Politique

Il faut reconfigurer l'État de droit, pas y renoncer

[TRIBUNE] Pour lutter contre l'insécurité, l'État de droit ne doit pas être suspendu mais mieux armé, selon l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. Un point de vue que nous publions pour tenter de mieux cerner les positionnements idéologiques à l'œuvre au sommet de l'État.

Place de la République, à Paris. | Darío Gutiérrez <a href="https://unsplash.com/photos/EmlsMGWqB8Y">via Unsplash</a>
Place de la République, à Paris. | Darío Gutiérrez via Unsplash

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Telle la statue du Commandeur, la notion d'État de droit est constamment brandie pour décourager les tentatives de renforcer la sécurité publique. Elle est rarement définie. La façon la plus opératoire de définir l'État de droit est d'en expliciter les quatre composantes:

  • Des normes encadrent l'action des pouvoirs publics, en particulier quand ils prennent des mesures individuelles. À défaut de cet encadrement, l'action du prince serait arbitraire. 
  • Ces normes sont hiérarchisées entre elles: au sommet la Constitution, puis les lois, enfin les règlements. Les normes de niveau supérieur contraignent les normes de niveau inférieur.
  • Ces normes ont pour source le peuple souverain soit directement par la voie du référendum (référendums constitutionnels par exemple), soit indirectement par le truchement de ses représentants élus au suffrage universel (lois) ou par l'activité d'un gouvernement responsable devant la représentation nationale (règlements). C'est le principe de la souveraineté populaire.
  • La mise en œuvre de ces normes par le pouvoir exécutif (et l'administration) est susceptible d'un contrôle juridictionnel.

Puissance publique et liberté

Deux principes cardinaux sous-tendent l'action publique dans un État de droit: les pouvoirs publics ne doivent pas pouvoir faire n'importe quoi; mais la protection du peuple doit être effective. Autrement dit: l'État doit non seulement respecter le droit, mais aussi le faire respecter et donc s'en donner les moyens. Aussi la dialectique entre puissance publique et liberté est-elle vieille comme le contrat social:

  • La puissance publique menace-t-elle la liberté? Bien sûr! Il faut donc la contenir par divers garde-fous, tels la séparation des pouvoirs et la possibilité de recours juridictionnels.
  • Cependant, comme le montre le triste spectacle des sociétés sans État (ou dépourvues d'un État digne de ce nom), l'inexistence ou la carence de la puissance publique menace la liberté autant, sinon plus, que son poids excessif.

Il est vrai, historiquement, que les libertés ont été malmenées par le prince. Toutefois, pour Montesquieu déjà, la liberté se définissait comme «la tranquillité d'esprit du citoyen qui provient de son opinion que le gouvernement non seulement ne l'assujettit pas, mais fait en sorte qu'il ne puisse craindre d'un autre citoyen».

«Si l'État est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons.»
Paul Valéry

À la suite de Montesquieu, qu'il soit permis d'énoncer deux évidences:

  • La liberté est inséparable de l'action positive (et non pas seulement de l'abstention) de l'État en faveur de la sûreté de chacun. La sûreté est en effet la condition première de l'exercice des libertés, à commencer par les plus fondamentales d'entre elles (vivre, se déplacer, travailler, mener une vie privée et familiale, exprimer son opinion, etc.).
  • L'État de droit doit rester le correctif de la souveraineté, non dévitaliser cette dernière.

On connaît la formule de Paul Valéry: «Si l'État est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons.»

Conséquences du fondamentalisme

Lorsqu'on parle, comme aujourd'hui, de mieux armer juridiquement la société contre l'islamisme ou la délinquance, on n'entend pas abolir l'État de droit, mais déplacer le curseur dans les limites de cet État de droit. Au demeurant, depuis une quinzaine d'années, quelques déplacements de curseur se sont réalisés (en suscitant toujours d'âpres débats) en faveur de l'intérêt général et des disciplines collectives: prohibition des signes religieux ostentatoires à l'école publique, prohibition de l'occultation du visage dans l'espace public, loi renseignements, loi SILT (qui pérennise certains aspects de l'état d'urgence antiterroriste), législation sur la crise sanitaire.

