Santé / Société

Pour les couples infertiles, le test préimplantatoire des embryons aneuploïdes serait une réelle avancée

Ce diagnostic consiste à dépister à un stade embryonnaire très précoce des anomalies chromosomiques. Actuellement interdit, il est débattu dans le cadre de la loi bioéthique.

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«Nous voulons mettre toutes les chances de notre côté et ne plus avoir à revivre ces faux espoirs.» | Nathan Dumlao via Unsplash

Temps de lecture: 8 minutes

Audrey a 40 ans. Elle a rencontré son mari «sur le tard», il y a cinq ans. Rapidement, le couple tente d'avoir un enfant. Après six mois d'essais infructueux, ils se tournent vers un centre d'assistance médicale à la procréation (AMP). «La gynéco était très sûre d'elle, très affirmative, suggérant que j'allais être enceinte après les premiers traitements. Mais trois inséminations plus tard, et moult traitements hormonaux en continu pour faire épaissir mon endomètre, je n'étais toujours pas enceinte et nous nous sentions malmenés», soupire-t-elle.

C'est là que le couple entame un nouveau protocole, cette fois-ci en fécondation in vitro (FIV), signifiant des traitements plus lourds et contraignants pour stimuler les ovaires à produire des follicules en nombre, mais aussi une intervention chirurgicale permettant de ponctionner ces follicules devenus ovocytes afin de les féconder en laboratoire.

«La première FIV s'est bien passée, se souvient Audrey. Nous avons eu quatre embryons qui ont été congelés. Tous les mois, j'avais des traitements hormonaux patchs, cachets, injections, etc. uniquement pour faire épaissir mon endomètre afin de pouvoir transférer un des embryons. Je suis tombée enceinte au deuxième transfert. Mais, à la deuxième échographie, le cœur ne battait plus. Ça a été très dur à vivre. J'avais 38 ans.»

Direction l'Espagne pour un DPI-A

Après un temps pour reprendre son souffle, Audrey renouvelle les traitements pour se faire transférer les deux embryons congelés restants: l'un ne tiendra pas à la décongélation, l'autre ne s'accrochera pas. Retour à la case départ avec une nouvelle stimulation ovarienne qui se solde par une grossesse biochimique. Même chose à la troisième stimulation…

Aujourd'hui, Audrey est épuisée: «Au total, on m'a transféré huit embryons et cela fait trois ans que nous sommes en AMP. Je n'ai plus de vie, je suis devenue un ours, j'ai refusé les promotions à mon travail parce que les protocoles font que je suis souvent absente et tout cela joue beaucoup sur la confiance en soi.»

«Je trouve hallucinant que ma gynéco me dise “On croise les doigts.” Ce n'est pas ça la science!»
Audrey, 40 ans

Audrey et son mari vont désormais abandonner la quatrième tentative de FIV dont ils peuvent bénéficier en France pour aller tenter leur chance en Espagne. Pourquoi là-bas? Non seulement parce qu'ils pourront bénéficier d'un don d'ovocytes dans des délais relativement brefs, mais aussi parce qu'un DPI-A, un diagnostic préimplantatoire des embryons aneuploïdes, pourra être effectué sur les embryons in vitro.

Ce test, interdit en France à l'heure actuelle et dont l'autorisation est débattue dans le cadre de l'élaboration de la loi bioéthique, est une technique qui consiste à dépister à un stade embryonnaire très précoce des anomalies chromosomiques qui constituent la principale cause de fausses couches précoces et des échecs d'implantation. «Nous allons devoir faire un prêt, reconnaît Audrey, mais nous voulons mettre toutes les chances de notre côté et ne plus avoir à revivre ces faux espoirs.»

Elle est amère: «Le vrai deuil pour moi, c'est le deuil de la France: mon pays n'est pas en mesure de m'apporter les soins et la prise en charge dont j'ai besoin pour réussir à avoir un enfant.» Elle regrette que les médecins spécialisés en AMP n'aient pas à leur portée tous les outils nécessaires pour accompagner leurs patients: «Je trouve hallucinant que ma gynéco, qui fait ce qu'elle peut, me dise “On croise les doigts.” C'est dingue qu'elle n'ait que ses doigts à croiser! Ce n'est pas ça la science! Bien sûr, en Espagne, on n'aura pas 100% de chances mais ici, on ressent que les médecins sont démunis alors que l'on est sur une technologie de pointe.»

