Société / Économie

Le nouveau pouvoir d'attraction de Marseille

La cité phocéenne accueille chaque année de nouveaux habitants. Mais les premiers à répondre présents ne restent que le temps des vacances.

La cathédrale de la Major se reflète dans une fenêtre du MuCEM, à Marseille, en janvier 2019. | Boris Horvat / AFP
La cathédrale de la Major se reflète dans une fenêtre du MuCEM, à Marseille, en janvier 2019. | Boris Horvat / AFP

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On l'a vue tout l'été sur Instagram: le rocher des Goudes, les jardins du MuCEM, les rues du Panier... Les influenceurs ont renforcé son capital sexy, à l'image de Jacquemus qui lâchait son carnet d'adresses perso, accompagnant le tout de clichés baignés de soleil sur fond de Méditerranée. À croire que cet été, tout le monde était à Marseille. D'ailleurs, on ne cesse de narrer son succès: elle serait un eldorado pour une nouvelle génération d'artistes, la dernière «lubie des Parisiens»...

 

La cité phocéenne semble bien loin de l'époque où tout le monde la quittait pour sa périphérie ou des villes en meilleure santé économique. Dans les années 1990, Marseille, lasse de voir ses résidents fuir vers d'autres horizons depuis vingt ans, se lance dans une vaste opération séduction. Objectif affiché: inverser la courbe de décroissance démographique.

À la reconquête de la population

Au cœur du projet, impossible de ne pas citer Euroméditerranée, qui vient redessiner le front portuaire et que Christian Brunner, directeur général de l'Agence d'urbanisme de l'agglomération marseillaise (Agam), qualifie de «vaisseau amiral du développement économique de la ville». Participent également à ce renouveau marseillais, l'arrivée de promoteurs immobiliers nationaux, plus d'une dizaine de zones d'aménagement concertées (ZAC) engagées par la collectivité, une ligne de TGV Paris-Marseille, le développement des transports publics...

Sans oublier un effort considérable sur la culture, porté par le titre de Capitale européenne de la culture en 2013, et l'ouverture du MuCEM la même année. Marseille développe largement son tourisme culturel et conquiert des habitants de Paris et autres grandes villes, où il sont déjà «habitués à une pratique culturelle importante», affirme Christian Brunner. «Le MuCEM et le développement d'institutions culturelles, et notamment de la culture alternative et des ateliers d'artistes ont amené des personnes issues des mondes artistiques et culturels, ne serait-ce parce qu'il y a des opportunités de travail», ajoute Sylvia Girel, professeure des universités et chercheuse au Laboratoire méditerranéen de sociologie.

 

Place aux néo-Marseillais

Tiphaine, qui a posé un pied à Marseille pour la première fois il y a deux ans pour des vacances, est rapidement revenue. «Je suis littéralement tombée amoureuse de la ville», déclare la jeune femme originaire de Pau, qui y a vu l'endroit idéal pour monter son projet d'espace artistique. «Contrairement à d'autres villes comme Paris ou Bordeaux où tout existe déjà, j'avais l'impression qu'il y avait de la place pour des projets innovants et atypiques», rembobine la tatoueuse, Marseillaise depuis le mois de mai.

D'après des données de l'Insee rapportées par le site de la Ville, Marseille enregistrait une hausse de 8,1% de sa population entre 1999 et 2019, soit 65.000 habitants supplémentaires. Des chiffres positifs donc, mais que Michel Peraldi, auteur notamment de Sociologie de Marseille, tient à nuancer. «Si on fait le solde de ceux qui arrivent et ceux qui partent, on est quasiment à zéro», souligne l'anthropologue, en référence à la croissance démographique de la ville entre 2019 et 2020 qui n'était que de 0,13% selon la même source. Et pour cause, «ce sont des mondes sociaux très ciblés qui sont attirés par la ville».