Un assez large consensus se dégage aussi aujourd'hui pour que le projet de loi sur les valeurs de la République, en cours de préparation, déplace sensiblement le curseur. Tout cela devrait paraître évident, mais cela ne l'est pas dans la France contemporaine.

C'est ce fondamentalisme et non l'État de droit qui est le problème.

Le déplacement du curseur dans le sens de l'intérêt général est en effet bloqué par un fondamentalisme «droits-de-l'hommiste», minoritaire dans l'opinion, mais influent dans le monde politique, médiatique, associatif et au sein même des institutions.

C'est ce fondamentalisme et non l'État de droit qui est le problème. Il nuit en effet à l'État de droit qu'il prétend défendre, car, par ses excès, il conduit chacun à se demander si l'État de droit n'est pas devenu un carcan pour la démocratie («des tas de droits tenant l'État à l'étroit»), une mauvaise affaire pour les libertés…

De fait, le droit contemporain intègre de moins en moins le souci de l'intérêt général. Il magnifie des droits fondamentaux dont il a une vision de plus en plus abstraite et «myope», faute de voir au-delà de l'impact direct des décisions publiques sur les droits individuels, faute de prendre en compte les intérêts diffus des gens, faute de se soucier du long terme, faute d'attacher un prix suffisant au bien de la collectivité, faute aussi de s'intéresser aux effets globaux, différés, collatéraux, indirectement vertueux ou pervers, des politiques publiques.

Le droit public contemporain ignore la notion d'externalité, bien connue des économistes… Au terme d'une évolution en cours depuis une cinquantaine d'années, l'ordre constitutionnel dont se réclame le droit occidental contemporain ne comprendrait plus que des droits individuels ou catégoriels, dont la communauté politique en général, l'État en particulier, devraient se borner à assurer la satisfaction et, à la rigueur, la conciliation.

Ce fondamentalisme opère tant au niveau idéologique qu'au niveau juridictionnel.

1- Au niveau idéologique

Pour une certaine doxa, tout déplacement du curseur dans le sens de la sécurité, des exigences collectives, de l'ordre public, des intérêts supérieurs de la nation, est liberticide.

Cette conception est héritière à la fois de l'individualisme libéral et du manichéisme inhérent à la vulgate marxiste. Elle a façonné les attitudes et le droit lui-même, aux plans national et européen.

Dans cette vision, le pouvoir régalien, le pouvoir qu'a l'État de contraindre unilatéralement, est la part honteuse de la souveraineté. C'est le legs de Créon. Or la mentalité contemporaine, et, par contagion, la pensée juridique contemporaine, en Occident, se veut totalement, axiologiquement, existentiellement, du côté d'Antigone. Plus encore qu'à l'époque des Lumières, qui avaient pourtant plus de raisons de s'en inquiéter, l'action de l'État gendarme est perçue comme la menace première pour les libertés.

Ainsi, au nom de la défense des libertés contre l'État gendarme, toute une partie de la classe politique, médiatique et juridique s'est dressée avec constance, depuis des décennies, contre l'attribution à la police de moyens modernes d'investigation.

Vidéosurveillance au niveau de la promenade des Anglais, à Nice. | Valery Hache / AFP

Elle s'est par exemple opposée avec véhémence à la vidéosurveillance, dont les avantages, en matière de prévention et d'enquête, ne sont plus à démontrer, comme à la mise en place du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais), outil irremplaçable pour identifier et confondre, à partir des empreintes génétiques, les coupables de telles infractions.

Et que dire du partage des fichiers de police entre services, de l'accès des maires aux données relatives aux radicalisés ou de l'utilisation de la biométrie et de la reconnaissance faciale, toutes méthodes précieuses pour élever notre niveau de sécurité collective, mais sur lesquelles les organismes de contrôle compétents, et particulièrement la Cnil, ont toujours jeté un regard désapprobateur, lorsqu'ils ne les ont pas purement et simplement entravées?

À Nice, la gauche s'est opposée aux bornes d'appel d'urgence de la police municipale, qui, couplées aux caméras de sécurité, ont démontré leur efficacité et dont l'une a permis d'éviter un plus grand massacre au matin du 29 octobre. Auparavant, le maire, Christian Estrosi, s'était vu refuser par la Cnil d'expérimenter Reporty, une appli smartphone d'appels vidéo à la police municipale qui permet, lorsqu'on est témoin d'une incivilité, de filmer l'incident en temps réel en connexion avec le centre de vidéosurveillance de la police municipale. L'annonce de cette expérimentation avait suscité la création d'un collectif dénonçant «la dérive sécuritaire du maire».

