Sports / Économie

Bienvenue dans le monde des pistonnés de la Formule 1

Fils de milliardaires, d'ex-pilote ou encore financés par de grandes fortunes... devenir pilote de F1 est parfois plus une histoire de piston que de talent.

Le pilote Mick Schumacher (à g.), fils du célèbre Michael Schumacher (à d.), sept fois champion du monde. | Patrick Hertzog, Andrej Isakovic / AFP
Le pilote Mick Schumacher (à g.), fils du célèbre Michael Schumacher (à d.), sept fois champion du monde. | Patrick Hertzog, Andrej Isakovic / AFP

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Dans le sport de haut niveau, comment imaginer que l'on puisse accéder au Graal, à l'élite, grâce à la fortune familiale? Et pourtant, le refrain est désormais bien connu dans le paddock. Tu seras pilote de F1 mon fils, par la grâce de mes millions. 

Auteur de L'Histoire de la Formule 1 de Bernie Ecclestone (Éditions Casa), Antoine Grenapin en explique les raisons. «C'est purement économique. Vu ce que donnent les marques-sponsors chaque année, et pour boucler les budgets [dans chaque écurie], un pilote financé par son père, et arrivant avec quelques millions, ça pèse dans la balance.» Avant d'ajouter: «Une écurie qui peut se financer à 100%, il n'y en a quasiment pas… Pour Mercedes, Ferrari, Renault et les autres, on y parvient via des arrangements de ce type.»

Grenapin oppose là constructeurs (Ferrari, Mercedes, Renault) et écuries indépendantes, ou plutôt pseudo indépendantes, car celles-ci achètent leurs moteurs, châssis et autres pièces aux grands constructeurs. L'exemple de Haas F1 (ex-écurie de Romain Grosjean) est d'ailleurs très parlant puisque la voiture américaine roule avec un moteur Ferrari, un châssis Ferrari, le poste pilote étant donc celui sur lequel il est possible de faire d'autres économies quand on n'a pas à le payer, et même mieux, s'il amène des millions.

Un pilote qui paie pour piloter apporte donc de l'argent, une somme vitale pour le fonctionnement de l'écurie. Dans le milieu, selon nos informations, les sommes varient entre 3 et 15 millions d'euros par pilote payant par saison.

Stroll et Latifi, fils de milliardaires

Lance Stroll court chez Racing Point, Nicholas Latifi chez Williams, et tous les deux sont canadiens. Leur étiquette de «fils à papa» a été bien difficile à gommer. Le père Stroll a fait fortune dans la mode, Latifi senior dans l'agroalimentaire au Canada, ils financent chacun la carrière de leur fiston.

Après des débuts difficiles pour Lance Stroll, le pilote du Racing Point a désormais prouvé au bout de plusieurs années qu'il avait le niveau pour occuper l'un des vingt strapontins sur la grille de départ.

Lance Stroll a terminé troisième du Grand Prix de Formule 1 de Sakhir, le 6 décembre 2020. | Tolga Bozoglu / Pool / AFP

Pour Nicholas Latifi, en revanche, l'étiquette de pire pilote du paddock dans la plus mauvaise voiture (Williams) n'est pas usurpée. L'image de l'écurie en prend un coup, ses résultats aussi avec ce pilote médiocre, mais l'essentiel est ailleurs.

Nicholas Latifi au centre, lors du Grand Prix de F1 du Portugal, le 25 octobre 2020. | Rudy Carezzevoli / Pool / AFP

Avec leur père milliardaire, l'avantage est évident pour les écuries: ce sont des transactions plus sûres que celles des entreprises d'État qui investissent dans la F1, soumises aux aléas des politiques nationales. Et surtout, ces pères-là ont l'habitude de mettre la main à la poche: les finances familiales sont sollicitées dès le plus jeune âge, en karting et dans les formules de promotion.

Autre avantage, côté pilote: cela permet aux jeunes de s'aguerrir, d'enchaîner les tours de circuit, et de cumuler des séances d'essai sur des pistes privées avant de débarquer en F1. Pour le bon (Stroll, 2 podiums en Formule 1) et le moins bon (Latifi, aucun point inscrit en 2020).

