Boire & manger

Faut-il suivre les saisons pour manger du meilleur fromage?

Au pays du rocamadour, du saint-nectaire et du reblochon, on mange ces fabuleux laitages toute l'année. Ils répondent pourtant à un certain calendrier, en voie de disparition.

Attention, cet article met l'eau à la bouche. | Alice Donovan Rouse <a href="https://unsplash.com/photos/9MzCd76xLGk">via Unsplash</a>
Attention, cet article met l'eau à la bouche. | Alice Donovan Rouse via Unsplash

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Les aficionados de la raclette auraient de quoi s'inquiéter. Depuis plusieurs semaines, de nombreux articles annoncent une véritable apocalypse: leur fromage préféré pourrait venir à manquer dans les semaines à venir. S'il s'agit pour l'instant plus d'une spéculation attrape-clics dérivée d'un reportage d'Europe 1, beaucoup plus mesuré, l'engouement autour de la raclette en dit long sur son traditionnel succès par temps frais. Mais est-elle vraiment un fromage d'hiver? «La raclette n'est pas particulièrement un produit hivernal. On peut en fabriquer toute l'année. Si elle est associée à cette période, c'est surtout parce qu'elle a été popularisée à la suite de l'essor des sports d'hiver», répond Arnaud Sperat-Czar, rédacteur en chef du magazine spécialisé Profession Fromager.

Comme la laitue, le topinambour ou le chou cavalier, le fromage peut être soumis à une certaine saisonnalité. Même si, comme le rappelle Alexandra Ognov, responsable du pôle des produits agricoles et agroalimentaires à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), le caractère saisonnier du fromage est d'une nature différente de celui des fruits et des légumes: «Il est inhérent à l'ensemble des productions agricoles, même s'il ne faut pas confondre la saisonnalité de la production végétale et celle de la reproduction des animaux, qui n'existe pas dans toutes les espèces animales.» À charge de l'éleveur ou de l'éleveuse de respecter scrupuleusement le rythme de l'animal ou de s'en émanciper.

Une farandole de fromages. Tout ce qu'on aime. | Elisa Michelet via Unsplash

Près de Cordes, un petit village médiéval perché dans le Tarn, Marion et son mari ont décidé de s'adapter au rythme de leurs animaux. «On lâche des béliers à la fin de l'été, car ça concorde avec la période la plus fertile des bêtes, explique l'agricultrice. Après cinq mois de gestation, on a des agneaux en février donc on trait nos bêtes pendant huit mois. Puis, à partir de septembre, on ne récolte aucun lait. On ne produit donc pas de fromage pendant environ quatre mois.»

Marion vend du cabécou, de la feta ou encore des yaourts. Pour proposer ses produits sur les marchés du coin même quand elle ne récolte plus de lait, elle vend, jusqu'en décembre, des tommes affinées deux mois. «Ça nous permet d'assurer des rentrées d'argent plus longtemps. Mais d'autres font le choix d'organiser différemment la traite de leurs animaux. Par exemple, ils divisent le troupeau en plusieurs groupes aux gestations différentes pour produire en toute saison.» Une façon d'assurer une production et des revenus toute l'année. «Historiquement, il n'y a pas de fromage de chèvre à Noël, mais les éleveurs peuvent dessaisonner leur troupeau pour avoir du lait toute l'année», complète Arnaud Sperat-Czar.

Bonne herbe et AOP

La nature n'est pas le seul paramètre à avoir un impact sur la saisonnalité. Certains produits labellisés appellation d'origine protégée (AOP) ne peuvent être commercialisés qu'une partie de l'année, même si la majorité des cahiers des charges permettent une production dessaisonnée. Un fromage de l'AOP Mont d'Or ne peut ainsi être produit qu'entre le 15 août et le 15 mars et vendu qu'entre le 10 septembre et le 10 mai. «D'autres fromages prévoient des mentions d'étiquetage qui permettent au consommateur d'identifier le fromage issu d'une production estivale et donc majoritairement issu d'une alimentation des vaches à base de pâturage», explique Alexandra Ognov. La responsable du pôle des produits agricoles et agroalimentaires de l'INAO cite en exemple l'AOP Beaufort qui dispose d'une mention «été», pour les fromages élaborés entre les mois de juin et de septembre. «Ou encore la mention “Chalet d'alpage”, pour les fromages élaborés l'été, issus d'une fabrication biquotidienne en chalet d'alpage soit à plus de 1.500 mètres d'altitude.»

Un petit indice peut trahir un fromage d'été ou d'hiver. «Sauf en cas d'utilisation de colorant, la couleur est souvent un indicateur. Une herbe fraîche présente du carotène, ce qui a un effet colorant», explique Arnaud Sperat-Czar. Conséquence: les fromages d'été ont souvent des reflets dorés et, à l'inverse, un comté d'hiver affiche un teint pâle.

Disparition de la saisonnalité

La saisonnalité ne concerne plus que quelques fromages labellisés et une petite partie des éleveurs et éleveuses. En dégustant des fromages en toute saison, les amateurs et amatrices de laitage ont largement influencé cette évolution et incité les fabricants à produire toute l'année.

Comme l'explique Marion, cela pèse forcément sur le travail de l'élevage: «La loi du marché a un impact sur les agriculteurs. Il faut qu'ils s'y adaptent. Pour s'assurer des revenus toute l'année ou, alors, pour profiter d'une période à laquelle le lait est acheté plus cher, ils sont encouragés à ne pas faire attention à la saisonnalité.»

L'agricultrice estime que le respect d'un rythme saisonnier donne la garantie d'un bon fromage, car au printemps, ses brebis peuvent profiter des verts pâturages tarnais et se délecter d'une alimentation plus riche. «Si on les trait d'avril à la fin de l'été c'est aussi parce que c'est le moment où elles ont le plus de bonnes choses à manger. Dans le Tarn, passé le mois d'août, l'herbe est jaunie.»

«La saisonnalité s'exprime davantage dans les fromages au lait cru.»
Arnaud Sperat-Czar, rédacteur en chef du magazine spécialisé Profession Fromager

Doit-on en déduire que les fromages d'été sont nécessairement les meilleurs? Alexandra Ognov met en garde: «Cela ne signifie pas pour autant que seuls les fromages fabriqués avec du lait produit l'été sont “bons”, car la notion de “bon” est subjective. Les consommateurs auront des préférences différentes (en matière d'intensité du goût, d'amertume…) et des utilisations différentes des fromages en fonction de leur caractéristique et en fonction de l'année.»

De son côté, le rédacteur en chef du magazine spécialisé Profession Fromager, estime que ce respect de la saisonnalité est avant tout une question de philosophie de l'exploitant·e. Il nuance: «Le fait de respecter le rythme naturel des animaux, ça a du sens, mais ce n'est pas spectaculaire en matière de goût. La saisonnalité s'exprime davantage dans les fromages au lait cru, dont la composition (microflores, protéines, matières grasses…) évolue tout au long de l'année au fil des saisons. Les fromagers qui utilisent des laits pasteurisés veillent, au contraire, à voir une grande régularité du 1er janvier au 31 décembre. On entend souvent dire aujourd'hui qu'il n'y a plus de mauvais fromages, sauf quand l'affinage est bâclé!»

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