Des couples comme Audrey et son mari, les spécialistes en AMP en voient défiler plus que de raison dans leur cabinet. Les chiffres parlent d'eux-mêmes:

 

  • 4 FIV sur 5 se soldent par un échec;
  • 148.711 tentatives d'AMP (inséminations + transfert d'embryons) ont été réalisées en 2018. Elles ont permis d'obtenir 25.120 naissances, selon les chiffres de l'agence de la biomédecine;
  • En FIV, le taux de grossesse par tentative est de 23,5% soit 76.5% d'échec;
  • Tout âge confondu, environ 60% des embryons obtenus en FIV ne se développent pas, pour atteindre 80% chez les femmes de plus de 35 ans.

«Je rencontre régulièrement des couples qui ont fait quatre FIV, plus de dix transferts d'embryons et qui se retrouvent en échec d'AMP, déplore Virginie Rio, cofondatrice et présidente de l'association Collectif Bamp!. Je ne sais pas si les gens se rendent compte de ce que cela implique en termes de santé, d'impact psychosocial et de dépenses inutiles de la Sécurité sociale.»

Gagner du temps pour les couples plus âgés

Pour elle, autoriser le DPI-A chez les couples infertiles, lorsque la femme a plus de 35 ans et/ou qu'elle multiplie les fausses couches permettrait d'améliorer considérablement la prise en charge en AMP: «On arrêterait enfin de transférer des embryons non viables! Cela ferait gagner un temps considérable aux couples dans leur parcours AMP.»

Le Pr François Vialard du département de génétique au CHI Poissy-Saint-Germain-en-Laye, président de l'association des cytogénéticiens de langue française et secrétaire de la société de médecine de la reproduction abonde en ce sens: «Aujourd'hui, les embryons sont sélectionnés sur des critères morphologiques, mais on sait qu'un embryon aneuploïde [c'est-à-dire qui ne possède pas un nombre normal de chromosomes, ndlr] peut avoir une morphologie tout à fait normale.»

Déplorant qu'on laisse des patientes en errance diagnostique faute de pouvoir mener à bien les examens nécessaires, il poursuit: «Avec le DPI-A, nous aurions un critère pronostic: nous pourrions écarter les embryons aneuploïdes. On ne transférerait que les embryons qui sont chromosomiquement équilibrés. Alors, on pourrait améliorer le taux de réussite des FIV et, chez des patientes qui ont systématiquement un taux important d'embryons chromosomiquement déséquilibrés et qui subissent des échecs d'implantation embryonnaire, proposer des alternatives.»

«Chez une femme de 38 ans, 50% des embryons auront une anomalie chromosomique et ne pourront pas donner de grossesse.»
Pr Charles Coutton

Le Pr Charles Coutton, responsable de tests diagnostiques au sein de l'unité fonctionnelle de génétique chromosomique au CHU de Grenoble, explique l'intérêt du DPI-A chez les femmes de plus de 35 ans ayant des problèmes de fertilité: «Avec l'âge, il y a une augmentation du risque chromosomique. Celle-ci devient exponentielle à partir de 40 ans. Chez une femme de 38 ans, 50% des embryons auront une anomalie chromosomique et ne pourront pas donner de grossesse.»

Il démontre combien le recours au DPI-A permet de réduire le délai pour obtenir une grossesse: «Une étude a été réalisée avec deux “bras”: un groupe bénéficiait du DPI-A et l'autre non. À la fin de l'étude, on avait le même nombre de grossesses dans les deux groupes. Seulement, dans celui avec DPI-A, la grossesse a été obtenue après le premier ou deuxième transfert, alors que dans le groupe sans DPI-A, le délai d'obtention de grossesse a été beaucoup plus long.»

Ce délai plus court est loin d'être un détail pour des couples qui sont souvent déjà âgés, éprouvés émotionnellement et physiquement et qui ont souvent dû faire face à des fausses couches ou à des interruptions médicales de grossesse. Le Pr Coutton ajoute un argument financier: «Raccourcir ce délai est aussi plus intéressant économiquement plutôt que d'accumuler des tentatives qui coûtent cher à la collectivité.» On évalue en effet qu'une FIV en France coûte aux alentours de 5.000 euros, intégralement pris en charge par la Sécurité sociale.

Les défenseurs du DPI-A se heurtent aux fantasmes d'eugénisme d'associations pro-vie. | Christian Bowen via Unsplash

«Il ne s'agit en aucun cas de choisir un enfant parfait»

En lisant ces éléments, on comprend mal pourquoi le DPI-A n'est pas autorisé aujourd'hui en France et apparaît comme un sujet tabou et de crispation dans les discussions sur le projet de loi bioéthique qui passe en seconde lecture en janvier 2021. Le comité consultatif national d'éthique avait donné un avis favorable, tout comme le Conseil d'État au nom du principe éthique de «non-malfaisance». Les sociétés savantes françaises d'AMP et de diagnostic préimplantatoire y sont tout aussi favorables. En outre, la Cour des comptes invitait dans son rapport 2019 à renforcer l'efficience de l'AMP en France.

