Égalités

Non-binarité, ou comment définir sa propre identité de genre

De plus en plus de personnes rompent avec le masculin et le féminin pour s'inventer une identité de genre singulière.

Avec la non-binarité, chacun·e peut s'accorder le droit d'explorer la notion de genre. | Ryoji Iwata <a href="https://unsplash.com/photos/IBaVuZsJJTo">via Unsplash</a>
Avec la non-binarité, chacun·e peut s'accorder le droit d'explorer la notion de genre. | Ryoji Iwata via Unsplash

Temps de lecture: 6 minutes

Alors que la pop culture (de David Bowie à Miley Cyrus) et la fiction (on pense à l'animé Ranma 1/2) nous donne à voir, depuis des décennies, des figures androgynes et ambigües, la question de la non-binarité de genre dans le quotidien des Français·es reste incomprise.

Pourtant, nous sommes en train de vivre une véritable révolution où chacun individu devient de plus en plus libre de s'autonomiser en matière d'identité de genre et de s'affranchir du modèle hétéronormatif féminin versus masculin.

La non-binarité, entendue à la fois comme l'idée que les identités ne sont pas binaires, que si binarité il y a, elle n'est pas fixe et définitive dans le temps et qu'il existe des vécus en dehors des cases hommes/femmes, est désormais une réalité.

La non-binarité, un sentiment loin d'être nouveau

Jusque dans les années 2000, on était globalement homme ou femme, éventuellement transgenre. Du moins publiquement: «Le vocabulaire de la non-binarité est récent, explique Arnaud Alessandrin, sociologue du genre, de la santé et des discriminations. Pour autant le sentiment de non-binarité n'est pas nouveau.»

«Depuis mon enfance, j'ai toujours eu un attrait pour les choses dites “pour filles”.»
Camille, se considère comme non-binaire AMAB

Et, en effet, les témoignages affluent en ce sens. «Aussi loin que je me souvienne, dès la petite enfance, j'ai toujours eu du mal avec l'idée d'être une femme, d'être déconsidérée parce que fille, devant me conformer à nombre d'injonctions qui me paraissaient être une entrave à ma liberté propre et à mon individualité, explique Stuart, 39 ans, qui se définit comme femme non-binaire. Le regard que me renvoyait la société, les hommes, les femmes, cela me mettait extrêmement mal à l'aise et générait un sentiment de malentendu littéralement physique.»

«Depuis mon enfance j'ai toujours eu un attrait pour les choses dites “pour filles”, pas seulement certains passe-temps comme la danse classique, mais aussi leurs vêtements et le maquillage. Je pensais que c'était une folie passagère, mais cela ne m'a jamais quitté. Je l'ai intériorisé jusqu'à l'âge adulte et la découverte de genres “autres”», rapporte Camille, non-binaire AMAB (assigned male at birth, soit asigné garçon à la naissance).

Dès lors que l'on parle de non-binarité comme d'un décrochage par rapport à la binarité homme/femme traditionnelle, il faut bien voir qu'au-delà des mots et des concepts, on peut d'abord simplement se référer à «un sentiment, celui de n'appartenir ni à la catégorie des hommes masculins ni à la catégorie des femmes féminines, explique Arnaud Alessandrin. C'est avec l'irruption des théories queer dans les années 2000 en France que la non-binarité a pu s'affirmer comme identité de genre, c'est-à-dire affirmée, sinon revendiquée.»

C'est aussi à ce moment-là que l'expression du genre non-binaire a pu se développer. «On peut exprimer cette identité en l'affirmant, mais aussi par l'usage de prénoms et de pronoms non-binaires, de vêtements ou encore par des comportements non immédiatement cataloguables comme féminins ou masculins», poursuit le sociologue.

«La découverte de la notion de non-binarité a sonné pour moi comme une délivrance.»
Stuart, se considère comme femme non-binaire

La découverte –très souvent par le biais d'internet, des forums et des réseaux sociaux– que d'autres ne s'inscrivent pas dans des cases binaires et ce, sans pour autant être psychiatrisé·es, est une véritable libération pour toutes ces personnes mal à l'aise dans un genre conforme au sexe qu'on leur a attribué à la naissance.

«La découverte de la notion de non-binarité, il y a quelques années, a sonné pour moi comme une délivrance: je n'étais a priori pas la seule à refuser que l'on m'enferme dans une représentation, un simulacre de moi-même, un rapport de domination joué d'avance, raconte Stuart. Je n'étais pas la seule à revendiquer la décorrelation entre mon sexe biologique et mon identité de genre, à dénoncer le dogme de la binarité, l'oppression des injonctions et des normes sociales

S'identifier ou non pour bricoler son genre

Comme le dit le sociologue Lukasz Szulc dans son article «Digital Gender Disidentifications: Beyond the Subversion Versus Hegemony Dichotomy and Toward Everyday Gender Practices» (2020): «Le XXIe siècle a vu l'émergence de nouvelles pratiques de diversité de genre qui rejettent la rigidité binaire du genre. Les médias numériques ont joué un rôle crucial dans ce processus car les nouvelles étiquettes sont souvent créées et deviennent populaires sur les réseaux sociaux en ligne.»

