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Le Maroc, ce pays où les bébés naissent par césarienne

La pratique de la césarienne explose au Maroc, parfois réalisée contre l'avis de la mère. Une question de rentabilité?

«Si je dois avoir un nouvel enfant, j'irai accoucher en Espagne, c'est sûr!» | Aditya Romansa <a href="https://unsplash.com/photos/5zp0jym2w9M">via Unsplash</a>
«Si je dois avoir un nouvel enfant, j'irai accoucher en Espagne, c'est sûr!» | Aditya Romansa via Unsplash

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En quelques années, le Maroc est devenu un champion de la césarienne. Selon l'Organisation mondiale de la santé et la Caisse de sécurité sociale du pays, les chiffres de cette pratique ont bondi ces deux dernières décennies, passant de 35% des naissances en 2006 à 43% en 2009, pour dépasser les 61% en 2017. Une évolution contraire aux recommandations de l'organisme international qui recommande un taux de 15%.

Cette tendance «à ouvrir trop facilement le ventre des mères», Ihssane en a été victime. En juin 2020, elle et son mari sont devenus les parents d'un petit garçon. Mais rien ne s'est passé comme ils l'avaient souhaité. «Je voulais accoucher par voie basse comme toutes les femmes de ma famille, je voulais sentir que je donnais la vie à mon bébé et je voulais renforcer ainsi son système immunitaire.»

Ihssane est une jeune active de 36 ans. Elle travaille dans l'administration à Rabat, la capitale, à un poste élevé. Lorsqu'elle a su qu'elle était enceinte, elle a lu «tous les livres de la Terre» et recueilli tous les conseils disponibles pour accoucher dans les meilleures conditions possibles. Diabétique, elle a suivi un régime, fait régulièrement des analyses sans oublier des séances de sport quotidiennes. Le jour J, tout était donc prêt pour que l'enfant naisse par voie basse mais le médecin gynécologue en a décidé autrement.

«J'ai protesté mais plusieurs membres du personnel ont alors accouru pour me mettre la pression.»
Ihssane, contrainte d'accoucher par césarienne

Lorsqu'elle est arrivée avec son mari à la maternité après la perte des eaux, Ihssane a directement été conduite par une sage-femme dans une pièce isolée pour attendre son médecin.

«Je l'avais appelé et il aurait dû tout préparer comme je le voulais: prévenir les sages-femmes, préparer la salle d'accouchement. Au lieu de cela, on me dit que je dois partir au bloc directement. J'ai protesté mais plusieurs membres du personnel ont alors accouru pour me mettre la pression. En larmes, j'ai protesté, disant que je souhaitais attendre que mon bébé naisse naturellement. Qu'il n'y avait pas de raison médicale et qu'ils n'avaient qu'à me déclencher s'ils ne voulaient pas attendre. Le médecin a alors proposé de consulter mon mari qui attendait dans la salle d'attente. Il est sorti quelques minutes puis est revenu en me disant que mon époux était favorable à la césarienne. Et me voilà partie au bloc.»

Traumatisme et mensonges

Ihssane croise alors son mari dans le couloir et en quelques mots, ils comprennent qu'ils ont été dupés. Le médecin aurait dit à chacun que l'autre était d'accord pour la césarienne.

«Mon enfant est sorti moins de deux heures après la perte des eaux. Il ne pesait que 3,150 kilos et toutes les radios et analyses démontraient qu'un accouchement par voie basse était possible. J'étais tellement choquée par l'opération, malheureuse et shootée par leur médicament que j'ai complètement manqué ce premier moment avec mon bébé. Et le pire, c'est que traumatisée, je n'ai pas eu de montée de lait. Si je dois avoir un nouvel enfant, j'irai accoucher en Espagne, c'est sûr!»

«Il m'a menti. Il m'a fait croire que ma femme et mon enfant étaient en danger mais ce n'était pas vrai.»
Amin, mari d'Ihssane

Amin, son mari, est lui aussi très en colère contre le gynécologue-obstétricien: «Nous l'avons consulté pendant des mois. Nous lui avons fait confiance. Il savait que nous voulions un accouchement naturel! Il m'a menti. Il m'a fait croire que ma femme et mon enfant étaient en danger mais ce n'était pas vrai. J'ai même proposé de payer le prix d'une césarienne à la place d'un accouchement classique. Mais rien n'y a fait. Pourquoi ce médecin n'a-t-il pas respecté le souhait de ses patients?»

Ces parents en ignorent la raison mais Ihssane émet une hypothèse: «Il a voulu gagner du temps plutôt que d'attendre que mon bébé naisse par voie naturelle, ce qui pouvait prendre plusieurs heures. Il a choisi de m'expédier au bloc et ensuite d'enchaîner les rendez-vous.»

Un acte rentable pour les cliniques privées?

