Monde / Économie

L'élection de Joe Biden peut rebattre les cartes en Asie-Pacifique

S'il réactivait l'accord transpacifique duquel Trump s'était retiré, le futur président des États-Unis troublerait la toute nouvelle plus grande zone de libre-échange au monde.

Joe Biden, alors vice-président des États-Unis, et Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, lors d'un déjeuner organisé par le secrétaire d'État américain de l'époque, John Kerry, le 25 septembre 2015 au département d'État à Washington. | Paul J. Richards / AFP
Joe Biden, alors vice-président des États-Unis, et Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, lors d'un déjeuner organisé par le secrétaire d'État américain de l'époque, John Kerry, le 25 septembre 2015 au département d'État à Washington. | Paul J. Richards / AFP

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Depuis que la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, ses dirigeants cherchent à s'affirmer. La période où un président des États-Unis est élu mais n'est pas encore en fonction est une excellente opportunité. Cette attitude chinoise s'est vérifiée à deux reprises.

En janvier 2017, en pleine période de transition présidentielle américaine entre Barack Obama et Donald Trump, Xi Jinping, le numéro 1 chinois, a participé au Forum de Davos. Cette petite commune suisse accueille chaque année des rencontres entre chef·fes de gouvernements et d'entreprises. Xi Jinping y a prononcé un discours largement applaudi, dans lequel il vantait les mérites du libre-échange, de la mondialisation et de la coopération internationale.

En 2020, le 15 novembre, la direction du Parti communiste vient de décider que la Chine allait participer à la fondation d'une initiative commerciale de grande ampleur qui tourne le dos à l'Amérique et à l'Europe.

Un tiers de l'humanité est concerné

Ce Partenariat régional économique global (RCEP, Regional Comprehensive Economic Partnership) a été lancé à l'occasion d'une cérémonie virtuelle organisée au Vietnam, à Hanoï. Quinze pays d'Asie-Pacifique y sont associés. Les négociations pour le mettre au point duraient depuis huit ans. À l'origine, les dix pays qui composent l'Asean (Vietnam, Singapour, Malaisie, Indonésie, Birmanie, Laos, Brunei, Cambodge, Philippines, Thaïlande) cherchaient à ouvrir leurs économies en organisant un partenariat. Cinq pays asiatiques se sont joints à eux: la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Cet accord commercial multilatéral instaure la plus grande zone de libre-échange au monde.

Elle concerne 2,2 milliards de personnes, soit près d'un tiers de l'humanité, et elle représente un tiers de la production mondiale. Ce qui est plus que l'Union européenne ou que l'Alena, l'accord de libre-échange nord-américain.

Le RCEP entrera en vigueur une fois qu'un «nombre suffisant de pays participants» l'auront ratifié au niveau national. Il vise à réduire 90% des barrières douanières sur les produits industriels. Il fixe également des normes de propriété intellectuelle. Rien n'est prévu en revanche en matière de protection des travailleurs ou de défense de l'environnement. Et le pacte ne couvre ni l'agriculture, ni la totalité du secteur des services.

En même temps, ce partenariat offre un réel avantage aux pays de l'Asean: il fait disparaître nombre d'accords qui existaient entre eux et il harmonise des dispositions valables pour toute la zone Asie-Pacifique. Il est en particulier précisé que les biens intermédiaires qui entrent dans la production d'autres biens peuvent être originaires de chacun des quinze pays signataires.

Une avancée pour l'intégration de l'économie asiatique

Les pays qui ont signé cet accord représentent toutes les possibilités de systèmes économiques: du capitalisme anglo-saxon de l'Australie jusqu'à celui plus asiatique de la Thaïlande en passant par le communisme modernisé du Vietnam. À partir de 2018, la Chine a pris un rôle moteur dans la préparation de cette entente économique. Pékin réagissait ainsi à la décision de Donald Trump de limiter les importations chinoises aux États-Unis.

Début 2020, s'est ajoutée la baisse d'achats de produits chinois par les pays d'Europe, handicapés par la crise du Covid-19. Cela mène Jean-François Di Meglio, le président de l'institut de recherche Asia Centre, à constater: «C'est un exploit de mettre la signature de ces quinze pays sur le même bout de papier. Et c'est la Chine qui a poussé pour que cela se fasse. Elle s'est dit que, si ses débouchés commerciaux lointains se ferment, le mieux est de se replier sur une zone proche qui n'a pas été autant affectée par la crise sanitaire et qui a des chances de reprise économique beaucoup plus forte que les autres zones économiques du monde. Tout cela ne manque pas de logique pour la Chine.»

En tout cas, Li Keqiang, le Premier ministre chinois, a exprimé sa satisfaction après la signature de ce nouvel accord. Il l'a qualifié de «victoire du multilatéralisme et du libre-échange», ajoutant même, non sans lyrisme, que c'était «un rayon de soleil et d'espoir au milieu des nuages».