Des policiers devant la basilique Notre-Dame de l'Assomption à Nice, le 29 octobre 2020. | Eric Gaillard / POOL / AFP

On a assisté à la même levée irrationnelle de boucliers et au même raidissement doctrinaire de la Cnil à l'encontre des mesures de traçage prises dans le cadre de la lutte contre le Covid (StopCovid, enquêtes sanitaires).

Le pouvoir d'intimidation de cette «vigilance citoyenne» (qui est à la fois une obsession et un fonds de commerce), doublé de risques contentieux bien réels et de la peur panique de nos dirigeants de voir périr un nouveau Malik Oussekine lors d'une opération de maintien de l'ordre (appréhension d'un malfaiteur, dispersion d'une manifestation illicite…), induit une autocensure plus ou moins consciente chez les responsables de la sécurité publique et de la politique pénale. D'où leur impuissance face aux rodéos des cités, aux débordements des supporters des clubs de football et, de façon générale, aux attroupements illicites. Même en cas de péril environnemental ou sanitaire sérieux, les pouvoirs publics sont démunis devant un rassemblement sauvage, comme on a vu, au cours de l'été 2020, avec les rave parties du Causse Méjean et de Toul.

Qui plus est, les politiques régaliennes se voient corsetées par une jurisprudence faisant toujours davantage prévaloir les droits des individus et des groupes sur les intérêts supérieurs de la collectivité, ainsi que par un droit humanitaire toujours plus invasif.

2- Au niveau juridictionnel

Nos cinq Cours suprêmes (trois nationales et deux supranationales), sur la base des énoncés souvent vagues figurant dans nos chartes des droits fondamentaux (Constitution et traités), censurent fréquemment le déplacement du curseur lorsqu'il se fait dans le sens des exigences collectives. Elles le font sur le fondement d'une conception abstraite des droits de l'homme, donnant lieu (au travers du «contrôle de proportionnalité») à une jurisprudence impressionniste qui ne fait pas la part belle à l'intérêt général.

La quatrième composante de l'État de droit (le contrôle juridictionnel) s'est hypertrophiée au cours du demi-siècle écoulé. Cette quatrième composante tend désormais à inhiber les trois autres et plus particulièrement les fonctions régaliennes de l'État. Les facteurs ayant conduit à cette hypertrophie sont, pour l'essentiel, les suivants:

  • Justiciabilité illimitée des actes des pouvoirs publics (lois, règlements, décisions individuelles, omissions d'agir, etc.);
  • Multiplication des voies de recours (pénales, civiles, administratives, constitutionnelles, conventionnelles) contre ces actes;
  • Pouvoirs accrus conférés au juge (pouvoir d'injonction à l'égard de l'administration par exemple);
  • Possibilités de saisine offertes aux associations militantes (constitution de partie civile, interventions, etc.);
  • Adoption unilatérale de techniques jurisprudentielles subjectives et intrusives (contrôle de proportionnalité, incompétence négative, directives d'interprétation);
  • Biais du juge à l'égard de pouvoirs publics présumés représenter le péril majeur pour les libertés;
  • Émulation entre Cours suprêmes dans la défense intransigeante des droits fondamentaux;
  • Manque de retenue («self restraint»), voire «hubris» du juge dans l'exercice de son office. Le juge peut se rêver incarnation du Bien; non plus simple autorité, ni même pouvoir au milieu des pouvoirs, mais pouvoir au-dessus des pouvoirs.

La montée en puissance contemporaine du pouvoir juridictionnel n'est pas sans rappeler les excès des Parlements d'ancien régime, lesquels n'ont pas peu contribué à la Révolution française.

Pénétrée (non sans remords du côté du Conseil d'État) par la primauté des droits individuels, la jurisprudence de nos cinq Cours suprêmes enserre l'action du gouvernement et du Parlement au point de formater des pans entiers des politiques publiques (garde à vue, regroupement familial, etc).

