Politique

Pourquoi l'armée française est-elle encore au Mali?

Trois soldats français de l'opération Barkhane ont été tués au Mali alors que la France cherche une porte de sortie pour son engagement au Sahel. Une volonté qui se heurte encore aux réalités du terrain.

Un soldat de l'armée française patrouille dans une zone rurale lors de l'opération Barkhane dans le nord du Burkina Faso, le 9 novembre 2019. | Michele Cattani / AFP
Un soldat de l'armée française patrouille dans une zone rurale lors de l'opération Barkhane dans le nord du Burkina Faso, le 9 novembre 2019. | Michele Cattani / AFP

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«Dès que je pourrai limiter le niveau d'engagement de mes armées, je le ferai», déclarait récemment au Monde le général François Lecointre, chef d'état-major des armées. La mort de trois soldats français lundi 28 décembre dans la zone dite des «trois frontières» au Mali a fait monter le bilan global de l'engagement français au Sahel à quarante-sept tués dans les opérations Serval (2013) et Barkhane (2014), alors que le gouvernement français cherche ostensiblement à se désengager du Sahel.

«Nous n'avons pas vocation à rester éternellement», avait admis la ministre des Armées Florence Parly devant la commission des Affaires étrangères du Sénat en juin dernier. Mais «nous n'avons pas vocation non plus à quitter tout de suite le Sahel, car notre présence reste indispensable pour les Sahéliens». La situation sécuritaire reste en effet préoccupante dans une région minée par les violences djihadistes, les conflits intercommunautaires et l'instabilité politique.

Sur le plan purement militaire, le bilan de l'opération Barkhane qui mobilise au total 5.100 hommes et femmes est pourtant loin d'être mauvais. En 2020, l'armée française a porté de sérieux coups aux groupes djihadistes. L'émir d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Abdelmalek Droukdel, a par exemple été abattu en juin, suivi par Bah Ag Moussa, le chef du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, également affilié à Al-Qaïda), en novembre.

Un soldat français surveille une zone lors de l'opération Barkhane dans le nord du Burkina Faso, le 10 novembre 2019. | Michele Cattani / AFP

Une transition lente et difficile

Mais pour le général Lecointre, cela ne suffit pas. «Ce qu'on demande à un soldat, c'est de permettre que le niveau de violences soit le plus bas possible, de façon à ce que des solutions politiques puissent être mises en œuvre sans que l'on ne sombre définitivement dans des situations de guerre civile», avait-il déclaré à France Info en décembre 2019. Pour le chef d'état-major, si ce dispositif «n'est pas complété par une action politique en partenariat entre les gouvernements des pays que nous venons aider et l'ensemble de la communauté internationale, notre action ne servira à rien».

La stratégie officielle consiste donc «à ce que les États partenaires acquièrent la capacité d'assurer leur sécurité de façon autonome». En 2017, la France a ainsi fait le pari de la création d'une coalition militaire régionale, la force conjointe du G5 Sahel, qui regroupe 5.000 militaires du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, et qui doit à terme prendre le relais de Barkhane. Mais le dispositif peine encore à convaincre et souffre d'un manque de matériel et de formation selon un rapport de l'ONU publié en novembre 2019, qui réclamait un «soutien accru» de la communauté internationale que Paris a les plus grandes difficultés à obtenir. Une efficacité également entravée par la mauvaise gestion voire la corruption des autorités locales.

Dans le même temps, la Task Force Takuba, regroupement de forces européennes visant à mener des opérations spéciales contre les groupes djihadistes et lancée en mars dernier, a également du mal à se mettre en route et n'atteindra peut-être pas son plein potentiel opérationnel début 2021 comme le prévoyait l'Élysée.

Des soldats français patrouillent dans le village de Gorom Gorom lors de l'opération Barkhane dans le nord du Burkina Faso, le 14 novembre 2019. | Michele Cattani / AFP

Instabilité sécuritaire et politique

Le bilan du renforcement de Barkhane par l'envoi de 600 soldats supplémentaires en février dernier doit être tiré le 13 janvier prochain lors du premier anniversaire du sommet de Pau, dans l'optique d'amorcer un retrait des troupes françaises. Mais dans l'attente du développement d'une force militaire locale suffisamment efficace, la France est condamnée à assumer l'essentiel des opérations dans la région.

Car l'ennemi, lui, ne se désengage pas. Plus de 175 soldats maliens ont été tués par des groupes djihadistes en 2020 et plus de 200 étaient déjà tombés au combat l'année précédente. En octobre dernier, douze civils étaient assassinés dans le centre du pays où les attaques se multiplient. S'y ajoutent les massacres intercommunautaires, 160 civils ont par exemple été assassinés en mars 2019 à Ogossagou, près de la frontière avec le Burkina Faso.

Des tensions aggravées par les agissements de l'armée malienne, récemment accusée de crimes de guerre par l'ONU. Malgré les victoires militaires de Barkhane, les deux tiers du territoire malien continuent d'échapper au contrôle du pouvoir central, alors que l'ex-président Ibrahim Boubacar Keïta a été renversé par les militaires le 18 août dernier et que le pouvoir n'a toujours pas été rendu à la société civile.

L'heure des négociations?

Puisque la solution politique se fait attendre, la France doit-elle négocier avec l'ennemi? La question est très sérieuse. Les États du Sahel le font déjà, et de plus en plus ouvertement. La libération de l'otage française Sophie Pétronin en octobre dernier était ainsi le résultat de discussions entre le gouvernement malien et le GSIM. Dans un entretien accordé à RFI et France 24 le 3 décembre, Moctar Ouane, Premier ministre de la transition du Mali, a affirmé envisager des échanges avec Iyad Ag Ghali, le chef du GSIM et Amadou Koufa, le chef de la Katiba Macina (affiliée au GSIM), notant que «le dialogue avec les terroristes est une volonté des Maliens».

La France avait fermement déclaré son opposition à une telle initiative, notant que les groupes djihadistes n'avaient pas signé les accords de paix d'Alger en 2015, base de discussion de la résolution du conflit au Mali. Mais face aux réalités du terrain, la position de Paris sur cette question a néanmoins évolué ces derniers mois.

La présidence française a récemment déclaré ne plus s'opposer à des négociations entre ses partenaires sahéliens et certains groupes djihadistes, refusant néanmoins catégoriquement de discuter avec les chefs d'Al-Qaïda ou de l'État islamique. «Avec les terroristes, on ne discute pas. On combat», avait tranché Emmanuel Macron à Jeune Afrique en novembre. Pour combien de temps encore?

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