Parents & enfants / Société

Liberté, créativité, épanouissement... ils ont fait l'école à la maison

Chaque année, environ 50.000 enfants suivent une instruction à domicile. Quatre adultes témoignent de cette enfance particulière.

«J'avais l'immense privilège d'avoir le temps de réfléchir.» | Annie Spratt <a href="https://unsplash.com/photos/xKJUnFwfz3s">via Unsplash</a>
«J'avais l'immense privilège d'avoir le temps de réfléchir.» | Annie Spratt via Unsplash

Temps de lecture: 5 minutes

Quentin et Agathe, frère et sœur de 29 et 35 ans originaires de Canaveilles, dans les Pyrénées-Orientales, ne sont presque jamais allés à l'école. Une année seulement, à mi-temps, en moyenne section. «Notre maman était institutrice et nous a toujours laissé le choix», expliquent-ils.

Les deux enfants avaient cinq heures de cours par semaine au primaire, une vingtaine au collège pour Quentin, spécialement conçues par leur mère. Lui obtient son brevet et son bac en candidat libre, un examen passé «par respect pour ma mère» dit-il. Quant à Agathe, elle est titulaire d'un CAP vitrail et d'une double licence arts plastiques et histoire de l'art, toutes deux suivies à distance. Aujourd'hui, Quentin est paysagiste élagueur et Agathe vitrailliste et costumière de spectacles. Elle travaille aussi dans l'événementiel pour les enfants et ambitionne de devenir professeure de yoga.

Clément*, lui, est arboriculteur pépiniériste dans un écovillage au sud de Toulouse, qu'il a rejoint en 2012. Il n'est pas non plus allé à l'école, c'est sa mère qui lui faisait cours jusqu'à la classe de seconde, où il a souhaité «se confronter aux gens de [ma] génération, au vrai système». Passionné par les sciences, il décroche un 20 de moyenne en maths et 19,5 en physique-chimie. Il tente de suivre une première scientifique avec le Centre national d'enseignement à distance (Cned), mais il n'y parvient pas et se lance dans la musique classique.

Épanouissement et confiance

En France, les chiffres varient, mais ils seraient entre 50.000 et 60.000 élèves à suivre l'instruction à domicile. Des personnes comme Clément, Agathe et Quentin qui ont passé la majeure partie de leur cursus scolaire à domicile sont «minoritaires». «Généralement, l'école à la maison ne dure qu'une ou deux années», précise le maître de conférences en sciences de l'éducation Philippe Bongrand.

Cette pratique datant de la loi Ferry de 1882 et inscrite dans le code de l'éducation, est plus que jamais menacée par l'exécutif. Le projet de loi sur le séparatisme religieux et la laïcité présenté ce mercredi 9 décembre en Conseil des ministres comporte un volet prévoyant de rendre la scolarisation obligatoire dès l'âge de 3 ans, sauf pour les enfants présentant un problème de santé. Avec cette loi, le gouvernement entend «sauver des griffes des islamistes» les plus de 2.500 enfants qui disparaissent des radars de l'école, avait ainsi déclaré le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.

«J'avais besoin de me sentir libre, de ne pas avoir d'horaires.»
Quentin

L'instruction à domicile ne revêt pas toujours d'un choix religieux. Pour Quentin, il était impossible de s'imaginer huit heures dans une salle de classe, sans compter les transports. «On est dans un village reculé. L'école la plus proche était à 7 kilomètres, et le collège était à Prades, à 30 kilomètres. En montagne, il faut une heure pour y aller.» Inenvisageable pour le gamin de l'époque qui se définit comme un peu hyperactif.

«J'ai toujours eu besoin de grimper dans les arbres, de créer, de courir… Si à l'école on faisait les cours en marchant, j'y serais peut-être allé, ironise-t-il. J'avais besoin de me sentir libre, de ne pas avoir d'horaires. Parfois je regardais le paysage pendant des heures. J'avais l'immense privilège d'avoir le temps de réfléchir», se réjouit Quentin.

Le temps rendu disponible grâce à l'école à la maison est un argument majeur qu'utilisent ces trois adultes. «J'ai appris à me connaître, à prendre confiance en moi et à réfléchir à ce que je voulais devenir, explique Agathe. Je me promenais, faisais des puzzles, dessinais, rêvais… J'étais passionnée par les insectes, j'en ramassais plein puis je les observais.»

Pour certains, l'épanouissement est passé par les sorties dans la nature. | Annie Spratt via Unsplash

Izïa, 22 ans, a grandi dans ce que l'on appellerait aujourd'hui un écovillage. «J'étais chargée du poulailler, je travaillais dans le jardin, je construisais des cabanes… J'ai beaucoup grandi dans la nature.» Elle a suivi l'instruction à la maison jusqu'à ses 15 ans, «entourée de plein de monde», puis a décidé d'aller à l'école en classe de troisième. «J'ai intégré le collège à Marseille car je voulais tester une autre manière d'apprendre. C'était un moment important pour moi, j'avais mis ma plus belle chemise!», plaisante celle qui vient d'obtenir sa licence en psychologie et qui s'engage dans un master spécialisé dans le développement de l'enfance.