La tendance aux césariennes serait donc, selon ce couple, une affaire de gros sous? Sur le papier cette hypothèse paraît crédible. Un accouchement par voie basse coûte environ 3.000 à 4.000 dirhams (300 euros) alors qu'une césarienne est facturée le double, voire le triple selon l'établissement. Les accouchements au bloc permettraient de mieux planifier les naissances pour multiplier les actes. Des hypothèses entendues çà et là dans la bouche de nombreuses mamans mécontentes de leur accouchement comme Ihssane.

Une analyse erronée pour le docteur Abdelilah Chenfouri, gynécologue-obstétricien, ancien président de l'Association des gynécologues privés (AGP) du Maroc et fondateur du Collège syndical national des médecins spécialistes privés du Maroc. «D'une manière générale, les accouchements ne sont pas vraiment rentables pour les cliniques privées et en particulier les césariennes. Certes, l'acte est plus court qu'une naissance par voie naturelle, mais une césarienne mobilise un bloc, du personnel et des soins post-opératoires pendant trois à quatre jours. En fait, au Maroc, les accouchements ne sont pas rentables en général, c'est pour cela que les services de maternité ferment dans les cliniques privées.»

«Pas question d'utiliser les forceps, sinon on est traîné au tribunal.»
Abdelilah Chenfouri, gynécologue-obstétricien

Ce médecin de Casablanca attribue la hausse des césariennes à plusieurs autres facteurs. Il estime que les couples aujourd'hui veulent à tout prix un bébé parfait sans que la femme n'ait à subir les douleurs de l'accouchement par voie basse, ni les difficultés qui peuvent s'en suivre comme l'épisiotomie. Et la baisse de la fécondité n'aurait rien arrangé. «Au Maroc, on est aujourd'hui à un taux de fécondité de moins de 2,5% par femme. Les enfants sont moins nombreux et plus précieux. Pas question d'utiliser les forceps, sinon on est traîné au tribunal.»

Selon ce spécialiste, les médecins obstétriciens seraient aujourd'hui trop souvent traînés en justice et les magistrats bien trop complaisants avec les parents. «Ils ne connaissent pas le monde de la médecine et ont la main lourde dans leurs condamnations. Je connais certains médecins qui ont dû vendre leur cabinet après avoir été traînés en justice par des parents mécontents.»

Il comprend donc que certains praticiens ne veuillent prendre aucun risque pour la mère comme pour l'enfant. Après trente ans de carrière, il observe que les jeunes médecins manquent de formation sur les différentes techniques d'accouchement par voie naturelle et essaye d'y remédier en organisant des congrès sur le sujet avec des spécialistes. Mais il rappelle deux faits passés souvent sous silence: «La césarienne n'est pas un acte anodin mais elle a sauvé des vies et fait chuter en partie la mortalité infantile du Maroc. On est passé de 92 décès pour 1.000 naissances en 1982, à 30 en 2010 et aujourd'hui on est à 21.»

Et puis ce que l'on oublie de dire, c'est que la césarienne est un problème de riches, parce que dans les hôpitaux publics tout comme dans les campagnes, il n'y a pas assez de moyens et de personnel formé pour pratiquer des césariennes, pas même pour réaliser des péridurales. Les femmes accouchent à l'hôpital par voie basse et dans la douleur.

«Mieux préparer l'arrivée de son bébé»

Mais certaines Marocaines se sont accommodées de cette frénésie des césariennes. Il y en a même qui la réclame. C'est le cas de Mariam, une habitante de Tanger. Cette maman de deux garçons explique qu'elle a toujours voulu accoucher par césarienne.

«C'est même moi qui ait demandé la césarienne à mon gynéco. Il n'en revenait pas parce que souvent, les femmes veulent l'inverse. Il a tout fait pour me dissuader mais c'était non négociable.»

«Je me suis préparée pour ce grand jour. La veille, je suis allée chez le coiffeur. J'ai fait une pédicure.»
Mariam, a choisi une césarienne

Elle confie avoir eu très peur d'accoucher par voie basse: peur de ne pas savoir quand cela arriverait, peur de la perte des eaux, peur de la douleur, peur, explique-t-elle, de ne pas avoir le contrôle sur son corps. «Je suis quelqu'un qui veut tout contrôler. Grâce à la césarienne, j'ai décidé de la date de l'accouchement, en accord avec mon médecin pour que je sois à terme. Je me suis préparée pour ce grand jour. La veille, je suis allée chez le coiffeur. J'ai fait une pédicure. J'avais envie d'être bien pour ma rencontre avec mon bébé. Tout s'est très bien passé mais j'ai eu trés mal après l'accouchement, ce qui est normal avec une césarienne.»

Une chose lui a manqué: le peau à peau, ce contact physique entre la mère et l'enfant juste après l'accouchement. «Avec une césarienne, on a juste le droit de faire un bisou au bébé et c'est mon mari qui a assuré ce premier contact, mais je ne regrette rien.»

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