Santé / Société

S'il fallait vraiment vacciner les plus vulnérables, les étudiants passeraient en premier

Priorité à ceux sacrifiés sur l'autel de la crise sanitaire.

Depuis presque un an, sous prétexte qu'ils sont susceptibles de contaminer le reste de la population, les étudiants sont condamnés à garder la chambre. | Natalia Kolesnikova / AFP
Depuis presque un an, sous prétexte qu'ils sont susceptibles de contaminer le reste de la population, les étudiants sont condamnés à garder la chambre. | Natalia Kolesnikova / AFP

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24 novembre 2020, le président Emmanuel Macron parle aux Français. (Re)déconfinement, possibilité de s'éloigner de vingt kilomètres de son domicile, réouverture des petits commerces, des lieux de culte, mais pas des bars, des restaurants ou des universités, qui devront attendre le 20 janvier. Au moins. Sauf si les chose se gâtent, bien sûr.

Si vous êtes étudiant, vous n'avez sans doute pas posé vos fesses sur les bancs de la fac depuis mars. Quand vous y retournerez, si tout va bien, cela fera presque un an que vous n'aurez vu ni prof, ni pote, ni congénère, ni appariteur, ni cantinière en vrai. Vous aurez tout vécu en distanciel. Si vous avez la chance d'être suffisamment bien équipé en matériel informatique pour pouvoir suivre les cours en visioconférence, bien entendu.

Si vous êtes étudiant, vous avez entre 18 et 25 ans, à la louche. Vous n'êtes plus un ado, mais pas vraiment un adulte non plus. Vous vous cherchez encore, vous habitez chez vos parents dans la plupart des cas. Si vous êtes parti de la maison, vous financez votre logement (campus, chambre de bonne, coloc) avec un petit boulot. Sauf que là, vous êtes fauché: le job, vous ne l'avez plus puisque la principale source d'emplois étudiants, les bars, restos et les magasins, sont fermés depuis mars. Bien sûr, il y a toujours le baby-sitting, quand les parents sortent le soir. Sauf que les parents ne sortent plus le soir, il n'y a rien à faire, le soir, et à partir du 15 décembre, lorsqu'il y aura de nouveau un couvre-feu, ce sera même carrément interdit d'être dehors, le soir.

Si vous êtes étudiant et que vous avez eu la chance d'avoir eu une enfance et une adolescence stables et heureuses, confortables et paisibles, vous avez probablement un petit groupe d'amis et de membres de votre famille sur qui vous appuyer. En revanche, si vos vingt premières années n'ont pas été un chemin parsemé de pétales de rose, si vous êtes seul au monde ou presque et qu'aucun adulte référent n'est là pour vous rassurer, car à 18 ans, on en a encore besoin, tant pis pour vous. Il vous reste le Xanax et les tisanes aux plantes.

Si vous êtes étudiant, vous avez cours, c'est le principe. En fonction de la matière que vous étudiez, vous avez plus ou moins de travail. Or, depuis l'instauration obligatoire des cours en ligne, les étudiants se plaignent d'être submergés. Encore plus qu'avant. Moi-même, en tant qu'enseignante, j'ai constaté pendant le premier confinement que mes étudiants en traduction étaient encore plus débordés que d'habitude. Est-ce que je leur donnais plus de travail? Oui. Pourquoi? Parce ce que pour compenser l'absence d'interaction entre moi et eux, et l'émulation mutuelle entre les étudiants eux-mêmes, émulation qui joue un rôle prépondérant dans l'apprentissage et dans l'ouverture d'esprit pendant les cours, je donnais plus d'exercices afin de m'assurer que ces étudiants n'étaient pas (trop) spoliés et qu'ils progresseraient quand même.

La transmission du savoir

L'apprentissage en ligne met en exergue un fait si évident qu'il ne servait à rien, autrefois, de le verbaliser: enseigner, c'est transmettre, et la transmission se fait d'humain à humain. Ce ne sont pas que des mots et des connaissances qui passent de l'un à l'autre; ça, ça existe depuis longtemps en parallèle et ça s'appelle un livre ou un film documentaire. C'est très sympathique et ludique, mais cela ne peut atteindre les mêmes objectifs.

La qualité de l'enseignement est intrinsèquement liée à la part d'affect qui, volontairement ou pas, entre dans la transmission du savoir. Même si on peut détester son prof (ou un étudiant), la seule présence humaine physique concrétise une forme de savoir qui n'est pas transmissible par écran interposé. Les enseignantes le sentent, les étudiants en pâtissent, et le surcroît de travail donné, parfois involontairement, pour compenser, ne fait qu'alourdir une charge mentale et morale imposée à des jeunes qui n'ont absolument pas voix au chapitre.

