France

La rumeur

Cette affaire illustre le fonctionnement archaïque de notre communication politique: le règne du «off» et le fonctionnement de cour.

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D'abord, rappelons une spécificité bien française. L'épouse du Président n'a aucune existence officielle. Il n'y a pas de Première dame en France. Personne ne peut sérieusement dire quel est le rapport entre la popularité d'un Président et les bonnes ou mauvaises relations supposées qu'il entretiendrait avec son épouse! Les «aventures» extraconjugales de 2008, largement commentées, de Dominique Strauss-Kahn ne l'empêchent pas de figurer en tête des personnalités préférées des Français... C'est une spécificité bien de chez nous assez réjouissante d'ailleurs. Les frasques réelles ou supposées des présidents Giscard, Mitterrand ou Chirac ne sont pour rien dans leurs succès ou leurs échecs électoraux. Tout ceci pour dire que la rumeur qui circulait ces dernières semaines sur les difficultés du couple présidentiel aurait pu enfler et prospérer, ça n'aurait eu aucune importance.

Dès lors, quelle drôle d'idée de faire croire que ces rumeurs soient le fait d'un complot international comme le laissaient entendre Pierre Charon, l'ami-conseiller du Président ou maître Herzog, son avocat? Le seul effet de cette stratégie de conseiller d'opérette aura été de relancer la rumeur et d'en alimenter d'autres. Chacun, dans l'entourage du chef de l'Etat, semble vouloir montrer qu'il excelle sur son terrain. Le terrain de la rumeur était devenu la spécialité de certains conseillers. Voilà qui ressemble de plus en plus à un phénomène de cour qui, décidément semble être inévitable dans la pratique de la Ve République.

Et puis Carla Bruni a parlé sur Europe1.

Et, hormis le mensonge sur l'enquête de la DCRI qui trahit bien l'existence d'un début de paranoïa chez certains au sommet de l'Etat, l'épouse du président a enfin dit ce qu'il y avait à dire... à savoir que tout ça n'avait aucune importance. Par rapport aux difficultés que vivent les Français, c'est la moindre des choses que de faire comprendre que le Président n'accorde aucune importance à ces rumeurs.

L'intervention de Carla Bruni était nécessaire parce cette affaire prenait des proportions proprement ridicules qui allaient —par comparaison— mettre les savoureuses chroniques du règne de Nicolas Ier de Patrick Rambaud au rang d'un gentil Martine à la plage. Que Rachida Dati, ancienne garde des Sceaux, ait été nommément mise en cause, que des proches du Président, appointés par l'Etat en leur qualité de conseillers à l'Elysée, se répandent en confidences «off», c'est-à-dire en délivrant des informations à ne pas divulguer mais à laisser courir quand même l'air de rien... c'est un phénomène politique à analyser.

Dans cette affaire, nous souffrons, encore une fois, du fonctionnement archaïque de notre communication politique. Nous sommes toujours dans un mode de relation entre la presse et les entourages fait de confidences, de faux «off», de vraies fuites organisées, de connivences intéressées. Il n'y a pas de remède contre ces pratiques qui permettent toutes les petites manipulations et qui n'incitent pas à la rigueur journalistique. Mais il existe des outils de transparence qui en limiteraient les effets pervers. Ce serait par exemple d'instaurer un porte-parole du chef de l'Etat. Ça existe dans toutes les démocraties modernes. Un homme ou une femme qui ne ferait pas de «off», mais qui répondrait «on» à des questions simples, par exemple: qu'est-ce qui a réellement été mis en œuvre pour connaître l'origine de la rumeur? Y a-t-il eu des écoutes? Quelle est la véritable ampleur de la mobilisation du contre-espionnage pour tirer au clair cette affaire?

Il y avait un porte-parole, souvenez-vous, au début du quinquennat: David Martinon. Ça n'a pas tenu. Cette éphémère et relative modernisation de la communication élyséenne n'a pas survécu au retour des intrigants, aux distilleurs de «off». Le flou, l'ambiguïté, l'opacité sont des facilités dont les gouvernants français ont décidément du mal à se passer...

Thomas Legrand

Photo: Le couple présidentiel  Nasser Nuri / Reuters


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