. De celui-ci, Joe Biden a déclaré pendant sa campagne électorale: «C'est un type qui n'a pas le moindre ossement de démocratie dans son squelette.» Signe qu'il n'y a pas d'affinité particulière entre le nouveau numéro un américain et son homologue chinois.

Xi Jiping et Joe Biden trinquent ensemble, le 25 septembre 2015, à Washington (États-Unis). | Paul J. Richards / AFP

Une série de malentendus

Depuis une quarantaine d'années, la relation entre les États-Unis et la Chine communiste a sans doute reposé sur une série de malentendus. Côté chinois, il y a depuis plus d'un siècle un intérêt particulier pour les États-Unis, le pays qui se situe de l'autre côté de l'océan Pacifique. Même en 1972, en pleine Révolution culturelle, c'est vers l'Amérique de Richard Nixon que la Chine s'est tournée quand elle pensait être menacée par l'URSS. Le président américain avait alors été invité à venir rencontrer Mao Zedong, et à partir de là, des échanges sino-américains ont commencé à se développer.

Ils ont pris une orientation économique dans les années 1980, sous l'impulsion de Deng Xiaoping qui a décidé de lancer son pays dans la voie du développement économique. Côté américain, on était persuadé qu'en se développant, la Chine allait se démocratiser. Tandis que pour la Chine, les États-Unis étaient devenus un terrain commercial, en même temps qu'une puissance économique à égaler puis dépasser.

À partir de la fin des années 1990, comprendre les rouages du capitalisme américain est devenu une priorité du régime communiste chinois. Un nombre considérable d'étudiants chinois, sélectionnés parmi les meilleurs, sont allés faire de brillantes études dans les universités les plus réputées des États-Unis. Parmi eux notamment, Xi Mingze, la fille unique de Xi Jinping née en 1992. En 2012, lorsque son père est devenu secrétaire général du Parti communiste chinois, elle finissait –sous un pseudonyme mais constamment accompagnée par deux gardes du corps– un cursus à l'université de Harvard.

La presse chinoise ne se risque pas à envisager la possibilité de véritables changements dans la relation des États-Unis avec la Chine.

En 2019, 370.000 jeunes chinois étudiaient aux États-Unis, principalement dans les domaines de l'économie ou des sciences. Au fil des années, la plupart d'entre eux ont choisi de rentrer en Chine, et travaillent désormais dans des entreprises chinoises où ils sont confortablement payés et ont implanté des modes de gestion à l'américaine.

Aux États-Unis, la Chine apparaissait dans les années 1990 comme un potentiel marché d'envergure. De nombreuses multinationales américaines y ont installé des filiales ou s'y sont carrément délocalisées. Elles devaient, comme pour toute entreprise étrangère en Chine, s'associer à égalité avec une société chinoises.

Au fil des années nombre de technologies américaines accompagnées de capitaux ont été massivement exportés en Chine. Tandis que celle-ci se lancait dans la fabrication de toutes sortes de produits manufacturés à faible coût dont une grande partie était vendue aux États-Unis. Les gains ainsi acquis par l'économie chinoise ont été placés en bons du Trésor américains et représentent l'équivalent de 1.000 milliards d'euros. La Chine est actuellement le plus gros créancier des États-Unis, ce qui ne veut pas dire qu'une pareille dette serait facile à revendre.

Le développement de l'économie chinoise perçu comme une menace

Au milieu des années 2010, les Américains ont commencé à constater que les productions chinoises se perfectionnaient, au point de commencer à entrer en concurrence avec l'industrie américaine. L'exemple le plus emblématique se situant dans la téléphonie avec la société Huawei et la technologie 5G. C'est en constatant cette avancée de l'économie chinoise et en la considérant comme une menace que Donald Trump a décidé de réagir en rendant plus difficile l'accès de toutes sortes de produits chinois sur le marché américain.

Désormais, l'enjeu pour les États-Unis, handicapés par l'ampleur de l'épidémie de coronavirus, est de maintenir sa position face à la Chine qui parvient à conserver un taux de croissance d'au moins 1%. Cela ne devrait pas amener le nouveau président à mettre en question les taxes que Donald Trump a imposées à la Chine pour protéger le marché américain. Sur ce point, un consensus semble exister entre Démocrates et Républicains ainsi que dans l'opinion américaine.