Au-delà même de la découverte, les réseaux sociaux ont ainsi permis une explosion des témoignages et des identifications possibles. Alors la non-binarité n'est plus une, elle est multiple, plurielle.

«Je navigue dans mon quotidien globalement comme une femme. Mais je n'en suis pas une.»
Alice, se considère comme agenre

Lukasz Szulc suggère que les personnes non-binaires forgent leur identité par des mécanismes de contre-identification («Je ne suis pas cela»), d'identification («Je suis comme cela») et de disidentification («Je suis comme cela mais»). Ainsi, dès lors que l'on s'inscrit en marge de la binarité, chacun·e est libre d'explorer, de bricoler et d'affirmer (ou non) sa propre identité singulière.

Il peut s'agir de revendiquer cette identité par désir d'émancipation ou par choix politique, ou de la réserver à un cercle de proches bienveillants.

«Malgré le fait que j'aie une famille proche très tolérante à qui j'ai fait part de mon identité et un partenaire qui m'encourage dans mes recherches de genre, pour tous les autres aspects de ma vie, je suis dans le placard. Je navigue dans mon quotidien globalement comme une femme. Mais je n'en suis pas une. J'ai l'impression d'être un imposteur parmi les cis, témoigne Alice, 24 ans qui se définit comme agenre. Je ne sais pas si je vais affirmer ou non mon (a)genre à l'avenir, ni comment. Je ne sais pas comment on affirme une absence. Je ne sais pas si ma fierté sera un message public ou si j'ai envie qu'elle le soit. Mais ce que je sais, c'est que je suis fièr·e d'être ce que je suis.»

Un manifeste politique

D'autres évoquent un réel besoin d'exprimer verbalement ou esthétiquement leur identité. C'est le cas de David, 26 ans: «Je me suis fait épiler au laser et j'ai fait une rhinoplastie... Je prends un traitement pour être sûr de ne pas perdre de cheveux. Pour autant je n'ai jamais trop senti le besoin d'avoir des traits féminins. J'ai juste voulu gommer les traits masculins. J'ai volontairement altéré mon corps pour qu'il ne ressemble pas à ce que les gens perçoivent comme “naturel”. J'essaie de transformer mon androgynie et plus globalement, mon étrangeté en un manifeste politique.»

«J'ai effectué une mastectomie à la fois comme un acte politique et une manière de me réapproprier pleinement qui je suis.»
Stuart, se considère comme femme non-binaire

Stuart a, pour sa part, choisi de changer de prénom: «Au quotidien je suis Stuart, et je suis “elle” je me genre au féminin. Cette simple énonciation crée une faille dans les représentations. À chaque fois que je donne mon nom, que je me présente en tant que Stuart, avec mon expression de genre a priori féminine, je crée une brèche dans la réalité lisse et normée du genre, j'ouvre de nouvelles possibilités, je change les règles du jeu ou, tout du moins, j'induis qu'elles peuvent être changées. Je casse le regard que les hommes portent sur moi, je désamorce les tentatives d'enfermement. Invariablement, je réponds à la question: “Mais Stuart, c'est un prénom de garçon”, et cela me ravit, de pouvoir expliquer pourquoi Stuart.»

Elle a également choisi de subir une mastectomie: «Mon identité est un cheminement qui passe énormément par mon corps, qui est mon interface directe et première avec le monde. Mon corps est l'expression politique de mes revendications et de ma liberté. J'ai effectué il y a deux ans une mastectomie, à la fois comme un acte politique et une manière de me réapproprier pleinement qui je suis. Mon corps a toujours été mon meilleur allié.»

Alice, de son côté, exprime le fait qu'elle est parfaitement à l'aise avec un corps socialement vu comme très féminin avec des courbes très marquées.

Quant à Nicky, elle avoue se moquer totalement de son expression de genre. «Je porte des vêtements en fonction de leur confort matériel. Je ne cherche pas à faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, je porte des robes ou des pantalons... Je crois qu'il y a des personnes non-binaires qui ressentent de l'euphorie à combiner des codes féminins et masculins pour donner un résultat androgyne, mais personnellement, je ne recherche pas ça.»

Aujourd'hui, la non-binarité (ou plutôt les non-binarités) et la fluidité de genre s'inscrivent dans ce qu'Arnaud Alessandrin explique comme «une autonomisation des identités par rapport aux supports habituels que sont l'état civil, le droit et la médecine».

Reste à savoir comment nos sociétés encore très marquées par l'hétérocisnormativité vont s'arranger avec cette réalité où chacun·e peut s'accorder le droit d'explorer la notion de genre.

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