Société

Pour prémunir les mutilations de chevaux, des nomades montent la garde

Sur Facebook, un réseau d'entraide met en relation des propriétaires de chevaux et des nomades pouvant surveiller leurs montures.

Le réseau d'entraide compte aujourd'hui plus de 3.500 membres dans toute la France. | Inja Pavlić <a href="https://unsplash.com/photos/ogbSU85AVLg">via Unsplash</a>
Le réseau d'entraide compte aujourd'hui plus de 3.500 membres dans toute la France. | Inja Pavlić via Unsplash

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Si les signalements de mutilations d'équidés sont en recul, le pic de l'été dernier a marqué les esprits et agité les réseaux sociaux. À la mi-septembre, la gendarmerie recensait 344 signalements. Pour 55 d'entre eux, l'intervention humaine dans les blessures ne fait aucun doute. Les 200 enquêtes ouvertes, centralisées par l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), patinent. Les premiers signalements remontent à l'hiver 2019, puis tout s'est accéléré l'été dernier.

Rituel satanique, défi lancé sur le dark web, mimétisme malsain... toutes les pistes ont été envisagées. La peur s'est installée chez les propriétaires d'équidés, inquièt·es et épuisé·es à force de faire des rondes de surveillance nocturnes. Pour Nicolas, 38 ans, saisonnier vivant dans son camion aménagé, l'idée lui est apparue comme une évidence: quoi de mieux qu'un nomade à domicile pour surveiller les chevaux et permettre aux propriétaires de souffler un peu?

Un réseau d'entraide entre nomades et cavaliers

Comme lui, elles et ils sont nombreux en France à avoir choisi un mode de vie itinérant et à vivre, à l'année ou pour quelques mois, en habitat mobile (van, camion, poids lourd, camping-car...) En solo, en famille ou entre amis, trouver un endroit pour se poser n'est pas toujours chose facile. Une surveillance gratuite contre un bout de terrain, l'idée fait son chemin.

«On a eu jusqu'à vingt demandes d'adhésion au groupe par heure!»
Chloé, propriétaire

Le 28 août, sur un groupe privé réservé aux nomades, Nicolas la soumet à la petite communauté mobile: «Au courant des problèmes que subissent les équidés [...] je me dis qu'il serait temps de faire fonctionner la synergie!, écrit-il. Si vous avez des propriétaires de chevaux près de chez vous et si vous le sentez, allez les voir et demandez-leur s'ils n'auraient pas besoin d'un gros camion bien lumineux et de quelques toutous pour protéger leurs bêtes.»

L'engouement des nomades du groupe est immédiat. Parmi eux, Chloé, 30 ans, cavalière, propriétaire de quatre chevaux et ancienne nomade. Un pied chez les nomades, l'autre chez les cavaliers, elle est certaine que ça peut fonctionner.

Une surveillance contre un bout de terrain

Chloé et Nicolas ne se connaissent pas mais décident de monter ce projet d'entraide ensemble. Ils créent alors un nouveau groupe Facebook destiné à mettre en lien des propriétaires de chevaux et des nomades voulant les aider. Le succès ne tarde pas et aujourd'hui le groupe compte plus de 3.500 membres, répartis dans toute la France. Pour des raisons de sécurité, il est privé et très contrôlé.

«On fait très attention aux gens qu'on accepte, on vérifie tous les profils. Les cavaliers ont déjà des problèmes, l'idée ce n'est pas de leur en ajouter», précise Chloé. Les deux trentenaires ont été surpris par le succès de leur initiative: «Là ça s'est calmé, mais au début on y passait quatre à sept heures par jour. On a eu jusqu'à vingt demandes d'adhésion au groupe par heure!», se souvient Chloé.

