Parents & enfants

Réagir sans surréagir face à votre ado accro aux jeux vidéo

Et si pour Noël, vous offriez à votre enfant un rapport sain aux jeux vidéo? Spoiler: ça passe aussi par réviser vos croyances.

Les jeux vidéo, dès lors qu'ils sont pratiqués dans des usages sains, présentent un certain nombre d'atouts. | Stillness InMotion <a href="https://unsplash.com/photos/jjWlueaeac8">via Unsplash</a>
Les jeux vidéo, dès lors qu'ils sont pratiqués dans des usages sains, présentent un certain nombre d'atouts. | Stillness InMotion via Unsplash

Temps de lecture: 8 minutes

«Mon fils de 13 ans passe tout son temps libre devant l'ordinateur à jouer. J'ai l'impression que ça le rend mou et sans initiative, raconte Émilie, 44 ans. Pendant les repas ou dans la voiture pour aller au collège, il ne parle que de ça. Moi, je me dis qu'il est accro mais je ne sais pas quoi faire à part couper le wifi quand il a trop joué.»

À force d'être alarmés par de nombreux messages relatifs à la prétendue nocivité des jeux vidéo, de nombreux parents s'inquiètent des pratiques de leur enfant et versent dans une défiance alors même que ces pratiques n'ont rien de problématique. Séverine Erhel, maîtresse de conférences en psychologie cognitive et ergonomie à l'Université Rennes 2 et spécialiste des jeux vidéo, invite à ce titre à faire la différence entre passion et usage problématique: «Le problème n'est pas le nombre d'heures passées, ni que le joueur soit investi ou passionné. On peut passer vingt heures par semaine à jouer et que ça soit un vecteur de socialisation normal et sain. La question se pose, en revanche, lorsque le jeu a des conséquences négatives sur la vie quotidienne.»

Le Dr Bruno Rocher, médecin psychiatre et addictologue au CHU de Nantes, responsable de l'espace Barbara (centre de soins ambulatoires en addictologie) et coauteur du livre Mon enfant est-il accro aux jeux vidéo? déplore également un mésusage des termes «accro» ou «addict» dans le langage courant lorsque l'on aborde la question des jeux vidéo: «On emploie souvent ces mots pour parler de joueurs qui sont en fait de fins utilisateurs, des passionnés certes parfois un peu monocentrés, alors qu'il faudrait les réserver à des joueurs qui ont accumulé des usages problématiques.»

«La question se pose lorsque le jeu a des conséquences négatives sur la vie quotidienne.»
Séverine Erhel, maîtresse de conférences en psychologie cognitive et ergonomie

Tous deux invitent ainsi à un certain relativisme et tiennent à rassurer les parents. Dans son ouvrage, le Dr Rocher suggère même de penser, à contre-courant des discours alarmistes, aux apports du jeu vidéo pour les enfants et les adolescents. Outils de socialisations nouvelles et de développement cognitif et éducatif, les jeux vidéo, dès lors qu'ils sont pratiqués dans des usages sains, présentent un certain nombre d'atouts, en plus d'être un loisir.

C'est ce dont témoigne Caroline, maman d'un garçon de 14 ans: «Sam est très isolé et souvent moqué au collège, et ce d'autant plus qu'il a un TDHA [trouble du déficit de l'attention, ndlr]. Les jeux vidéo lui permettent de se socialiser. Ils contribuent également à lui redonner une certaine estime de lui: réaliser qu'il progresse très vite et a une rapidité d'exécution dans le jeu le réconforte.» Loin de diaboliser les jeux vidéo, elle remarque également: «Certains jeux ont permis à mon enfant de faire parler sa créativité qui est sabordée à l'école.»

Le terme «addiction» convient-il au jeu vidéo?

Tout irait donc parfaitement bien à la lueur des écrans? Pas tout à fait. En 2019, l'OMS a entériné la classification du «gaming disorder», ou «trouble du jeu vidéo», dans le cadre de la onzième révision de la classification statistique internationale des maladies et des problèmes connexes (CIM-11), reconnaissant ainsi l'existence d'usages problématiques du jeu vidéo. Faut-il pour autant parler d'addiction? La question est largement débattue et il n'y a pas de réponse qui fasse vraiment consensus.

