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Sorcières et féministes, unies contre Donald Trump

À l'approche de l'élection présidentielle américaine, les cercles de sorcellerie multiplient les interventions destinées à favoriser la défaite du candidat sortant.

Deux sorcières croisées à la Women's March de Washington le 17 octobre 2020. | Caroline Ernesty
Deux sorcières croisées à la Women's March de Washington le 17 octobre 2020. | Caroline Ernesty

Temps de lecture: 6 minutes

À Washington (États-Unis).

«Sorcières et féministes sont connectées ensemble par leur besoin de changement. Toutes deux représentent la force et le pouvoir», explique Jexa, green witch et cofondatrice du Infinity Coven, un cercle de sorcières. Avec celles qu'elle désigne comme ses sœurs, elle organise un événement nommé «Flush Trump» (to flush signifiant à la fois «tirer la chasse» et «nettoyer à grande eau»).

Prévu pour le 2 novembre, la veille de l'élection présidentielle américaine, ce rituel sera «spirituel et symbolique. Sur un bout de papier toilette, nous écrirons le nom de Trump et au moins une chose que l'on souhaite voir partir avec lui. Immerger quelque chose dans de l'eau est une forme puissante de manifestation, combiné avec la force de l'intention et des mots puissants; vous obtenez alors une magie très réelle», s'enthousiasme Jexa.

Mais cette célébration, sous forme de rituel, est aussi une performance. Artistique et spirituelle, elle s'apparente aux premiers événements du mouvement W.I.T.C.H., acronyme de Women's International Terrorist Conspiracy from Hell, né en 1968 à New York. Des militantes déguisées en sorcières dansaient et récitaient des chants traditionnels berbères devant la bourse de Wall Street. Depuis les années 1970, la communauté des sorcières est montée en puissance aux États-Unis, et trouve désormais un nouvel âge d'or sur les réseaux sociaux.

Depuis 2016, les sorcières sont devenues des militantes. Pam Grossman, sorcière, autrice et créatrice du podcast The Witch Wave, se réjouit de cette mutation: «De nouvelles catégories d'individus utilisent le mot “sorcière” pour se décrire comme féministes, comme rebelles, comme des personnes qui veulent utiliser leur pouvoir pour combattre le statu quo patriarcal, blanc, cis, hétéronormatif. Et j'utilise tout à fait le mot sorcière dans ce sens aussi.» Chargée d'une histoire faite de violences misogynes, la sorcière moderne réplique, et compte mener à bien la révolution.

Symbole de sororité et de lutte

«Je vois la magie et la politique comme deux choses non séparées. Dans notre société, la politique constitue un accès au pouvoir, et la magie est plutôt une manière d'interagir avec le pouvoir», indique Sarah Lyons, sorcière et autrice du livre Revolutionary Witchcraft, a guide to magical activism. Pour cette New-Yorkaise, le pouvoir est la base de tout et peut s'acquérir via la pratique de la sorcellerie.

Le livre de Sarah Lyons, paru en novembre 2019. | Running Press

Mais comment définir la sorcellerie telle que pratiquée aujourd'hui aux États-Unis? Elle compte actuellement autant d'adeptes que de définitions. D'après des estimations, aux États-Unis, les personnes se réclamant du culte païen ou wicca (ou des deux) seraient entre 1 et 1,5 million, soit près de 0,4% de la population.

Anjeul, sorcière connue sur Instagram pour ses conseils et mèmes, apporte une distinction entre culte wicca et culte païen: «Le paganisme est plus une religion, basée sur des pratiques polythéistes et un panthéon tiré des anciennes civilisations. Et, bien que la sorcellerie wicca utilise des divinités et certains éléments de ces anciennes civilisations, ce n'est pas une religion.» Et Pam Grossman de compléter: «Vous pouvez être une sorcière et avoir d'autres identités, et même une autre religion.»

Les personnes qui se désignent comme sorcières et sorciers fondent le plus souvent leur pratique via la lecture, et façonnent leur spiritualité au gré de leurs rencontres littéraires. «Je suis tombée sur le rayon occulte de la bibliothèque quand j'avais 14 ans», confie Pam Grossman, ce qui a renforcé des croyances magiques apparues chez elle durant l'enfance. En grandissant, celle-ci s'est ensuite positionnée comme sorcière païenne et fait maintenant partie d'un coven, sorte d'assemblée de sorcières-amies, avec qui elle se réunit et échange.

Si Pam Grossman, qui est blanche, tient son paganisme des rites hérités d'Europe, d'autres sorcières mélangent les sorcelleries comme on mélange des cultures. Suhaly Bautista-Carolina, créatrice de Moon Mother Apothecary, est une bruja. Formée à la phytothérapie (qui consiste à soigner avec les plantes) par une sorcière émérite de Brooklyn, elle cultive aussi sa magie grâce à ses origines dominicaines: «Ma maman a toujours eu des astuces pour soigner, avec des tisanes ou des plantes. Mais elle n'a jamais articulé ce savoir en science.»

 


En se formant, Suhaly Bautista-Carolina a voulu comprendre cette dynamique, ces liens entre psychisme et douleurs corporelles. Elle a alors appris comment soigner grâce au pouvoir des plantes et de la spiritualité. Elle revendique maintenant ce titre de guérisseuse et bruja, encore mal vu dans la culture occidentale, mais véritable marque de sagesse en République Dominicaine.