En 2015, une étude de l'Agam montrait que les néo-Marseillais, soit les individus de nationalité française et installés dans la ville depuis moins de cinq ans, représentaient 4,3% de la population. D'après les chiffres, le nouveau Marseillais a moins de 40 ans, fait partie de la classe moyenne ou supérieure et possède plus de capital culturel qu'économique.

Parmi ces néo pas nécessairement riches, on retrouve un quart d'étudiants. Mathis, en école de graphisme à Aix-en-Provence, en fait partie: il a choisi de faire son alternance dans une boîte située sur le Vieux-Port, où il a posé ses cartons depuis la rentrée dernière. «La ville est plus riche culturellement et il y a plus d'endroits où sortir, même si tout est à l'arrêt à ce moment.» Et puis, «à Marseille, le loyer est moins cher».

L'envers de la carte postale

Pour les particuliers comme les entreprises, des prix accessibles restent l'atout fort de la ville. «Il y a des avantages concurrentiels à venir s'installer à Marseille, où le coût de la vie, le niveau de salaire et le foncier sont plus modestes», énumère Christian Brunner. Mais, aujourd'hui, l'offre foncière disponible dans le centre-ville est précisément «ce qui reste du processus de gentrification, souligne Michel Peraldi. L'architecture sociale est désormais immobile dans cette région.»

Si la gentrification s'est opérée dans les quartiers sud comme au Roucas-Blanc et à Endoume, le centre n'a, lui, pas été investi par les classes supérieures, et s'apparente désormais à une grande banlieue. «On a vu les conséquences du délabrement du patrimoine immobilier à Marseille. Le versant “positif”, c'est que ça attire une catégorie de gens qui ont besoin de logements peu chers», détaille Michel Peraldi, qui évoque là l'effondrement de deux immeubles rue d'Aubagne qui, en 2018, coûtait la vie à huit personnes.

 

Un drame que la rappeuse Keny Arkana semblait avoir prophétisé dans «Capitale de la rupture», chanson dans laquelle elle dénonce l'abandon des quartiers populaires par les pouvoirs publics: «Ma ville a sombré pour en faire une belle ville de la Côte d'Azur.» Deux articles du New York Times, publiés à quelques mois d'intervalle, l'illustrent bien: à la suite de l'épisode de la rue d'Aubagne, le quotidien réalise un reportage sur le délabrement du centre-ville, avant d'inclure Marseille dans les cinquante-deux lieux à visiter en 2019.

 

 

«Une ville provinciale»

Les vacances au parfum anisé remportent leur succès. D'après le moteur de recherches de locations de vacances Holidu, la plage la plus cotée de l'Hexagone cet été était la calanque d'En-Vau, tout juste suivie par celle de Port Pin: les deux sont des spots marseillais. «Pendant les deux mois où il n'y a pas trop eu de contraintes sanitaires, la ville a tiré son épingle du jeu, confirme Christian Brunner. Il y a dix ans, on ne pensait pas Marseille comme une ville touristique. On y venait de temps en temps, mais on y séjournait peu.» En 2019, la cité phocéenne enregistrait cinq millions de touristes, lui permettant de générer 16.000 emplois directs.

La ville continue de s'imposer comme l'une des destinations phare de la Côte d'Azur, mais ne brille plus par son économie. «La dynamique économique s'est déplacée vers d'autres villes comme Aix et La Ciotat, et Marseille a perdu son statut de capitale régionale», constate Michel Peraldi, pour qui Marseille est devenue «une ville provinciale à l'intérieur d'un système métropolitain qui l'a avalée».

 

Depuis qu'elle est installée dans le septième arrondissement de la cité phocéenne, Tiphaine a finalement l'impression d'avoir retrouvé le confort de la province, dans l'enceinte de ce qui est pourtant la deuxième ville de France. Elle dépeint un lieu dans lequel «tout le monde se connaît, le rythme est hyper détente, les magasins ne sont pas ouverts avant 10 ou 11 heures». Ouvrez les yeux, vous êtes à Marseille.


 
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