Le Dr Rocher adopte le point de vue du clinicien et répond oui, dans le sens où ce trouble relève de l'addictologie: «En se référant au DSM-IV (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), on note une gratification des usages et mésusages qui relèvent de l'addiction: l'usage simple, d'abord; puis les abus ou usages à risque et, enfin, la dépendance. Dès lors que l'on touche aux usages à risque, c'est une problématique d'addictologie.» Il précise néanmoins que «les excès ponctuels voire des petites zones de dépendance font partie du parcours normal de l'individu. Ce n'est pas un drame d'avoir une phase addictive, ni que celle-ci nécessite une prise en charge.»

De son côté, Séverine Erhel est plus prudente: «Je n'aime pas utiliser le terme “addiction” que je juge trop fort et peut-être peu représentatif de la réalité. Même si utiliser ce terme se tient du point de vue de la mécanique de récompense, je préfère le réserver aux substances externes comme l'alcool ou le tabac. En outre, parler d'addiction risque de pathologiser l'adolescent en lui collant une étiquette. Je préfère utiliser l'expression “usages problématiques” qui est plus neutre et moins stigmatisante sans pour autant minimiser les difficultés.»

En outre, à quelques exceptions près (comme les mécaniques mises en place dans les jeux free-to-play qui invitent à jouer toujours plus et à dépenser de l'argent), le jeu vidéo en lui-même n'est pas plus addictif que n'importe quel autre loisir, alors que des substances telles que l'alcool créent en elles-mêmes une dépendance.

Repérer les signaux

Ces usages problématiques (relevant de l'addictologie) se manifestent de différentes manières. Pour le Dr Rocher, les parents doivent commencer à se poser des questions dès lors qu'il y a des changements dans la pratique de jeu (enfermement, refus de laisser les parents regarder ce à quoi on joue, difficultés à s'arrêter...) et/ou des changements de comportement (l'ado fuit le dialogue et se renferme, il ne voit plus ses copains, il délaisse les autres activités extrascolaires, il se désintéresse de sa scolarité...). Attention toutefois à ne pas tout mettre sur le dos des jeux vidéo: ces nouveaux comportements peuvent avoir une ou plusieurs autres causes.

Il faut prendre en compte «tout repli social, toute diminution de bien-être psychologique [...] ainsi qu'une centration uniquement sur les jeux».
Dr Rocher, médecin psychiatre et addictologue

Le Dr Rocher soulève également une difficulté pour repérer les signaux d'un possible usage problématique des jeux vidéo: «On s'inquiète quand on voit une rupture franche mais souvent, les changements d'état s'instaurent lentement du fait d'une habituation dans les yeux de l'entourage. Cela peut être intéressant de demander l'avis de tiers qui ne voient pas l'ado tous les jours, comme par exemple les oncles et tantes.»

Dans tous les cas, le psychiatre invite à prendre en compte «tout repli social, toute diminution de bien-être psychologique, une multiplication des accès d'angoisse ou de colère ainsi qu'une centration uniquement sur les jeux».

Sandrine, 42 ans, relève chez son fils «une incapacité à trouver un intérêt dans d'autres activités. Pour lui, ne pas jouer revient désormais à s'ennuyer. J'ai même l'impression que parfois, il se force à jouer comme si ce n'était plus un loisir mais un travail.» De son côté, Manon, 40 ans et mère d'un ado de 17 ans, se rappelle d'une discussion troublante avec lui: «Il m'a avoué qu'il se sentait coupable de jouer autant, d'avoir besoin de jouer même quand ce n'est pas le moment. C'est comme s'il était forcé de jouer, au détriment de tous les autres aspects de sa vie.»

Poser un regard bienveillant sur les pratiques

Dès lors que de telles situations se développent, les parents se retrouvent généralement démunis pour aider leur enfant et leur permettre de retrouver une pratique plus saine des jeux vidéo. Régulièrement, ils adoptent des stratégies maladroites comme couper subitement le wifi, ce qui est typiquement l'exemple à ne pas suivre: «C'est comme si on enlevait la sucette de la bouche d'un enfant, explique Séverine Erhel. Couper le flow du jeu est perçu comme une violence. Je recommanderais de laisser l'adolescent terminer son niveau.»

