Société

Reconfinement: les plus de 40 ans ne sont pas si sages que vous le croyez

Sorties, petites infractions et abus sur les motifs de déplacement… Jeunes comme plus âgés, ils sont nombreux à déroger aux règles du confinement.

60% des Français ont transgressé au moins une fois les règles du second confinement, selon l'Ifop. | Vidar Nordli-Mathisen <a href="https://unsplash.com/photos/loTTPqOed7c">via Unsplash</a>
60% des Français ont transgressé au moins une fois les règles du second confinement, selon l'Ifop. | Vidar Nordli-Mathisen via Unsplash

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La veille de leur départ, ils contactent une dernière fois l'hôtel réservé à Lagos –ville touristique située au sud du Portugal. La réceptionniste leur confirme que les établissements de la région restent bien ouverts. Pour la cinquième fois, ils regardent les informations sur les dernières restrictions mises en œuvre sur place. Sacs de golf et valises sont déjà bouclées et rangées dans le coffre de leur berline. Jacques et Florence, retraités, sont prêts pour la mission évasion «Algarve 2020».

Vendredi 6 novembre, 8 heures du matin. Après avoir englouti une tasse de café et deux tartines, le couple de sexagénaires grimpe tout excité dans le véhicule. Le départ se fait depuis Paris direction la frontière espagnole, avec une étape dans leur maison de campagne, perdue dans les Landes. Leur voyage n'aurait pas pu être mieux ficelé.

«On l'a joué comme dans “La Traversée de Paris”, à esquiver les patrouilles.»
Jacques, retraité

«Pour ne pas risquer de se faire arrêter par la police, on est partis en semaine et on a pris l'autoroute A20 pour éviter les gros péages», confie Florence. Leur motif de déplacement en cas de contrôle? Porter assistance à une personne vulnérable, leur beau-frère âgé qui vit seul à Biarritz. Simple et efficace. Dès le lendemain, départ des Landes direction le Portugal mais sans attestation cette fois-ci. Au risque de se faire contrôler à la frontière. «On l'a joué comme dans La Traversée de Paris, à esquiver les patrouilles», sourit le mari.

S'il témoigne d'un «sentiment de transgression jubilatoire», Jacques se défend de «ne pas jouer avec les vraies règles de discipline». «On s'exonère simplement de ce qui nous paraît absurde. On a décidé de retrouver notre liberté de mouvement dans un endroit où les règles de distanciation sociale et les mesures de précaution et d'hygiène sont très respectées, ajoute-t-il, sans aucun sentiment de culpabilité.»

Tous les Français ont essayé de composer avec le confinement, quel que soit leur âge. | Max Harlynking via Unsplash

Effet de contexte

Le couple de retraités fait en effet partie des 60% de Français qui ont transgressé au moins une fois les règles du second confinement, d'après un sondage de l'Ifop paru le 12 novembre. Parmi les transgressions, on recense les attestations de déplacement utilisées pour d'autres motifs que ceux indiqués (24%), les promenades au-delà d'une heure autorisée (17%), les visites chez la famille (23%), ou chez des amis (20%).

Si pour François Kraus, directeur du pôle politique et actualités de l'Ifop, il est clair que «le respect est moins strict, les craintes pour la santé moins fortes, notamment chez les jeunes», il semblerait que les générations plus âgées ne soient pas plus sages.

Selon Serge Guérin, sociologue spécialiste du vieillissement et de l'intergénérationnel, le respect ou non des restrictions du confinement n'est pas une question d'effet de génération mais d'effet de contexte. «Tout le monde apprend et essaie de bricoler, de composer comme il peut et au mieux avec une situation inédite, avec les contraintes qu'on nous impose, notre perception de celles-ci, nos usages et la réalité dans laquelle chacun vit. Et ce, quel que soit notre âge», argumente-t-il.

«Je n'ai pas le sentiment d'avoir transgressé les règles.»
Florence, retraitée

De leur côté, Florence et Jacques ne sont sûrement pas les seuls moins jeunes à être partis en vacances. Sur place, ils ont retrouvé trois couples d'amis quadragénaires et quinquagénaires, aussi fugitifs, arrivés de Suisse et du sud-ouest de la France.

«Je n'ai pas le sentiment d'avoir transgressé les règles. Certes nous avons quitté le territoire, mais cette entorse ne met en péril ni les autres, ni nous-même. Nous sommes très prudents quant aux gestes barrières», précise celle qui en a ras-le-bol du discours «infantilisant et culpabilisateur» servi par le gouvernement, sur les dangers du non-respect des gestes barrières.

«Nous restons responsables dans la mesure où nous avons choisi de partir au Portugal, où il y a peu de cas confirmés, contrairement à l'Espagne», insiste Florence, qui s'est privée de toute liberté pendant le confinement de printemps lorsque «Paris était plus impactée par le Covid-19 que le reste de la France».