Jeter un sort à Donald Trump

«Sans internet, comment autant de gens seraient-ils capables de mettre en place des groupes d'aide magique ou d'organiser des malédictions collectives contre des violeurs, des racistes et des politiciens corrompus?», lance Kristen J. Sollée, professeure et autrice de l'ouvrage Witches, Sluts and Feminists: Conjuring the Sex Positive. L'organisation autour de certaines pratiques occultes est donc un moyen de rassembler des personnes autour des mêmes valeurs, et avec un ennemi commun. Le président Trump notamment.

Couverture du livre de Kristen J. Sollée, paru en juillet 2017. | ThreeL Media

Dans son ouvrage précédemment évoqué, Sarah Lyons cite Naomi Klein, autrice canadienne de Dire non ne suffit plus: «Trump n'est pas du tout une rupture, mais plutôt l'aboutissement –le point final logique– de grandes et dangereuses histoires que notre culture nous enseigne depuis longtemps. Que l'avidité est bien. Que le marché commande. Que l'argent est ce qui compte dans la vie.» Passé le choc de son élection, pour les millions de personnes n'ayant pas voté pour lui, place à la remise en question: Donald Trump est devenu une figure à stopper, par la magie ou par les urnes.

À l'occasion de Halloween, quelques jours avant le scrutin américain, de nombreux événements sont organisés par des sorcières de tout le pays afin d'essayer d'influer sur le cours de l'élection. Chants et danses se mêleront à des incantations dans la fumée des feuilles de sauge ou de palo santo. Durant cette semaine chargée, l'une des plus importantes de l'année dans le calendrier païen, le voile entre le monde des morts et celui des vivants serait le plus fin, permettant la circulation des esprits. «Et il a un tas d'esprits mécontents après lui», commente une sorcière sur la page de l'événement Flush Trump, «plus de 220.000», en faisant référence aux nombres de personnes décédées du Covid-19 dans le pays.

Pour interférer sur les pouvoirs du président, les sorcières et militantes comptent donc se servir du calendrier, mais aussi de la lune bleue. C'est ainsi qu'est désignée la seconde pleine lune du mois, qui apparaîtra le 31 octobre, phénomène rare. Mais l'auraient-elles déjà fait? Kristen J. Sollée s'en amuse: «Depuis que Donald Trump a été testé positif au Covid-19 durant la première pleine lune d'octobre, on a pu lire plein de commentaires en ligne, mi-amusés, mi-sérieux, affirmant que des sorcières seraient effectivement responsables de sa maladie.»

Depuis son élection, puis son arrivée au pouvoir en janvier 2017, la résistance s'est organisée contre le quarante-cinquième président des États-Unis, d'abord sous forme de manifestations classiques, comme la Women's March. Certain·es ont préféré des méthodes moins orthodoxes, comme celle de maudire le président et de lui jeter des sorts, à l'image de ce que font régulièrement les membres des groupes Facebook Bind Trump et The Witches against Trump, ou encore la chanteuse Lana Del Rey.

Depuis bien longtemps, les sorcières embrassaient la cause de la libération de la femme, de son corps et sa sexualité, mais aussi le fait de «s'aligner avec tous les outsiders, l'obligation de protéger les autres et de se battre pour la justice», ajoute Pam Grossman. Plus qu'un groupe de femmes dansant et chantant sous la pleine lune, la figure de la sorcière se fond dans celle de la guerrière en quête de justice, comme une Lilith, une Circé ou même une Willow.

Face à un homme qui ne les traite pas en égales, qui les violente et les rudoie, les féministes et sorcières cherchent à se réapproprier leur pouvoir, et notamment celui de leur corps. Avec la dénonciation toujours plus médiatisée des agressions et violences sexuelles, mais aussi la lutte pour la sauvegarde du droit à l'avortement, le combat est acharné.

Appropriation culturelle ou intersectionnalité?

Mais comme pour toute chose créée aux États-Unis, le marché ne tarde pas à s'en mêler. Les différentes communautés sont régulièrement mises en garde contre les pièges d'une sorcellerie rentable. Sephora (avec son kit pour sorcières débutantes) ou Urban Outfitters sont souvent dénoncés pour leur appropriation des codes et usages de la sorcellerie à des fins mercantiles.

Les sorcières et brujas émérites mettent en garde les nouvelles recrues, notamment venues via TikTok ou Instagram: il ne suffit pas d'acheter quelques cristaux pour que votre vie s'arrange... et surtout, il faut respecter les croyances et cultures de chacun·e.

 

«Quand de jeunes sorcières blanches empruntent des pratiques à la diaspora africaine, ou native-américaine, souvent elles ne créditent pas, et peuvent se montrer maladroites et exploitantes. Il ne faut pas voler, mais donner du crédit et de l'argent quand on peut», intervient Pam Grossman. Pour Suhaly Bautista-Carolina, le constat est plus tranché: «Il y a 100% d'appropriation culturelle.» Une problématique qui rejoint celle du féminisme moderne «trop centré à célébrer la femme blanche», conclut la bruja.

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