Culture

Vingt après sa création, «Naruto» toujours au sommet

Le manga japonais continue de séduire en masse, plus de cinq ans après sa conclusion. Seul «Dragon Ball» peut se targuer d'avoir connu la même carrière.

En 2020, le premier volume de <em>Naruto</em> s'est encore écoulé à 90.000 exemplaires. | © Masashi Kishimoto 2002 / Shippuden 2007
En 2020, le premier volume de Naruto s'est encore écoulé à 90.000 exemplaires. | © Masashi Kishimoto 2002 / Shippuden 2007

Temps de lecture: 6 minutes

En 1999, dans le magazine de prépublication culte Weekly Shōnen Jump, le public japonais découvre les aventures de Naruto, un orphelin blagueur porté par de grandes espérances pour son avenir. L'engouement est immédiat. Masashi Kishimoto signe un manga shōnen nekketsu (c'est-à-dire une œuvre dont le but ultime est l'accomplissement d'une quête par le dépassement de soi) qui marque l'histoire et qui continue de faire l'actualité en France même plus de quatre ans après la parution de son dernier volume dans le pays.

La série Naruto en manga, c'est soixante-douze tomes dont le dernier est sorti dans les librairies françaises en novembre 2016. Rien qu'en 2020, la série comptabilise 1,1 million d'exemplaires vendus en France. Un exemplaire du premier volume est toujours acheté toutes les trente secondes, ce qui se rapproche des chiffres records de la série au moment de sa publication.

En 2020, le premier volume de Naruto s'est encore écoulé à 90.000 exemplaires, ce qui en fait le numéro 1 des ventes de mangas de l'année écoulée. Aujourd'hui encore, plusieurs éléments en font un manga résolument d'actualité.

 

Un appui inspirant

Le genre nekketsu est particulièrement inspirant pour un lectorat en proie aux épreuves de la vie: les jeunes des lycées à qui on met la pression, tout comme les salarié·es en costume, raffolent particulièrement de ces histoires où un héros qui leur ressemble finit par accomplir de grandes choses à force de travail assidu et du soutien d'une équipe de choc.

2020 ayant été une année parfois difficile et qui a poussé beaucoup de monde à la remise en question, les aventures de cet apprenti ninja rigolard ont l'avantage de remettre du sens dans un quotidien qui en a parfois manqué.

«On peut dire que “Naruto” m'a, une nouvelle fois, accompagné dans une période pas très drôle de ma vie.»
Manu, 37 ans

Manu, 37 ans, fait partie de ces lecteurs qui ont eu besoin de revenir à la lecture de cette série culte pour s'évader: «J'ai commencé à acheter les volumes de Naruto au moment de sa sortie en France au début des années 2000. C'est une histoire qui m'a emporté et je me souviens à quel point le personnage un peu loser de Naruto m'avait touché à l'époque. Je crois que je peux dire que j'ai grandi avec le personnage, tout au long de la sortie des mangas.»

Le confinement du printemps 2020 a poussé Manu à se replonger dans cet univers avec délectation: «Quand je me suis retrouvé enfermé chez moi avec beaucoup plus de temps libre que d'habitude, j'ai ressorti toute la collection. Et j'ai retrouvé le souffle épique, l'humour, les épreuves, la tension et la joie qui m'avaient fait vibrer à l'époque. On peut dire que Naruto m'a, une nouvelle fois, accompagné dans une période pas très drôle de ma vie.»

 

Le trio de choc dans l'épisode 6, Sasuke, Naruto et Sakura. | Capture d'écran via YouTube 

Tout simplement humain

L'humanité du personnage qui a tant plu à Manu est aussi mise en avant par Christel Hoolans, directrice générale des éditions Kana: «Naruto est un personnage extrêmement attachant, auquel on a envie de s'identifier, qu'on a envie de suivre pour ce qu'il nous renvoie: on peut ne pas être le meilleur de la classe, on peut être celui qui est mis de côté par les autres et malgré tout, surmonter les épreuves et devenir le premier d'entre tous. Non pas en écrasant tous ses adversaires l'un après l'autre, mais en tissant des liens avec eux.»

Et d'ajouter: «La dimension humaine de ce récit est tout à fait frappante. Oui, les relations humaines sont complexes, difficiles, cruelles parfois et ce, même au sein d'une famille, d'un clan, ou entre amis. Et Kishimoto aborde cela au lieu de le cacher à ses jeunes lecteurs.»

«“Naruto” est très addictif. Il suffit que vous le commenciez pour être embarqué.»
Christel Hoolans, directrice générale des éditions Kana

Pour Christel Hoolans, c'est aussi le talent du mangaka qui fait de cette œuvre un must-have pour les fans de mangas de tous les âges: «Il a un talent de conteur hors pair. Il nous embarque dans un univers riche, peuplé de personnages avec de vraies personnalités, variées, souvent complexes, très attachantes, qu'ils soient héros ou personnages secondaires. Le scénario est très bien pensé, original tout en respectant les codes du shōnen, partant toujours d'une base simple, vers un déroulement complexe.»