Ce formatage est stimulé par l'action militante d'activistes et d'ONG. Le droit devient, pour les militants de la transformation radicale de la société, le champ de bataille principal, alors qu'il n'était, pour leurs prédécesseurs marxistes, qu'une superstructure bourgeoise dont il fallait dénoncer les faux-semblants. 

Les pouvoirs publics ne peuvent plus arbitrer, ce qui est pourtant au cœur du politique et ce qui est le terrain d'élection de la recherche de l'intérêt général. 

La mise en cause de l'action régalienne de l'État se nourrit de l'exaltation des droits fondamentaux, et plus précisément des droits subjectifs, opposables par un particulier à une personne publique. Selon leur nature, ces droits contraignent diversement le législateur et l'administration. Les droits-libertés limitent toujours plus strictement les marges de manœuvre de l'État régalien, lorsque celui-ci entend sauvegarder l'ordre public. Les droits-créances assujettissent les pouvoirs publics en général et le législateur en particulier à une obligation de résultat, les transformant en simples courroies de transmission d'un logiciel qui dénie aux élus de la nation, comme aux administrateurs, leurs prérogatives d'arbitrage. 

Or là où un droit est proclamé, surtout si c'est un droit-créance, le pouvoir politique et son bras administratif sont sommés d'exaucer, même si les ressources manquent pour ce faire, même si cela entre en conflit avec d'autres droits ou avec le bien public. Les pouvoirs publics ne peuvent plus arbitrer, ce qui est pourtant au cœur du politique et ce qui est le terrain d'élection de la recherche de l'intérêt général. 

Perte d'efficacité

Les conséquences en sont graves pour l'État de droit lui-même, du moins tel qu'on l'a défini plus haut:

  • L'État de droit se voit contraint si rigidement que les pouvoirs publics démocratiques ne peuvent plus guère déplacer le curseur que dans un sens, tout déplacement en sens inverse étant exposé à une censure aussi sévère qu'imprévisible dans ses motivations et sa portée;
  • Il en résulte une abstention et donc une perte d'efficacité de l'action publique qui détériore le pacte social (car l'affaiblissement des fonctions régaliennes dégrade les conditions d'exercice effectif des droits et libertés) et désespère les citoyens, les poussant à l'autodéfense ou à la protestation populiste;  
  • Ce n'est plus le représentant élu qui détermine les politiques publiques, mais les cours. D'où une atteinte chronique à la séparation des pouvoirs.

Bien sûr, comme l'histoire nous l'a appris, la démocratie ne saurait se réduire à la volonté majoritaire qui peut être tyrannique et dont les risques de dérapage sont redoutables. Les chartes des droits et les juges qui en assurent le respect effectif sont de nécessaires garde-fous.

Mais les cours doivent-elles négliger une volonté populaire constamment manifestée sur des sujets qui la touchent directement, parce qu'ils ont trait à la continuité de sa culture et à la pérennité de son mode de vie? Or c'est bien la situation à laquelle nous sommes parvenus, en France comme dans beaucoup de pays occidentaux.

Reconfigurer l'État de droit

Comment remonter cette pente? Comment faire revenir la quatrième composante de l'État de droit à sa juste place (réguler, sans les inhiber, les fonctions régaliennes)?

S'agissant de l'opposition politique ou philosophique au déplacement du curseur dans le sens de la protection, la réponse relève du débat politique ou philosophique. Quant aux Cours suprêmes, la réponse ne peut intervenir qu'au plus haut niveau de la hiérarchie des normes. Un traité se renégocie. La Constitution se révise.

S'agissant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la France pourrait rétablir la réserve qu'elle avait initialement faite (et levée en 1981) au recours individuel devant la Cour de Strasbourg.

S'agissant de la Cour de justice de l'Union européenne, les traités européens pourraient être modifiés pour priver de valeur normative de la Charte européenne des droits fondamentaux et exclure la compétence de la Cour dans les domaines régaliens.

Dans l'ordre juridique interne, la révision constitutionnelle permet de restituer aux pouvoirs publics des marges de manœuvre dans des domaines où existent des obstacles constitutionnels (ou surtout résultant de la jurisprudence des Cours suprêmes) à l'efficacité des politiques publiques.