Au sein de la famille, face à un ado dont les usages semblent problématiques, on pourra initier le dialogue autour du jeu, comme le fait Caroline avec son fils: «J'ai remarqué qu'interagir avec lui dans ses jeux, le laisser m'expliquer les règles lui permettait de reprendre le contrôle sur lui-même et sur le temps passé à jouer seul. Je pense qu'il est important aussi que le parent puisse être en capacité d'écoute, voire de partage avec son enfant pour être en capacité de parler du jeu, d'évoquer les stratégies ou les graphismes ensemble.»

Le Dr Rocher conseille: «Il est nécessaire de mettre en place des mesures d'annonce pour expliquer pourquoi on demande de couper ou de limiter le temps passé. On peut définir des règles ou un contrat de bonnes pratiques à la maison. Il faut aussi être un bon modèle en tant que parents –on n'est pas crédible si on passe son temps collé à son smartphone! Il importe, en outre, que les parents soient d'accord entre eux sur les mesures éducatives prises et qu'ils s'impliquent dans les usages des jeux vidéo de leurs enfants.»

Il incite, en cas de conflit ou de refus d'écouter, à «faire appel à une personne tierce afin de sortir de la toute-puissance parentale». Séverine Erhel invite les parents à poser un regard bienveillant sur les pratiques, à jouer avec l'ado, à lui demander comment s'est passée sa session de jeu, etc.

Le rapport problématique au jeu vidéo ne survient pas hors contexte

Parfois, les ressources de la famille ne sont pas suffisantes pour aider le jeune et il ne faut pas hésiter à demander de l'aide, soit du côté des enseignants et des éducateurs, soit du côté du soin auprès d'un pédopsychiatre qui a une petite connaissance de l'addictologie, au sein d'une maison des adolescents voire d'un CSAPA (Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie).

«À partir de là, on dresse un bilan complet de la situation pour comprendre pourquoi on en est arrivé là, décrit le Dr Rocher. On cherchera à comprendre quelles sont les fragilités ou les éléments psychologiques sous-jacents. Et on organisera le soin autour de ces fragilités. Un plan de soin sera établi dans le but de réduire la conduite, de retrouver un équilibre et de renouer avec le plaisir de jouer.»

«Le plaisir de jouer a lui aussi ses limites, et l'éducation est là pour aider chacun à s'en doter, afin de garder les mille et une manières de jouer, ensemble, et avec plaisir.»
Jean-Pierre Couteron, porte-parole de la Fédération Addiction

Il faut bien comprendre que le rapport problématique au jeu vidéo ne survient pas hors contexte et qu'il existe un certain nombre de facteurs de risque. Certains sont propres à l'adolescent: anxiété, impulsivité, TDHA... D'autres ont trait à la situation familiale (conflits, violences, ruptures) ou encore à des situations qui donnent à l'ado le besoin d'avoir un refuge (harcèlement scolaire, par exemple). «On retrouve souvent des questions de coping dérégulé, déclare Séverine Ehrel. L'ado essaie de gérer un stress psychologique avec une stratégie qui n'est pas adaptée. On parle de coping d'évitement: il essaie de fuir le problème avec une activité pas adaptée.»

Le recours au soin va permettre de détricoter tous ces facteurs. Le Dr Rocher insiste également sur le fait qu'un bilan médical s'impose: «On se retrouve souvent face à des ados qui sont malnutris et carencés, qui ont des maux de dos ou des tendinopathies, des problèmes d'yeux et des troubles du sommeil importants.»

Enfin, si le jeune refuse la prise en charge, il y a toujours des choses à faire: «On ouvre alors un espace de régulation et de parole pour les parents, indique le Dr Rocher. Cela nous permet d'accéder à la situation familiale. On peut ensuite ouvrir un espace dévolu au jeune. Il faut parfois être innovant.»

Comme l'écrit Jean-Pierre Couteron, porte-parole de la Fédération Addiction, dans sa préface de Mon enfant est-il accro aux jeux vidéo?, il s'agira, dans tous les cas, de «faire la part du risque, pour adopter ces nouveaux jeux, comme nous avons fait la part du feu, appris à jouer avec l'eau, su capter le vent, pour y trouver nos plaisirs, ceux de la vitesse, ceux de la chaleur, ceux de la glisse, et même avec intensité. Le plaisir de jouer a lui aussi ses limites, et l'éducation est là pour aider chacun à s'en doter, afin de garder les mille et une manières de jouer, ensemble, et avec plaisir.»

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