«Nous ne sommes pas écoutés par les députés», déplore Virginie Rio. «Aujourd'hui, on ne prend pas en considération les problèmes féminins et ce que subissent les femmes comme les fausses couches ou les traitements de la FIV», regrette le Pr Vialard, en dénonçant des décisions prises par des hommes sexagénaires passant à côté du sujet.

Mais cela ne s'arrête pas là. Les défenseurs du DPI-A se heurtent aux fantasmes d'eugénisme d'associations pro-vie d'inspiration chrétienne comme la Fondation Lejeune.

«Aujourd'hui, le débat est complètement biaisé par différents lobbys, constate le Pr Vialard. Ce sont des gens qui considèrent qu'avoir un enfant porteur d'une trisomie 21 ne pose pas de problème. Ce n'est pas à moi de décider si un couple doit accepter ou non une trisomie 21. On est dans une position aberrante; il faudrait transférer un embryon qui a une trisomie 21 alors que l'on va ensuite faire un test durant la grossesse et permettre à la patiente de faire une IMG [interruption médicale de grossesse, ndlr] si elle le souhaite. Pourquoi ne pas donner le choix à la patiente de transférer ou non un embryon porteur d'une trisomie 21? Ce n'est pas à moi de dire ce qu'il faut faire.»

«Tout ce que nous souhaitons, c'est que l'on arrête de transférer des embryons qui ne sont pas viables, ajoute Virginie Rio. Il ne s'agit en aucun cas de choisir un enfant parfait.»

«Le DPI-A est fait pour donner un outil supplémentaire à des couples infertiles qui sont en impasse de prise en charge, complète le Pr Coutton. Il s'agit simplement de donner à des couples infertiles la possibilité d'avoir un enfant. Libre au couple de s'orienter vers le DPI-A ou non, libre à lui de faire implanter ou non des embryons avec une anomalie chromosomique.»

«S'il y a bien des gens qui ne sont pas eugénistes, ce sont les généticiens»

Tous considèrent qu'il est crucial d'imposer un encadrement strict afin d'éviter toute dérive: «Je pense par exemple qu'il ne faut pas que l'on puisse regarder les chromosomes sexuels, explique le Pr Vialard. Il y a un débat prématuré sur la capacité à aller chercher d'autres données, mais je suis opposé à de telles dérives: je milite pour un DPI-A qui se concentre uniquement sur la recherche des aneuploïdies des chromosomes 1 à 22, c'est-à-dire les anomalies de nombre de ces chromosomes.»

«Le débat dépasse l'aspect scientifique et médical, on est dans le domaine de la croyance, du dogme.»
Pr Charles Coutton

Ils regrettent également le tour qu'ont pris les débats, se positionnant sur les appels à l'émotion des associations pro-vie plutôt que sur des fondements scientifiques raisonnables et raisonnés. «Le débat dépasse l'aspect scientifique et médical, on est dans le domaine de la croyance, du dogme, soupire le Pr Coutton. C'est triste parce que l'on a une loi de bioéthique en demi-mesure, qui n'est pas courageuse. Les députés ne prennent pas en compte que la loi de bioéthique est révisée tous les dix ans. Les couples qui ont de l'argent partiront faire une FIV avec DPI-A à l'étranger, les autres resteront en France. Et pour eux, ce sera vite trop tard.»

Le pire, sans doute, est que la polarisation des débats a entraîné une violence telle qu'ils ont atteint un point de non-retour. «Nous nous sommes fait traiter d'eugénistes lors des débats sur la loi bioéthique! dénonce le Pr Vialard. S'il y a bien des gens qui ne sont pas eugénistes, ce sont les généticiens. On essaie de faire les choses correctement, nous avons la tête sur les épaules pour éviter de telles dérives. Certains propos utilisés contre le DPI-A sont choquants et montrent l'absence d'arguments de certains opposants. Faire un comparatif avec la période nazie est intolérable, cela ne permet pas un débat apaisé et clôt en général toutes les discussions. C'est violent et insultant. C'est du populisme pur et simple.»

Pendant ce temps-là, des couples (presque) quadragénaires s'usent dans des protocoles d'AMP qui n'ont que peu de chances d'aboutir. À la prochaine révision de la loi bioéthique, ils seront tout simplement trop vieux…

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