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«Ma belle-famille, Noël et moi», une romcom lesbienne à la fois révolutionnaire et décevante

Cette comédie romantique, sortie le 21 décembre en VOD en France, est un énorme succès d'audience aux États-Unis.

Le couple Abby et Harper. | Capture d'écran<a href="https://www.youtube.com/watch?v=ubKz9FNgin0&amp;ab_channel=FilmsActu"> via YouTube</a>
Le couple Abby et Harper. | Capture d'écran via YouTube

Temps de lecture: 7 minutes

Deux lesbiennes qui s'aiment et passent Noël ensemble. Cela n'a rien de radical, pourtant, c'est un scénario rarissime dans la pop culture. Les films romantiques de Noël sont un essentiel du divertissement, des plus cultes (The Holiday ou Love Actually) aux plus oubliables (A Christmas Prince 3–The Royal Baby). Certaines chaînes américaines en ont même fait leur marque de fabrique, comme Lifetime ou Hallmark, qui ont sorti respectivement cette année 40 et 30 nouveaux films de Noël. Sauf que jusqu'à présent, l'écrasante majorité de ces productions racontaient la merveilleuse histoire... d'un couple hétéro.

Ma belle-famille, Noël et moi (Happiest Season en VO) vient donc chambouler le statu quo et offrir une représentation inespérée aux lesbiennes et aux bis, en devenant le premier film du genre produit par un grand studio dont l'intrigue est centrée autour d'un couple queer.

 

Avoir droit à une romance de Noël aussi cucul la praline que les hétéros est un droit LGBT+ comme un autre, et forcément, les attentes étaient pharaoniques. Sorti pendant le week-end de Thanksgiving aux États-Unis, Ma belle-famille, Noël et moi a rapidement battu plusieurs records, dont celui du film original le plus regardé sur Hulu, et celui qui aurait ramené le plus d'abonnements à la plateforme de streaming.

Pourtant, presque immédiatement, le film a été critiqué dans les médias comme sur les réseaux sociaux. Une «déception», des fans «furieuses», un film «déprimant»… Pourquoi une telle réaction? Parce que Clea DuVall, peut-être piégée par les attentes d'un format trop mainstream pour son récit initial, a créé une comédie romantique de Noël qui n'est ni romantique, ni franchement comique.

Une énième histoire de coming out

Sorti le 21 décembre en VOD, Ma belle-famille, Noël et moi suit les vacances de Noël mouvementées d'un couple de trentenaires, Abby (Kristen Stewart) et Harper (Mackenzie Davis). Harper invite Abby à passer les fêtes avec elle et sa famille, mais lui avoue quelques minutes avant d'arriver dans la demeure familiale qu'elle n'a jamais fait son coming out, et que ses parents ignorent tout de son orientation sexuelle et de sa situation de couple. Elle demande donc à sa petite amie de faire semblant d'être «juste sa coloc», et d'ailleurs, si elle pouvait également ne pas trop la ramener sur le fait qu'elle est lesbienne, ce serait vraiment super. Choquée, Abby finit malgré tout par accepter par amour pour Harper, qui lui promet qu'elle dira tout à ses parents dès que les fêtes seront passées.

Malgré son aspect révolutionnaire, Ma belle-famille, Noël et moi s'avère donc être une énième histoire de coming out, un stéréotype narratif déjà bien éculé dans la fiction, alors que tant d'autres histoires de personnages LGBT+ pourraient et devraient être racontées. Bien sûr, le coming out est une étape non négligeable pour beaucoup de personnes queer dans la vraie vie, et sa représentation aura toujours sa place dans la pop culture. Mais il est trop souvent utilisé de manière maladroite voire nocive (en renforçant l'idée fausse que les personnes LGBT+ sont malhonnêtes), et au détriment d'autres intrigues.

«Ça m'a paru être un moment historique. [...] On a clairement planté un petit drapeau avec cette scène.»
Kristen Stewart, dans Variety

Si le concept est un peu réducteur, le film, qui serait directement inspiré de l'expérience de Clea DuVall, ne s'en tire pas trop mal lorsqu'il s'agit de parler de coming out. Sa scène la plus émouvante arrive sans doute avec le discours de John, le meilleur ami d'Abby, qui a été brouillé avec son père pendant des années après son coming out: «Tout le monde a une histoire différente. Il y a ta version, ma version, et tout ce qui se situe entre les deux. Mais ce que toutes ces histoires ont en commun, c'est ce moment, juste avant de prononcer ces mots, quand ton cœur bat la chamade et que tu ne sais pas ce qu'il va se passer… Ce moment est vraiment terrifiant. Et une fois que tu prononces ces mots, tu ne peux plus les effacer. Un chapitre s'achève, un autre commence, et tu dois te sentir prêt

 

C'est un des moments les plus réussis du film, et qui semble bel et bien révolutionnaire dans une production grand public de cette envergure. D'ailleurs, Kristen Stewart a elle-même admis son émotion lors du tournage de la scène: «Ça m'a paru être un moment historique. [...] On a clairement planté un petit drapeau avec cette scène.»

Malheureusement, ce moment de réconfort cathartique n'est qu'une exception dans un film qui, en tentant maladroitement de créer des rebondissements loufoques, accumule en fait des situations de plus en plus douloureuses à regarder. Entre les brimades de la belle-famille, le déni de sa propre identité et le rejet à peine voilé de sa petite amie, la pauvre Abby est destinée à passer un Noël absolument traumatisant, et chaque tentative d'humour de la comédie tombe étrangement à côté de la plaque.