Lors de cette scolarisation à l'école, Izïa prend plaisir à s'engager. «J'étais dans plein d'associations au collège et au lycée. J'adorais ça.» Cette soif d'engagement perdure aujourd'hui puisqu'Izïa est l'une des plus jeunes élues municipales de France. Elle appartient à la majorité divers gauche à Lodève, dans l'Hérault.

«Faire école à la maison, c'est aussi une volonté de vivre un peu différemment, en cassant avec le rythme métro, boulot, dodo», précise pour sa part Ghislaine Compagnon, doctorante en sciences de l'éducation au laboratoire Lirtes à l'université de Créteil (Upec). Et de rappeler que «l'instruction en famille est très réglementée puisqu'elle est encadrée par la loi. Tous les ans, un contrôle est effectué par l'inspection académique. Celle-ci veille à évaluer la progression de l'enfant et effectue un contrôle de compétences des parents

Difficultés

Clément et Agathe conçoivent, à demi-mot, que grandir sans être entouré d'enfants de leur âge est peut-être l'unique point négatif. «Je n'ai pas vécu mon passage à l'adolescence avec un groupe d'amis de mon âge. Ce n'était pas possible d'en avoir, ils étaient tous à l'école», explique Clément.

Dans son village de vingt-huit habitants, Agathe n'avait que son frère avec qui jouer, mais précise «ne pas avoir réellement ressenti de manque». Les contacts avec les enfants de son âge, elle les a eus pendant ses dix ans de théâtre, ses ateliers de cirque et au collège dans lequel elle a fait sa quatrième et sa troisième. «Les autres élèves avaient de gros préjugés me concernant. Eux étaient passionnés par la mode et des musiques qui ne me correspondaient pas.»

Clément a éprouvé les mêmes difficultés lorsqu'il se rendait à ses entraînements de judo ou de basket. «Ils venaient pour se défouler après l'école. Moi, je m'étais dépensé toute la journée, alors je venais pour être sérieux.»

«À ce moment-là, j'ai vraiment suivi des cours à la maison. Je ne voulais pas avoir honte quand je devais écrire mon prénom.»
Clément

C'est avec des personnes plus âgées que Clément, Izïa, Agathe et Quentin se sont majoritairement sociabilisés. De 10 à 13 ans, Clément jongle et participe à des spectacles de rue, parfois à l'étranger. «Je côtoyais des personnes âgées de 20 à 40 ans.»

Après ces trois années, il avait oublié certaines lettres de l'alphabet et ne savait plus écrire attaché. «À ce moment-là, j'ai vraiment suivi des cours à la maison. Je ne voulais pas avoir honte quand je devais écrire mon prénom.»

Étudier à la maison a permis à certains de s'adapter à toutes les situations. | Jessica Lewis via Unsplash

«On est devenus très débrouillards»

Avec le recul, grandir dans cet environnement était un avantage selon ces adultes. «Au collège, j'engageais la conversation normalement avec les professeurs, ça étonnait les élèves. Aujourd'hui, je suis un vrai caméléon, je m'adapte partout où je vais», se félicite Agathe.

«C'est l'avantage de l'école à la maison: j'ai un savoir-faire manuel et je suis très curieux d'apprendre des choses que je ne connais pas.»
Quentin

Dans le monde professionnel, Quentin assure n'avoir jamais eu de difficultés à s'intégrer dans une entreprise. «Je montrais de quoi j'étais capable en pratique, et on ne m'a jamais demandé de diplôme. J'ai fini responsable dans un parc d'accrobranche.» Il part ensuite travailler en Allemagne, «où j'ai appris à travailler avec sécurité, car avant je montais aux arbres sans corde. C'est l'avantage de l'école à la maison selon moi: j'ai un savoir-faire manuel et je suis très curieux d'apprendre des choses que je ne connais pas.» 

«On est devenus très débrouillards», commente pour sa part Agathe. Clément, lui, travaille en indépendant et vit en vendant des arbres fruitiers aux habitants de l'éco-village où il vit et dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres. «Je fais ce qui me passionne et je n'ai pas besoin de diplôme pour ça.»

À l'image de Quentin, Agathe, Clément et Izïa, Philippe Bongrand précise qu'il serait «infondé d'établir une réalité sociale sur le long terme concernant ces adultes ayant suivi l'école à la maison. Pour l'instant, la recherche s'est surtout concentrée sur les motivations des parents. Elle n'a pas encore balisé l'ensemble des profils sociaux qui ont recours à l'école à la maison.»

*Le prénom a été changé

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