Égalités / Monde

La presse étrangère donne un écho inédit aux voix minoritaires de France

Les médias internationaux ont eu la bonne idée de tendre l'oreille. Et tout à coup, le mythe d'un doux universalisme français s'est effondré.

L'exposition de nos dysfonctionnements au grand jour a provoqué de virulentes contestations. | Spencer Platt / Getty Images via AFP
L'exposition de nos dysfonctionnements au grand jour a provoqué de virulentes contestations. | Spencer Platt / Getty Images via AFP

Temps de lecture: 4 minutes

Karen Attiah, journaliste au Washington Post a relayé une information selon laquelle la France prévoyait une identification spécifique des élèves musulmans. Cette information étant erronée et n'ayant pas été vérifiée, elle l'a retirée en présentant des excuses.

Toutefois, elle maintient ce qui introduisait le tweet initial, à savoir que «des Français non-blancs sonnaient l'alarme depuis des années au sujet de Macron». Elle soulignait ainsi le fait que plusieurs personnes minoritaires avaient mis en évidence que la politique de notre président n'était pas aussi inclusive qu'il y paraissait selon «les médias internationaux» désireux d'«oindre le saint centriste qui a sauvé la France de Le Pen».

Depuis des années, des Français·es minoritaires contestent le mythe d'un président ouvert aux minorités, promu par une presse internationale ébahie. Le premier article que j'ai écrit pour le Washington Post en 2018, rappelait combien le fait d'accorder la nationalité française à Mamoudou Gassama, devenu le superhéros d'un jour après avoir sauvé la vie d'un enfant, tout en soutenant une loi sur l'immigration particulièrement dangereuse quant au respect des droits des demandeurs d'asile, exposait les véritables ressorts de la politique macroniste.

Ces dernières semaines, plusieurs médias –américains et britanniques notamment– ont pointé du doigt l'inquiétante tournure que conférait la loi sur le «séparatisme» à la politique française en ciblant les musulman·es et leur surveillance au lieu de se focaliser sur une lutte antiterroriste moins spectaculaire, d'un point de vue médiatique.

Logiquement, la presse étrangère a fait le lien entre ces options politiques et le discours agressif de certains ministres comme Gérald Darmanin, «choqué» de voir des rayons casher ou halal dans les supermarchés ou Jean-Michel Blanquer déclarant que le port du hijab n'est «pas souhaitable dans la société» alors qu'aucune de ces pratiques n'est illégale ni contradictoire avec les principes de notre République.

Une attention ciblée

Ces propos condamnant des choix confessionnels, alors même que le principe de laïcité garantit la liberté de conscience, n'ont fait l'objet d'aucune réprobation de la part d'Emmanuel Macron, ce qui interpelle légitimement à l'étranger. L'inquiétude des observateurs internationaux s'amplifie lorsque la police se rend au domicile de plusieurs enfants soupçonnés du haut de leurs 10 ans de faire «l'apologie du terrorisme» et procède à leur arrestation. L'un d'eux, à Saumur, sera disculpé par un des policiers qui affirmera qu'il n'y a pas de «connotation terroriste», sa famille n'étant pas de confession musulmane. Preuve s'il en fallait une que ce sont bien les enfants musulmans qui font l'objet d'une attention ciblée.

Pour décrire la France, les médias étrangers ont, entre autres, sollicité l'analyse de Français et Françaises antiracistes et non-blanches, concernées parce que vivant les conséquences de ces politiques. Des points de vue habituellement bien moins considérés dans les colonnes des journaux de leur propre pays où la promotion des imaginaires dominants présentés comme neutres ou «républicains» reste de rigueur.

Cette couverture de l'actualité française a fait l'objet de vives critiques, émises également par l'Élysée, accusant de concert cette presse d'être incapable de comprendre les subtilités de la pensée française en matière de laïcité ou d'antiracisme.

Pour couper court à toute critique relative à une supposée méconnaissance de la France, rappelons que les reportages produits depuis les bureaux parisiens du New York Times sont le fait d'un binôme composé notamment d'un journaliste français, Constant Méheut. Par ailleurs, le reporter James McAuley, correspondant du Washington Post en France, est docteur en histoire de France et donc certainement meilleur connaisseur de certains aspects de notre pays que bien des Français·es.

En réalité, ces médias ont permis à des personnes françaises minoritaires d'exprimer leurs inquiétudes et leurs analyses quant à la gestion des questions raciales sans subir les restrictions imposées par le cadre intellectuel français. C'est ce qui, selon moi, nourrit en grande partie les crispations qui opposent une partie de l'élite française à la presse décrite comme anglo-saxonne: le constat impuissant du relais d'une expression minoritaire qui leur échappe en se diffusant dans des espaces sur lesquels elle n'a aucun pouvoir.

Après avoir effacé son tweet polémique, Karen Attiah a recommandé la lecture des travaux de plusieurs journalistes non-blanches françaises, dont moi-même, en indiquant que nous offrons une autre perspective quant aux questions raciales telles qu'elles s'exprimaient dans notre pays.

Le contrôle du récit national

À l'international, la France s'est longtemps vantée de son modèle pseudo universaliste et color blind. Grâce à un parfait marketing porté par quelques intellectuels blancs, «le pays des Lumières» passait pour un exemple de coexistence heureuse à l'abri de toute tension raciale. Non contente d'avoir verrouillé son espace public constitué d'un entre-soi rejetant tout débat questionnant les racines coloniales et esclavagistes du racisme français, la France était parvenue à exporter ce narratif aussi partiel que partial au-delà de ses frontières.

Mais le contrôle du récit national a fini par échapper à ce petit groupe élitiste qui présentait un visage trompeur de notre pays quand les médias internationaux ont eu la bonne idée de tendre l'oreille pour considérer d'autres voix. Et tout à coup, le mythe d'une douce France universaliste s'est effondré.

Cette exposition de nos dysfonctionnements au grand jour a provoqué de virulentes contestations, accusant les médias américains d'apposer leurs grilles de lecture à une France, miraculeusement préservée du racisme. Avons-nous réellement besoin des lunettes états-uniennes pour décrypter le racisme qui s'exprime quotidiennement en France? N'avons-nous pas suffisamment de rapports, de condamnations et de chiffres prouvant son caractère systémique et historique?

Ce qui choque les personnes qui s'opposent à ce récit porté par la presse internationale, c'est de voir les voix qui ont été écartées des sphères légitimes, s'exprimer ailleurs pour dénoncer ce que l'on a savamment tenté d'engouffrer sous le tapis d'une sphère publique française cadenassée. S'efforcer pendant si longtemps de promouvoir une France idéalisée dans un universalisme de façade, et voir le mythe s'effondrer aussi rapidement, est probablement un coup dur. Voir les voix subalternes si longtemps tenues à l'écart de l'expression publique, ou admises au compte-goutte, soudainement reconnues en dehors de nos frontières, voilà qui fait mal à notre marketing de «pays des Lumières». Et je m'en réjouis.

cover
-
/
cover

Liste de lecture