Cependant, les dirigeants chinois peuvent redouter que Joe Biden ne se contente pas de batailler sur les questions économiques. Traditionnellement, au nom des valeurs universelles défendues par le monde occidental, les Démocrates américains s'intéressent à l'état des droits de l'homme en Chine. À Washington, on est prêt à dénoncer le sort des Ouïghours au Xinjiang ou la brutalité de la reprise en main chinoise à Hong Kong. Par ailleurs, des tensions seraient inévitables avec les États-Unis si Pékin décidait d'une action militaire contre Taïwan. L'armée américaine ne laisserait pas faire et entrerait en action pour protéger l'île nationaliste. Sans qu'il soit possible de savoir jusqu'où pourrait aller l'affrontement.

Autre sujet: un sérieux incident diplomatique sino-américain peut se produire si, comme il a annoncé vouloir le faire, Joe Biden rencontre le dalaï-lama. Le chef spirituel des Tibétains est considéré comme un «dangereux séparatiste» par Pékin. C'est pourquoi, depuis une vingtaine d'années, rares sont les chefs d'État occidentaux à avoir osé le recevoir.

Lorsque deux semaines après son élection, le président Xi Jinping a enfin envoyé un télégramme au président Joe Biden, c'était pour lui dire que leurs deux pays «doivent éviter tout conflit ou affrontement et s'en tenir au respect mutuel dans un esprit de coopération gagnant-gagnant» afin de promouvoir la «noble cause» de la paix et le développement. Une déclaration d'apaisement qui contraste avec une stratégie chinoise qui vise à renforcer les possibilités de développement économique du pays un peu partout dans le monde. Outre des accords passés avec de nombreux pays de la zone Pacifique, Pékin a signé un accord commercial avec l'Europe qu'Angela Merkel a vivement encouragé.

La presse chinoise a rendu compte de façon factuelle de l'investiture de Joe Biden, le 20 janvier. Elle ne se risque pas à envisager la possibilité de véritables changements dans la relation des États-Unis avec la Chine.

En même temps, des éditoriaux dans de grands journaux chinois indiquent un désir de rompre avec ce qu'a été la comportement américain pendant les années Trump.

On peut s'attendre à ce que le style du nouveau président et de son entourage soit différent à l'égard de la Chine. Joe Biden au Capitole le 20 janvier 2021. | Patrick Semansky / POOL / AFP

Un changement de style

Néanmoins, on peut s'attendre à ce que le style du nouveau président et de son entourage soit différent à l'égard de la Chine. À propos du Covid-19, notamment, il est probable que la Maison-Blanche ne le qualifiera plus systématiquement de «virus chinois» comme c'était le cas avec Donald Trump. Aux yeux de Joe Biden, des qualificatifs aussi virulents ne sont sans doute pas utiles.

Mais, pour Washington, espérer une véritable ouverture économique et politique du régime de Pékin n'est plus un objectif réaliste. D'autant que, ces dernières années, la difficulté des relations sino-américaine a fortement écorné l'attrait que représentait la démocratie américaine dans la population intellectuelle chinoise. Et l'opinion de celle-ci ne s'est pas améliorée avec les soubresauts survenus autour de la passation de pouvoir à Washington. Pourtant, côté chinois, les portes d'une reprise d'une relation apaisée avec les États-Unis restent entrouvertes. Quelques éditoriaux dans de grands journaux indiquent que cette voie pourrait être explorée.

Les dirigeants chinois pourraient-ils accepter de renouveler le dialogue avec les États-Unis? Les années Trump leur ont fait penser que cette voie était sans issue. Il dépend à présent de Joe Biden d'essayer ou non d'inaugurer une autre approche des rapports avec la Chine.

Retrouvez l'actualité politique américaine chaque mercredi soir dans New Deal, le podcast d'analyse et de décryptage de Slate.fr en collaboration avec l'IFRI et TTSO.

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