Soirées arrosées

Pendant le premier confinement, Nathalie s'est elle aussi interdite d'enfreindre ne serait-ce qu'une règle. L'avocate de 50 ans au comportement exemplaire ne sortait même qu'une seule fois par semaine pour aller faire ses courses.

«J'ai bien plus de chance d'être contaminée par mon fils qui prend le métro, que lors d'un repas entre amis.»
Nathalie, avocate

Sept mois plus tard, c'est la fête! Les repas et soirées arrosées entre amis ou voisins «en comité restreint et sans embrassades» font partie de son quotidien. «J'ai bien plus de chance d'être contaminée par mon fils qui prend le métro tous les jours pour aller au lycée, et où les élèves sont trente-six par classe, que d'attraper le Covid-19 lors d'un repas entre amis», lâche Nathalie, sereinement.

Donc aucune raison de manquer la dernière crêpe party de son cousin. Et pour ne pas éveiller les soupçons en cas de contrôle, le retour à la maison est programmé vers 22 heures avec pour motif de déplacement «promenade». «Comme le confinement est plus souple et qu'on ne supporte plus d'être isolés, on s'autorise plus de sorties et de petites infractions. Et puis, les nombreuses incohérences entre ce qui est autorisé ou non ne donnent pas envie de respecter à la lettre les restrictions», confie celle encore surprise de ne jamais s'être faite contrôlée.

Comme beaucoup, l'avocate n'a pas le sentiment de se comporter de manière irresponsable. «Je ne suis pas en contact avec des personnes vulnérables donc je ne les mets pas en danger», conclut-elle.

Faux justificatifs

À côté, il y a aussi des moins jeunes, comme Antoine, 42 ans, qui «ne s'est rien empêché de faire pendant le premier confinement, comme pour le deuxième». «Je ne suis pas d'accord avec les restrictions imposées par le confinement. Je pense que le gouvernement est trop alarmiste et ne donne pas les vrais chiffres sur les cas. Il y a un abus de pouvoir illustré par une privation des libertés», peste-t-il.

«Je prône la désobéissance civile. Malgré l'épidémie, il ne faut pas s'isoler, arrêter de vivre et de se voir.»
Antoine, chef d'entreprise

Chef d'entreprise, Antoine utilise son justificatif de déplacement professionnel à tout bout de champ «pour aller voir ses amis et [sa] famille ou pour faire du sport et se balader en forêt à plus d'un kilomètre de chez [lui]​​». Au péage de Périgueux, il s'est fait arrêter par la police. Muni de son attestation, le chef d'entreprise a simplement affirmé se rendre chez un fournisseur. Feu vert! Sans pression, il a redémarré le moteur de sa voiture pour rejoindre sa compagne qui vit à Clermont-Ferrand.

«Je prône la désobéissance civile. Malgré l'épidémie, il ne faut pas s'isoler, arrêter de vivre et de se voir. À côté de ça, il faut être prudents avec les plus vulnérables et rester chez soi si on est malade, comme si on avait une grippe ou une gastro», avoue celui qui est inquiet pour l'évolution de sa petite fille «qui ne voit plus les visages de ses camarades, ni celui de sa maîtresse à l'école». Avant de conclure: «Il faut lutter pour la vie et pour celle de nos enfants.»

San Sebastián, en Espagne. | Lucian Alexe via Unsplash

Rester prudents

Contrainte de respecter à la lettre les restrictions à l'école, Catherine, institutrice de 55 ans, est, quant à elle, très bonne élève dans son quotidien. «Je n'ai pas envie que le confinement dure éternellement. Et puis c'est compliqué de justifier une sortie le soir pour se rendre à un repas chez des amis», confie celle qui a «plus peur de l'amende que du virus».

«Qu'on soit jeune ou plus âgé, ce qui restera de tout ça, c'est un comportement plus prudent et plus attentif vis-à-vis d'autrui.»
Serge Guérin, sociologue

La semaine dernière, Catherine a refusé catégoriquement de se joindre au repas d'anniversaire de sa nièce: «Ils étaient trop nombreux et ce sont trop d'actes hors-la-loi.» Elle pense aussi à préserver la santé de ses parents, qu'elle s'autorise à passer voir de temps en temps «à plus d'un mètre de distance, avec le masque», et en ayant soigneusement coché sur l'attestation la case «déplacement pour assistance aux personnes vulnérables». Bref, un seul mot d'ordre pour l'institutrice: «rester prudente».

«Je ne suis pas forcément d'accord avec les comportements irresponsables. Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Mais chacun doit prendre ses responsabilités», achève-t-elle, en rangeant précieusement son justificatif de déplacement professionnel dans son sac.

«Qu'on soit jeune ou plus âgé, ce qui restera de tout ça, dans la pratique du quotidien, c'est un comportement plus prudent et plus attentif vis-à-vis d'autrui. Le virus et ses conséquences auront joué dans une prise de conscience de l'importance de l'autre», prédit le sociologue Serge Guérin.

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