«Il y a des familles, des artisans, des saisonniers, des artistes, des intermittents du spectacle, des étudiants...»
Chloé, propriétaire

En plus des vérifications, il faut s'occuper de la modération et établir des règles. Une fois sur place, pas question de jouer aux héros, mais juste d'occuper l'espace pour dissuader les intrus et ne pas laisser de chevaux isolés dans les prés. En cas de flagrant délit, les règles du groupe sont claires: «Appeler la gendarmerie, en plus du propriétaire. Les cinglés qui s'en prennent aux chevaux ont déjà blessé une personne», rappelle-t-elle. Le 24 août, dans l'Yonne, un propriétaire ayant surpris deux hommes en train de mutiler ses chevaux a en effet été blessé au bras en tentant de les intercepter.

Les nomades s'installent donc dans les prés, pour quelques jours ou quelques mois. Pas question de monétiser ce service, elles et ils sont bénévoles. En échange, ces personnes ont accès à l'eau, parfois à l'électricité, et surtout sont les bienvenues, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Au-delà du service, des rencontres

Avec leurs camions, caravanes et autres poids lourds, les nomades ne passent pas inaperçu·es et le cliché de marginaux punks à chiens leur colle aux basques. Pourtant, elles et ils sont nombreux à avoir choisi cette mobilité, par envie de liberté, soif de rencontres et amour de la nature notamment.

«Les cavaliers sont très étonnés par la diversité des nomades. Il y a des familles, des artisans, des saisonniers, des artistes, des intermittents du spectacle, des étudiants... Certains sont jeunes, d'autres retraités... Tout type de personne vit en camion», explique Chloé.

«Une alternative bien au-delà de toutes les caméras et alarmes qu'on peut trouver. »
Ines*, propriétaire

De leur côté, les cavalièr·es ont aussi droit à leur stéréotype: «Il y a cette idée du cavalier rattaché à la noblesse, aux hauts niveaux sociaux, à la chasse à courre... Alors que pas du tout, plein de cavaliers ont fait comme moi, ils ont travaillé dur pour se pour se payer les cours», ajoute-t-elle. C'est l'autre bénéfice de ce groupe: «Ça permet à des gens très différents de se rencontrer. Des amitiés se créent, c'est formidable. Les retours sont très positifs, du côté des cavaliers comme de celui des nomades», s'enthousiasme Chloé.

À tel point que certains propriétaires d'équidés peinent à trouver «leurs» nomades. Sur la petite page Facebook, entre les demandes et propositions d'aide qui affluent, les témoignages positifs et les remerciements s'enchaînent.

Julie*, propriétaire, a aimé cette famille de nomades, des personnes «simples et sympas»:

Julie*, propriétaire. | Capture d'écran Facebook

Dominique*, nomade, cherchait déjà ses futurs remplaçants: «Voilà presque trois semaines que je suis au milieu des prés, [..] l'accueil a été familial. […] Mais je vais devoir partir et cela me chagrine de laisser mes hôtes, donc si quelqu'un pouvait faire le relais?»

Laurine*, propriétaire, évoque une «super expérience»:

Message de Laurine*, propriétaire. | Capture d'écran Facebook

Léana*, nomade, reconnaît la bienveillance des propriétaires: «Super bien installée! En plus, j'ai eu 40 kilos de croquettes et des savons fait maison en échange de la tranquillité des proprios. Merci.»

Ines*, propriétaire, met en avant cette solidarité: «Nous n'aurions jamais pensé à cette alternative... et pourtant, elle est bien au-delà de toutes les caméras et alarmes qu'on peut trouver, on peut vous l'assurer.»

 Ines*, propriétaire. | Capture d'écran Facebook

Les personnes qui ont sauté le pas ne tarissent pas d'éloges sur cette aventure imprévue. Nomades et propriétaires équins passent du temps ensemble, apprennent à se connaître, autour d'un verre, d'un bon petit plat ou d'une balade à cheval. Des liens se tissent. De nombreux cavaliers et cavalières mentionnent leur envie de poursuivre ces échanges, en mettant leurs terrains à disposition des nomades de passage, même une fois le risque des mutilations passé.

Plus qu'un échange de services, ce groupe a créé une belle aventure humaine. «On est dans une période de crise à tous les niveaux, la solidarité c'est la plus grande des valeurs, en s'entraidant, dans tous les domaines, on y arrivera», conclut Chloé.

*Les prénoms ont été changés.

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