Parents & enfants

Comment les enfants choisissent-ils leurs copains et copines?

Cela ne dépend pas uniquement des activités partagées par les enfants, mais aussi des jugements exprimés par les adultes.

Le discours des parents influence beaucoup les choix des enfants en matière d'amitiés. | Ben Wicks <a href="https://unsplash.com/photos/iDCtsz-INHI">via Unsplash</a>
Le discours des parents influence beaucoup les choix des enfants en matière d'amitiés. | Ben Wicks via Unsplash

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«Il manque un temps à ma vie, il manque ton rire, je m'ennuie, il me manque toi, mon ami, mon alter ego», chantait Jean‑Louis Aubert en 2001. Si cette chanson est peu connue des enfants –et souvent associée à «un truc de vieux», comme on me l'a agréablement fait remarquer lors d'un cours de musique–, son titre et son refrain sont en revanche très présents dans leur réalité quotidienne.

C'est le cas notamment lorsqu'ils s'amusent à classer leurs camarades par niveau d'affinité dans des catégories aussi différentes, précises et hiérarchiques que «meilleur ou vrai ami», «ami», «copain» ou «juste copain».

À l'instar de celles des adultes, les pratiques affectives et amicales des enfants ne sont pas démocratiques, tant s'en faut. Les garçons et les filles reconnaissent très difficilement pouvoir «tomber ami ou tomber même meilleur ami» (sic) de tout un chacun, quels que soient son âge, son sexe, ses activités récréatives préférées ou encore son apparence.

Les amitiés mixtes sont rares

En amour comme en amitié, la figure de l'alter ego émerge très rapidement de l'analyse des sociabilités enfantines. La majorité des enfants tissent des liens avec des enfants qui leur ressemblent sous leurs principales coutures, c'est-à-dire sous celles qui distinguent et hiérarchisent le plus évidemment la cour de récréation, à savoir le sexe et l'âge.

Être du même âge et être du même sexe apparaissent comme les deux principales conditions nécessaires à la formation des liens affectifs enfantins. Sans l'une d'elles, pas d'amitié et a fortiori pas de meilleure amitié possible. Elles constituent les premières modalités à partir desquelles les enfants peuvent ensuite élire et sélectionner leurs copains et copines ou «ami·es préféré·es» à partir de différents critères d'évaluation et de jugements.

Quel que soit leur âge, les enfants déclarent le plus souvent avoir des copains ou copines et des ami·es du même sexe qu'eux: c'est le cas de près de six filles sur dix (dans les écoles et centres périscolaires étudiés) et de sept garçons sur dix. La proportion, pour les deux sexes, augmente à 80% en ce qui concerne leurs meilleur·es ami·es.

Plus surprenant, ils sont seulement 20% à indiquer avoir des amitiés mixtes, c'est-à-dire à déclarer avoir un groupe de copains et copines composé d'autant de camarades de l'autre sexe que du même, et seulement 10% à avoir autant de meilleures amies que de meilleurs amis.

Comment expliquer ce fort tropisme des enfants envers leurs camarades de même sexe? Deux principales réponses ressortent de leurs propos. La première, la plus fréquente, renvoie à des raisons prosaïques et plus largement au fonctionnement des amitiés enfantines.

Il est difficile de devenir (meilleur·e) amie·e d'un enfant quand on ne partage pas les mêmes goûts, les mêmes jeux et les mêmes activités, quand il n'y a aucun terrain favorable au développement d'une relation un tant soit peu suivie dans le temps. Or, les garçons comme les filles s'accordent à dire que les autres «font des jeux trop nuls» qui ne sont «pas drôles», et «qu'on s'ennuie toujours [quand on est] avec eux, en plus ils nous embêtent».

La seconde raison, généralement évoquée du bout des lèvres mais tout aussi importante, est le risque que les unes et les autres encourent à rester paisiblement, sans faire montre d'ennui ou de gêne, dans un petit groupe majoritairement composé d'enfants de l'autre sexe, à savoir celui d'être «traité d'amoureux» ou d'amoureuse d'une mauvaise personne, comme le rapporte Marion, en classe de CE2:

«Déjà, dès qu'on jouait avec un garçon et y'en a qui faisait: “Ah, vous êtes amoureux”. Oui, par exemple, Elsa, en faisant l'épervier, Elsa, elle était chat avec Hugo et là, je crois que c'est Léa, Sandra et tu vois bah elles ont commencé à faire: “Ah vous êtes amoureux”, parce qu'ils étaient à côté. Et dès qu'on a un amoureux, ils font: “Oh! La honte!”»