 

La directrice de Kana ne tarit pas d'éloges sur ce Midas du manga, dont elle vante aussi les mérites en tant que dessinateur. «Rien n'est laissé au hasard, que ce soit les personnages ou les décors. Les combats sont extrêmement bien faits, toujours lisibles, et toujours différents. C'est un véritable “​​​​​page-turner”! Il arrive à nous tenir en haleine tout le long des soixante-douze tomes, ce qui est une prouesse quand on connaît le rythme de travail que représente la publication dans un hebdomadaire, des années durant. Naruto est très addictif. Il suffit que vous le commenciez pour être embarqué.»

Pour Christel Hoolans, Naruto a changé la face du marché du manga dans le pays: «Sans lui, le paysage du manga en France ne serait sans doute pas celui que nous connaissons aujourd'hui. Naruto reste une valeur sûre et un socle incontournable du marché français, qui se transmet de génération en génération. Jusque-là, seul Dragon Ball avait réussi ce pari: rester dans les tops, même après l'arrêt de la série. N'oublions pas que jusqu'ici, le marché du manga était surtout un marché de nouveautés.»

Aujourd'hui, le secteur semble plus mûr: «Les séries finies peuvent elles aussi devenir des classiques intemporels. Il faut aussi souligner le regain d'intérêt des chaînes de télévision pour la diffusion de la série animée. Cette exposition à nouveau très forte de Naruto sur les écrans entretient la machine à succès.»

 

De génération en génération

Cette transmission entre les générations, Julien l'a vécue avec son fils de 9 ans, à qui il a été très heureux de faire découvrir le manga cette année: «J'avais lu Naruto à l'époque de sa sortie, mais je n'avais pas gardé tous les mangas avec moi. Au gré des déménagements ou des prêts à des amis, je pense qu'il me restait environ la moitié de la série dans le désordre, ce qui me donnait surtout envie de m'en débarrasser.»

Et puis le premier confinement est passé par là: «Je me suis mis à m'intéresser sérieusement à ce que mon fils lisait. J'ai senti que Naruto lui plairait et j'ai recomposé ma collection au fur et à mesure de sa lecture. Finalement, je les ai tous relus aussi. On en a pas mal parlé. Et ça nous a beaucoup rapproché. Maintenant, on court partout comme des ninjas. Je n'avais jamais pensé que j'allais partager ça avec lui… mais j'en suis très heureux.»

«J'ai pris l'habitude de binger des épisodes en période de stress et c'est très bien comme ça.»
Christophe

Plus de 3 millions de personnes ont vu le 1er épisode gratuit de Naruto disponible sur la chaîne YouTube officielle, où les cinquante-deux premiers épisodes de la série sont disponibles gratuitement. Les épisodes de Naruto et Naruto Shippuden, deux séries acclamées par la critique et les fans, sont également disponibles sur Netflix.

Naruto, dans l'épisode 3. | Capture d'écran via YouTube

C'est d'ailleurs sur cette plateforme que Christophe a découvert la série, pendant le premier confinement: «Je n'ai jamais sérieusement lu de mangas. J'avais des amis au collège et au lycée qui en consommaient beaucoup mais je n'ai personnellement jamais pris le train en marche. Pendant le premier confinement, je ne supportais plus de tourner en rond alors j'ai voulu m'attaquer à un gros morceau pour m'occuper l'esprit après le travail. C'est là que j'ai commencé à regarder l'anime Naruto

Christophe a fini par avoir très envie d'acheter les volumes du manga: «J'ai un peu l'impression de faire ma crise d'ado à 30 ans passés, mais franchement c'était une vraie bonne idée. Je ne vais pas devenir un spécialiste du manga et de l'anime à mon âge mais j'ai pris l'habitude de binger des épisodes en période de stress et c'est très bien comme ça.»

Dynamique

Avec un tel succès qui perdure, les éditions Kana sont bien décidées à continuer à faire rayonner le manga en France: «Naruto est un shōnen, rappelle Christel Hoolans. C'est un manga créé originellement pour un public de garçons âgés de 10 à 15 ans. Le segment shōnen, qui est lu à 50% par des lectrices chez nous, est le segment roi du manga. Que ce soit au Japon ou en France.» Kana est alors allé plus loin dans ce genre et en a fait le socle de son catalogue, des Chevaliers du Zodiaque à Détective Conan en passant par Death Note, Yu-Gi-Oh! et Shaman King.

«Fort de ces succès, conclut Christel Hoolans, et parce que l'intention de départ était de montrer la diversité du manga, en faisant fi de la mauvaise réputation qu'il pouvait avoir à nos débuts, nous avons édité d'autres titres issus d'autres segments afin de faire découvrir le manga dans toute sa diversité, sa richesse, à notre public. Nous voulions nous ouvrir à cette autre forme de bande dessinée qu'est le manga. Et nous allons bien entendu poursuivre notre politique éditoriale à destination de tous les publics.»

En 2020, année chaotique, Naruto s'est imposé pour de nombreux lecteurs comme une valeur refuge. Quand il a été question pour certains de revivre des émotions d'enfance, d'autres ont découvert un univers entier. Et les enfants de ces adultes conquis ont, eux aussi, adopté le héros ninja. Naruto continue et continuera à inspirer le public français avec son énergie et son espoir intarissables.

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