John et Abby. | Capture d'écran via YouTube

Intrigue traumatisante

Une bonne romcom de Noël rassemble généralement des éléments incontournables: des frasques loufoques mais inoffensives (retenez bien ce mot), de la tension sexuelle, et des situations romantiques qui donnent envie de glousser de manière complètement ridicule. À la place, Ma belle-famille, Noël et moi met en scène une relation de plus en plus toxique, dans laquelle Harper impose son traumatisme à Abby, sans s'inquiéter des conséquences. Kristen Stewart et Mackenzie Davis n'ont quant à elles que très peu d'alchimie, et plus le film progresse, plus l'on a envie de voir le couple se séparer, ce qui peut paraître un peu curieux pour une comédie romantique.

Dès le départ, Abby est maltraitée par sa belle-famille: ils la font dormir seule au sous-sol dans une pièce qui sert de stockage, ne lui accordent aucune intimité, l'excluent constamment, et lui font des remarques condescendantes sur le fait qu'elle ait perdu ses parents dix ans plus tôt (et ne me lancez pas sur le moment où ils l'accusent à tort d'avoir volé des bijoux!). Harper, quant à elle, délaisse sa petite amie à plusieurs reprises pour passer du temps avec d'autres personnes, y compris son ex-petit ami, qui semble encore avoir un crush sur elle.

Le film se transforme ainsi en douloureux flashback pour quiconque a déjà subi ce genre d'exclusion.

La lose, quand elle est bien dosée, est un élément fondateur pour beaucoup de comédies, et dans un film ayant un sens plus aiguisé de son propre ton, ces moments auraient pu être amusants. Mais tout espoir de liesse est sapé par le manque criant d'humanité des personnages, plats et unidimensionnels (les plus desservis étant le père glacial de Harper incarné par Victor Garber, et sa sœur rigide jouée par Alison Brie). À part quelques scènes salvatrices partagées avec Riley (Aubrey Plaza), l'ex de Harper, Abby va de rejet en humiliation sans jamais recevoir le moindre soutien de la petite amie qui l'a plongée dans cette situation.

Le film se transforme ainsi en douloureux flashback pour quiconque a déjà subi ce genre d'exclusion. Alors que l'on prie pour que notre héroïne prenne ses jambes à son cou, Abby reste coincée, en larmes, dans une intrigue qui paraît de plus en plus brutale pour une comédie romantique de Noël. Les maladresses du scénario ne sont jamais aussi criantes que lors de sa conclusion, assez rapide et rétropédalée pour vous filer un coup du lapin.

Une lourde responsabilité

Faut-il pour autant condamner Ma belle-famile, Noël et moi? Pour son affreux titre en VF, ou pour la perruque portée par Mackenzie Davis, la réponse est clairement oui. Pour le reste, c'est plus compliqué. On le sait, les lesbiennes sont invisibilisées, partout: dans l'espace public, dans les médias, et dans les films. Et cette invisibilisation place une responsabilité presque insurmontable sur les épaules proverbiales de chaque nouvelle fiction s'emparant du sujet.

Comme beaucoup d'œuvres pionnières, le film de Clea DuVall est imparfait, mais il est tellement rare de voir une représentation lesbienne mainstream à la télé ou au cinéma, qu'on a presque envie de lui pardonner tous ses défauts.

Quelques minutes avant d'être surprises... | Capture d'écran via YouTube

Si elle est sans doute ratée, tout n'est pas à jeter dans cette romcom. Déjà, c'est une des rares productions de cette envergure à prôner un large casting à majorité queer, qu'il s'agisse de la réalisatrice Clea DuVall, icône lesbienne depuis son rôle dans But I'm a cheerleader, de Kristen Stewart, d'Aubrey Plaza (qui est bi), ou encore des acteurs Victor Garber et Dan Levy. Dans le rôle de John, le confident et soutien émotionnel d'Abby, ce dernier renverse d'ailleurs le cliché du «meilleur ami gay», souvent utilisé dans les films comme personnage secondaire principalement là pour conseiller le héros ou l'héroïne hétéro.

L'aspect le plus réussi du film est ainsi l'accent qu'il met sur l'amitié queer et la famille choisie, ce système de soutien vital dans la communauté. C'est aussi ce rôle que joue Riley, la bouffée d'air frais du film incarnée par Aubrey Plaza. L'ex de Harper, qui a elle aussi souffert d'exclusion et de rejet (Harper l'a même outée au lycée, car oui ce personnage est vraiment horrible de A à Z), reconnaît immédiatement la détresse d'Abby et vient à sa rescousse. La soirée que les deux jeunes femmes passent dans un bar gay, oasis dans un océan d'hétérosexualité, est quasiment le seul répit que nous offre le film.

La présence bienveillante de Riley est si cruciale, et l'aura d'Aubrey Plaza si puissante, qu'elle est immédiatement devenue la petite amie imaginaire préférée d'internet, les fans déplorant le fait qu'elle et Abby n'aient pas fini ensemble. Après tout, le shipping (le fait d'imaginer deux personnages de fiction en couple) est une des activités préférées des fans de pop culture LGBT+ (si vous ne me croyez pas, cherchez «Clexa» ou «Quelliott» sur Google), forcés de repérer des indices cryptiques d'attirance entre deux personnages du même sexe pour pallier leur sous-représentation.

Grâce à son incroyable succès d'audience, Ma belle-famille, Noël et moi ouvrira certainement la porte à d'autres productions grand public pilotées par des créateurs ou créatrices queer. En attendant, le film nous aura au moins offert le plaisir de voir une histoire d'amour lesbienne, aussi naze soit-elle, occuper la conversation médiatique pendant plusieurs jours et se transformer en sujet de discussions animées, d'analyses et de mèmes par des fans plus que jamais désireuses de se voir reflétées dans la fiction.

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