L'important, pour Pékin, est manifestement que le RCEP représente une avancée substantielle pour l'intégration de l'économie asiatique. Les échanges des pays d'Asie avec la Chine vont grandir et les ambitions de développement économique chinois dans la région vont prendre de l'ampleur. Ces ambitions étaient déjà présentes depuis quelques années dans la stratégie commerciale des «routes de la soie».

L'histoire ne fait que commencer

De leur côté, les dix pays de l'Asean espèrent que l'accord va leur permettre de relancer leur économie. Dans la zone Asie-Pacifique, les productions vont être moins chères à l'exportation et les procédures commerciales vont s'harmoniser. Par ailleurs, même pour l'Australie qui connaît des différends économiques avec la Chine ou pour le Japon qui ne manque pas de sujets de conflits avec ce pays, il est difficile de se tenir à l'écart d'une nouvelle structure de coopération économique.

Un pays qui, après la Chine et le Japon, représente la troisième économie asiatique ne participe cependant pas à ce Partenariat régional économique global. Il s'agit de l'Inde. En novembre 2019, elle a décidé de quitter la table des négociations quand il est devenu évident que la Chine y prenait une place de plus en plus importante. New Delhi, à l'évidence, ne tient pas à voir les produits chinois submerger son industrie.

De plus, après avoir quitté les discussions sur le RCEP, l'Inde est entrée en conflit avec la Chine à propos du tracé de leur frontière commune dans l'Himalaya. Des soldats des deux pays se sont entretués. Néanmoins, les pays signataires du RCEP ont fait savoir que des négociations pouvaient reprendre à tout moment en vue de l'entrée de l'Inde dans le RCEP. Et même qu'elle pouvait envoyer des observateurs dans les réunions de mise en place des instances du partenariat.

«Xi Jinping fait en sorte que le TPP n'appartienne plus aux États-Unis.»
Jean-François Di Meglio, président de l'institut de recherche Asia Centre

Il est peu probable que l'Inde profite de cette invitation. Son intention est sans doute davantage d'examiner quel va être le comportement de Joe Biden à propos de la zone Pacifique. En 2016, Barack Obama avait annoncé la création par les États-Unis d'un vaste partenariat transpacifique (TPP) incluant des questions telles que l'environnement ou le droit des travailleurs. Onze pays étaient invités à y participer. Mais en 2017, peu de temps après avoir été élu, Donald Trump a retiré les États-Unis de cet accord.

Ce TPP, délaissé par les Américains, n'a pas pour autant disparu. Il se nomme officiellement désormais partenariat trans-pacifique global et progressiste (CPTPP). Ses membres sont l'Australie, Brunei, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, Singapour, le Vietnam et également le Canada, le Mexique, le Chili et le Pérou. Le président Biden a dit qu'il veut ramener les États-Unis dans le TPP. Mais en ayant fortement contribué à mettre en place le RCEP, la Chine a permis qu'une autre instance économique multinationale occupe le terrain en Asie-Pacifique. Jean-François di Meglio estime qu'«on pouvait imaginer que la Chine demande à des pays comme le Japon ou le Vietnam qui sont membres du TPP de choisir leur camp. En leur disant: vous avez signé le Partenariat régional économique global du RCEP. Si les États-Unis reviennent dans le TPP, vous devez dire au TPP, c'est fini, au revoir.»

Mais, il semble bien que l'adhésion au RCEP n'était que la première partie de la stratégie chinoise. Le 20 novembre, la Chine a indiqué qu'elle «envisagerait activement de rejoindre» ce TPP devenu CPTPP et abandonné par les Américains. Cette possibilité a été formulée par Xi Jinping lui-même. Il a expliqué qu'il fallait «continuer à promouvoir l'intégration économique régionale et établir une zone de libre-échange Asie-Pacifique à une date rapprochée». Si cette intention aboutit, les Américains auront le choix entre rester isolés ou revenir dans une entente commerciale dans laquelle désormais la Chine serait présente. Jean-François Di Meglio considère que «Xi Jinping veut se poser en maître des horloges. En faisant entrer la Chine dans une institution qu'avait créée Obama et que Trump a abandonnée, il fait en sorte que le TPP n'appartienne plus aux États-Unis. Si les États-Unis veulent y revenir, ils auront un rang d'invités. Le tour de table des membres ne sera pas simple du tout!»

L'histoire ne fait que commencer. Pékin est en train d'organiser en force sa présence économique en Asie-Pacifique et dans le monde de façon à ce que les États-Unis n'y soient plus la seule puissance dominante. Les États-Unis ont depuis plus de soixante-dix ans organisé l'économie mondiale. Une fois que l'intermède présidentiel américain sera passé, il devrait être rapidement possible de voir si cet objectif est ou non une priorité pour Joe Biden.

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