Le poids de la classe et de l'âge

Au-delà d'une concordance de sexe, les relations amicales enfantines se caractérisent par une très forte homophilie d'âge, et plus précisément de niveau scolaire. Près de 90% des garçons et des filles déclarent en effet que la majorité de leurs copains ou de leurs copines sont dans la même classe qu'eux ou elles. À l'inverse, ils sont très peu à mentionner avoir beaucoup d'ami·es dans des classes plus grandes que la leur (29%), et encore moins à en indiquer dans des classes plus petites (19%).

Quand on les questionne sur ce phénomène, les enfants indiquent que c'est «parce que les grands ne les autorisent jamais à jouer avec eux, sauf quand il leur manque du monde pour faire un foot ou alors pour faire un chat. Mais sinon, ils jouent qu'avec les grands. Ils veulent pas de nous parce qu'on est trop petits et qu'on sait pas bien jouer au foot ou à chat!» (Christophe, CE2).

Cette association entre trop petit·es et pas assez bon·nes ou fort·es pour «avoir le droit» de jouer –et donc d'être ami·es– avec les plus grand·es se retrouve également dans les propos de Mathias, en CP, qui explique qu'il ne pourrait être ami «avec les plus grands que [lui] parce que eux ils jouent à des jeux qui sont trop compliqués».

En d'autres termes, si les enfants ne peuvent que très difficilement devenir ami·es et, de surcroît, meilleurs ami·es avec des enfants qui ne seraient pas de leur âge ou n'appartiendraient pas à leur classe de sexe, c'est parce qu'ils mettent en jeu leur réputation et leur place dans la cour de récréation.

En jouant avec des plus petit·es ou des camarades de l'autre sexe, les enfants risquent non seulement d'être moqué·es, traité·es d'amoureux ou d'amoureuse, «de vouloir faire “leur” grand» ou pire, de «bébé cadum», mais surtout de se voir dévalué·es en étant associé·es aux figures repoussoirs de bébés, de garçons, et surtout de filles.

Ces sanctions symboliques, extrêmement présentes dans les temps de jeu, rappellent donc aux enfants les règles des sentiments amicaux, et la nécessité d'en respecter l'âge et le sexe. Toutefois, elles ne s'imposent pas avec autant de force à tout un chacun.

Ce sont surtout les garçons et les plus grands –en tant que «rois de la cour» (sic) –qui ont le plus à perdre dans la mesure où il est plus insultant et dévalorisant d'être renvoyé à des bébés et à des filles qu'à des garçons et à des grands, ce qui souligne l'existence précoce de hiérarchies et d'inégalités d'âge et de sexe.

Le rôle implicite des adultes

Les manières de choisir ses ami·es ne dépendent pas uniquement des enfants, de leur choix ou des cultures enfantines, elles sont liées au monde des adultes au moins de trois manières. Tout d'abord, si les garçons et les filles ont plus de chances d'être ami·es avec des camarades du même âge et du même sexe qu'eux, c'est parce que les professionnel·les de l'éducation ont tendance à les rassembler par sexe et niveau scolaire, y compris lors des activités extra –ou périscolaires.

Les enfants du même âge et du même sexe passent davantage de temps ensemble, et ont donc l'occasion de se rencontrer, de discuter et de tisser des liens forts les un·es avec les autres.

Ensuite, c'est parce que les adultes contribuent, souvent sans s'en apercevoir, à promouvoir des normes de genre et d'âge qui différencient et hiérarchisent les enfants. En distinguant par exemple les jeux ou activités des grands, des petits, des filles et des garçons en fonction de leur niveau de difficulté ou d'implication physique, ils rendent difficilement possible la mixité des animations, voire incitent les enfants à se distinguer pour prêter allégeance à leur âge ou à leur sexe.

Enfin, les adultes jouent sur les choix affectifs des enfants dans la mesure où leurs jugements et remarques agissent comme de véritables indicateurs de la valeur intrinsèque des enfants.

En qualifiant certains enfants d'intelligents, de beaux ou de drôles et d'autres de sales, pénibles, bagarreurs ou dissipés, ils influencent largement la réputation et le rang des enfants dans la cour de récréation et orientent ainsi le marché amical.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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