Une option forte serait d'inscrire dans la Constitution une possibilité parlementaire de «passer outre» aux jurisprudences paralysantes des Cours suprêmes. On peut imaginer à cet égard de «forcer» le maintien en vigueur d'une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel (ou contraire au traité par une Cour supranationale), dès lors que le Parlement se prononcerait expressément en ce sens par un vote à la majorité qualifiée intervenant dans un certain délai à compter de la censure. MM Ciotti et Larrivé ont déposé un amendement en ce sens lors de l'examen, il y a deux ans, du projet de loi constitutionnelle «pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace».

Ces changements seraient considérables, mais ils tendraient à reconfigurer l'État de droit et non à y renoncer. Ils auraient une portée utile, car, en l'état des jurisprudences de nos Cours suprêmes:

  • Seule une modification de sa Constitution permettrait à la France de placer en rétention administrative les radicalisés; de déchoir de la nationalité française les auteurs d'actes terroristes, y compris lorsqu'ils n'ont pas une autre nationalité; de plafonner les flux migratoires; de donner une portée normative à tout ce que la laïcité à la française comporte de coutumier, notamment la discrétion religieuse dans l'espace public et sur les lieux de travail; de maintenir dans des centres fermés les demandeurs d'asile tant que leur dossier est en cours d'examen; de faire pratiquer des contrôles d'identité par les forces de l'ordre sans avoir à recueillir un agrément judiciaire préalable et sans se voir reprocher un délit de faciès du seul fait que les personnes contrôlées font partie d'une minorité visible; ou de mettre fin, au profit du juge administratif, à la double intervention des deux ordres de juridiction en matière d'éloignement des étrangers;
  • Seule une modification du droit européen permettrait à la France par exemple de rétablir des contrôles frontaliers; de placer rapidement en centre de rétention administrative les étrangers en situation irrégulière ne présentant pas de garanties de représentation suffisantes; ou d'édicter des obligations de neutralité religieuse sans se voir taxée d'atteinte à la liberté religieuse ou de discrimination indirecte;
  • Seule une dénonciation de la convention de Genève (ou du moins une suspension de sa participation à cette convention) permettrait à la France de refouler un trop-plein de demandeurs d'asile.

S'agissant du droit européen, les modifications doivent se faire à l'unanimité (traités) ou à la majorité qualifiée (droit dérivé). Elles exigent donc de nouer des alliances.

Un certain nombre de directives devraient être renégociées (par exemple celle prohibant les «discriminations indirectes» sur les lieux de travail, qui interdit aux règlements intérieurs de fixer des règles qui, même sans intention discriminatoire, désavantagent objectivement certaines expressions religieuses).

La France pourrait aussi suspendre unilatéralement l'application de telle ou telle règle du droit européen ou l'observation de telle ou telle jurisprudence de la Cour de justice de l'Union (par exemple la jurisprudence Digital Rights) pour un motif d'intérêt national impérieux ou pour sauvegarder son identité constitutionnelle. Les deux attitudes (recherche d'un accord et geste unilatéral) ne sont pas inconciliables: le seconde peut être un catalyseur de la première.

Le droit en vigueur ne permet pas de lutter contre l'islamisme en tant que tel.

Sans attendre ces changements constitutionnels ou conventionnels, l'arsenal légal actuel doit être renforcé pour répondre à la montée de l'islamisme et du terrorisme islamiste.

Un exemple: la fermeture des lieux radicaux. Elle s'est fondée depuis trois ans sur d'autres motifs que la lutte contre la radicalisation (hygiène, règles de construction, droit du travail, etc.). Pourquoi avoir recours à des prétextes? Parce que le droit en vigueur ne permet pas de lutter contre l'islamisme en tant que tel. Le projet de loi consolidant les principes républicains, inscrit au Conseil des ministres du 9 décembre, renforcera-t-il le droit en vigueur (article L227-1 du code de la sécurité intérieure s'agissant des lieux de culte)? Le Conseil constitutionnel admettra-t-il ce renforcement? Voilà une bonne étude de cas pour illustrer notre sujet...

Face à l'islamisme radical, comme face à l'ensauvagement de certaines franges de la société, l'État de droit a besoin d'être non suspendu, mais mieux armé. Mieux armé pour n'être ni bafoué aujourd'hui par les fanatiques et les prédateurs, ni liquidé un jour par l'exaspération populaire.

Jean-Éric Schoettl est l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.

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