Nous sommes, depuis un an, frappés par une maladie qui tue principalement les personnes les plus âgées et celles qui sont déjà malades. En revanche, tout le monde peut la transmettre, il est donc naturellement demandé à chacun de prendre des précautions élémentaires: se masquer le visage dans des endroits clos en présence d'autres personnes, observer une hygiène stricte, éviter les rassemblements dans des endroits fermés. Logique.

En mars tout le monde a subi un premier confinement, et la vie s'est quasiment arrêtée. Pas de masques, pas de gel, chacun chez soi. En mai, les enfants sont retournés à l'école, les adultes au boulot à quelques exceptions près. Les étudiants, eux, n'ont pas bougé. Ils ont reçu l'ordre de rester chez eux. Dans leur chambre de bonne, dans leur chambre de gosse, dans leur coloc, sans leurs amis, parfois sans ressources, avec un mot d'ordre: étudiez! et l'injonction de se sacrifier pour ne pas contaminer les autres. Jusqu'à l'été.

L'autel de la crise sanitaire

À la rentrée de septembre, quelques établissement ont rouvert. Pas tous. Beaucoup s'en sont tenus aux cours en visio (notamment les deux dans lesquelles j'enseignais l'année dernière). Jusqu'aux vacances de la Toussaint et le second confinement, lorsque les portes se sont refermées pour de bon.

Certes, les amphis bondés et les salles de TD débordant d'étudiants étaient des conditions d'apprentissage choquantes, que ce soit en temps d'épidémie ou en temps normal. Mais après leur avoir imposé ces conditions d'études, voilà qu'on reproche aux étudiants d'être des vecteurs de contamination et qu'on les punit en les renvoyant chez eux.

La fac, ça ne sert à rien finalement. Vous voulez étudier? Internet y pourvoira.

Comment expliquer que l'État sacrifie toute une génération d'étudiants sur l'autel de la crise sanitaire? Comment justifier que ces jeunes, qui sont «la France de demain», comme on dit, soient jetés dans les affres de la détresse psychologique sans qu'on la prenne en compte? Leur vulnérabilité, à eux, me semble aussi valable que celle des citoyens que l'on entend protéger du virus. Certes, ils ne meurent pas à cause du Covid, mais beaucoup d'entre eux sombrent dans le silence, l'angoisse et la solitude, ce qui ne sera pas sans conséquence sur leur avenir.

 

Les personnes âgées et celles qui sont déjà malades sont fragiles face au Covid, mais elles savent comment se protéger –et la France entière travaille (ou plutôt chôme) à les y aider. Depuis presque un an, sous prétexte qu'ils sont susceptibles de contaminer le reste de la population, les étudiants sont condamnés à garder la chambre.

C'est un réel sacrifice, d'un point de vue moral, mental, économique, et professionnel –et à qui croyez-vous qu'incombera la responsabilité de redresser la France lors de la crise économique et sociale qui va nous tomber sur le râble pendant les dix prochaines années à la suite des mesures prises pour lutter contre la crise sanitaire? Comment justifier que les étudiants soient l'éternelle variable d'ajustement, dont on peut disposer sans crainte qu'ils ne se rebiffent, ou si peu, pâte à modeler sociale dont il est de bon ton de moquer les souffrances, pourtant réelles?

On ne peut que se féliciter de l'arrivée d'un vaccin. Et de la rapidité du processus: imaginez, le Covid est apparu il y a un an tout juste, et le vaccin est quasi-prêt. Un an, à l'échelle de l'histoire, c'est une microscopique goutte d'eau. Les conséquences des mesures prises pendant cette période seront, elles, bien plus longues.

Puisque les enfants peuvent retourner à l'école, puisque les croyants peuvent retourner à la messe, puisque les consommateurs peuvent retourner dans les rayons, on ne peut que déduire que la catégorie démographique encore et toujours condamnée à ne pas se mêler à la société constitue une menace par sa simple existence et son potentiel de contamination. Alors, sauf à renoncer à les envisager comme une part aussi valable que les autres de notre société et à envoyer l'épouvantable message que, finalement, ils peuvent bien continuer à croupir dans leur solitude et leur isolement, il convient de leur permettre d'en sortir par tous les moyens.

Macron l'a dit: il faut vacciner les plus vulnérables. En toute logique, ce sont donc les étudiants qui devront l'être en premier. Une fois immunisés, ils pourront enfin reprendre le chemin des facs et de la vie sociale et cesser d'être la menace que le gouvernement semble voir en eux depuis le début de la crise.

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