Schumacher Jr, Sainz, Verstappen... une histoire de famille

On peut être aussi être fils d'ex-champion de F1, performer ou se faire virer par manque de résultats. Le cas de Mick Schumacher, fils de Michael, sera d'ailleurs très intéressant à suivre pour sa première saison en F1 l'an prochain chez Haas. Le fils le plus célèbre du plateau devra, lui, essayer de sortir de l'ombre de son père, septuple champion du monde.

Mission quasi impossible, mais Schumi Jr a pris le temps de grandir dans l'antichambre de la F1 et a dévoilé son potentiel, celui d'un jeune pilote à même d'avoir sa chance.

 

Mick Schumacher avant le Grand Prix d'Allemagne, le 27 juillet 2019. | Andrej Isakovic / AFP

L'enjeu est assez simple à comprendre: le coup de com' apporté par la présence du fils Schumacher va offrir un énorme coup de boost à l'équipe américaine, susceptible de lui apporter de nouveaux contrats de sponsoring.

Pour Max Verstappen (Red Bull), Kevin Magnussen (ex-Haas), Pietro Fittipaldi (ex-Haas), Piquet Jr (ex-Renault) et cie, être pistonné a permis d'obtenir un baquet plus facilement. Le piston, la notoriété d'un nom de famille ou le réseau leur a permis de s'offrir une place.

Les fistons ont-ils été à la hauteur de leur papa de champion? Rarement. Les deux seuls à s'en être vraiment sortis sont Rosberg Jr, champion du monde comme son père, et Verstappen, multiple vainqueur en Grand Prix et désigné comme le futur successeur de Lewis Hamilton.

Max Verstappen (à g.) embrasse son père Jos, après avoir remporté le Grand Prix de F1 d'Autriche, le 1 juillet 2018. | Andrej Isakovic / AFP

Financés par de grands groupes, des fonds ou de grandes fortunes

Des milliardaires peuvent aussi offrir leur aide en dehors de leur famille. Sergio Pérez, pilote mexicain et partenaire cette saison de Stroll chez Racing Point, a depuis le début de sa carrière profité de la manne de Carlos Slim Helú.

Il est arrivé en F1 grâce à l'argent de Slim, qui a permis au passage de faire tourner  pendant des années les écuries dans lesquelles il a couru. D'après Antoine Grenapin, «longtemps, il y a eu une tendance: que des pilotes soient associés à de grandes firmes ou des richesses personnelles adossées de près ou de loin à des États. Slim est l'homme le plus riche du Mexique, le faire rentrer dans le tour de table d'investisseurs d'une écurie peut présupposer qu'il attirera d'autres investisseurs de son pays. Le meilleur exemple est Maldonado [avec la compagnie pétrolière PDVSA] puis plus tard, le Russe Petrov, le Brésilien Nasr... L'idée est qu'on s'attache à un jeune pilote soutenu par une entreprise ayant une grosse surface financière pour tenter de séduire d'autres investisseurs du même pays.»

 

Sergio Pérez célébrant sa victoire au Grand Prix de F1 de Sakhir, le 6 décembre 2020. | Bryn Lennon / Pool / AFP

Selon nos sources, le Russe Mazepin, qui courra chez Haas en 2021 (équipier de Schumacher Junior), serait lui financé par Gazprom.

Alors, avec tous ces pistonnés du volant, la F1 est-elle devenue moins compétitive qu'avant? Très dur de dire si le plateau, le niveau, est moins relevé que chez les générations précédentes, pour la simple et bonne raison que la marge de manœuvre du pilote (là où il fait la différence) est bien plus réduite qu'avant. Plus les années ont passé, plus les voitures sont devenues sophistiquées et plus la marge d'influence du pilotage s'est réduite. Le conflit de générations? Une rengaine dans le sport de haut niveau. Qui est le meilleur? Comparer Platini et Zidane, Pelé à Neymar, Maradona et Messi...

En F1, certains «fils de» ont du talent mais la méritocratie d'antan a disparu. Certains ont le niveau, d'autres non, mais finalement, la Formue 1 est devenue un business comme les autres. «Sport business», «foot business», «Formula One business». Au nom du père et du fils.

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