France

Les apéros Facebook: peur sur la ville

Après le succès de l'apéro géant de Rennes, de nombreuses villes se lancent dans l'organisation d'un tel événement.

Temps de lecture: 4 minutes

Après les raves party dans les années 1990 et le binge drinking dans les années 2000, voici le nouveau péril jeune: l'apéro géant. Claire Chazal s'en est émue lors de son journal du 26 mars sur TF1: «Et tout de suite, ce phénomène inquiétant qui touche de plus en plus de jeunes: la consommation d'alcool qui est parfois excessive. Un exemple hier soir à Rennes où plus de 5.000 personnes ont répondu à une invitation sur Facebook et ont assisté à un apéritif géant.»

Sur le groupe Facebook qui a lancé l'événement, l'objectif était clair: «Faire mieux que celui de Nantes!!! Rennes ne doit pas faillir à sa réputation.» De fait, Rennes a surclassé sa rivale de l'ouest avec 5.000 personnes réunies le 25 mars sur l'esplanade Charles-de-Gaulle contre 3.000 à Nantes, place Royale le 10 novembre dernier.

La première initiative de ce genre revient à Marseille qui avait réunit 2.200 personnes le 25 août dernier. Légère nuance: le mot d'ordre n'était pas parti de Facebook mais de reseaumarseillais.com. Lille avait aussi tenté son apéro Facebook en février: un fiasco avec juste quelques centaines de personnes. Mais c'est le nouveau record établi par Rennes qui a lancé la dynamique: de très nombreuses villes tentent désormais d'organiser leur «apéro géant» via Facebook. Avec plus ou moins de succès. Liste non exhaustive.

Déjà organisés:

Lannion: quelques dizaines de personnes sous une pluie battante.
Auray: quelques dizaines de personnes sous une pluie battante.

Annulés:

Nancy: 8.000 inscrits sur Facebook, annulé par l'organisateur suite à un rappel de la loi par la police.
Caen: 4.500 inscrits sur Facebook, interdit par la préfecture.
Vannes: 2.000 inscrits sur Facebook, annulé par les organisateurs
Arcachon: 1.100 inscrits sur Facebook, annulé par l'organisateur à la suite d'une convocation de la police.
Coutances: plusieurs centaines d'inscrits sur Facebook, annulé à la suite d'un arrêt municipal d'interdiction de la manifestation.

Principaux apéros prévus:

Lyon: 18.000 inscrits sur Facebook
Nantes (seconde tentative): dissidence entre un groupe à 13.000 inscrits et un autre à 3.000
Clermont: 10.000 inscrits sur Facebook
Montpellier: 10.000 inscrits sur Facebook
Saint-Quentin: 7.000 inscrits sur Facebook
Brest: 6.500 inscrits sur Facebook
Lorient: 5.000 inscrits sur Facebook
Angoulême: 4.000 inscrits sur Facebook
Boulogne-sur-Mer: 4.000 inscrits sur Facebook
Nantes (seconde tentative): 3.000 inscrits sur Facebook
Nevers: 2.200 inscrits sur Facebook
Bordeaux: 1.800 inscrits sur Facebook

On constate que l'apéro géant est un loisir purement régional. A Paris, où le sentiment d'appartenance à la ville est moins fort, le groupe Facebook d'organisation fait très pâle figure avec seulement 300 membres.

Pour l'instant, seul l'exemple rennais permet d'évaluer le taux de transformation de ces inscriptions sur Facebook. Avec 13.000 inscrits sur le réseau social, l'événement a réuni 5.000 personnes, soit un taux de presque 40%. Mais la culture de la fête propre à cette ville très étudiante et l'énorme écho médiatique de l'événement ont certainement contribué à faire monter le nombre de participants.

Ces événements se nourrissent de l'incroyable viralité de Facebook, qui permet d'inviter en quelques clics tous ses amis à un «groupe» ou à un «événement». Les raves party des années 1990, dont le lieu était tenu secret jusqu'au dernier moment, avaient profité de l'arrivée des SMS pour se développer. Sur Facebook, on passe dans une autre dimension où un message personnalisé —et gratuit— peut être envoyé simultanément à 300 amis. La viralité est décuplée mais le secret n'existe plus.

«Incitation à l’ivresse publique»

Ces manifestations d'un nouveau genre inquiètent fortement les pouvoirs publics locaux. Deux adjoints au maire socialiste de Rennes ont publié un communiqué scandalisé au lendemain de l'événement:

L’appel à un "apéro géant" constitue une incitation à l’ivresse publique que nous ne pouvons que dénoncer avec la plus grande force. Cette démarche irresponsable et anonyme a donné lieu à un rassemblement marqué par une alcoolisation massive sur l’espace public [...] Près de 80 personnes accueillies dans les postes de secours, une vingtaine évacuées vers le Centre hospitalier universitaire, dont 12 en état de coma éthylique.

Les reportages de la presse régionale évoquent une ambiance certes alcoolisée mais «bon enfant». La musique est peu présente et les jeunes, principalement des étudiants, prennent tranquillement l'apéro entre amis. Les services de secours sont abondamment présents sur place, comme dans toute manifestation.

Si le ministère de l'Intérieur ne s'est pas encore saisi du dossier, les préfectures et les mairies concernées par ces apéros géants font tout pour les encadrer, voire les faire annuler. Le cas de l'apéro de Nancy est symptomatique. Le créateur du groupe Facebook, un étudiant anonyme de 22 ans, a fini par annuler la manifestation, dépassé par l'ampleur des enjeux: «La police a joint un membre du groupe, raconte-t-il à Slate. Du coup, j'ai décidé de les appeler: même si j'étais anonyme, ils auraient fini par me retrouver. Ils m'ont prévenu que le nettoyage de la place Stanislas ainsi que les éventuelles détériorations et interventions des forces de l'ordre et secouristes seraient à mes frais. Dans ces conditions, j'ai préféré tout annuler.» «On lui a juste rappelé ses responsabilités dans le cadre de l'organisation d'un grand rassemblement», indique la préfecture.

La situation est compliquée à gérer pour les pouvoirs publics car il n'y a pas d'organisateur désigné. Même les raves party, pourtant réputées arnachiques, bénéficient d'une organisation autour de militants de la cause techno. Pour un apéro géant, rien de tel. Juste un jeune qui a un jour l'idée de lancer un groupe. Comme ça, pour voir. «J'ai eu l'idée de cet apéro géant car un de mes amis m'a raconté la soirée qu'il avait passée à Nantes, lors de l'apéro de novembre. Tous les jeudis soirs à Rennes, les étudiants se réunissent et font la fête. Alors, je me suis dit que ce serait plus sympa de réunir tout le monde», explique simplement l'étudiante anonyme de 22 ans qui a organisé l'apéro rennais.

Difficile de dire non à la jeunesse

La sociologue Monique Dagnaud, auteure de La Teuf. Essai sur le désordre des générations, n'est pas étonnée par le succès de ces apéros géants:

Cela colle parfaitement à la culture Facebook: rechercher à avoir le plus grand nombre d'amis ou à réunir le plus grand nombre de gens. Et puis c'est une manière pour la jeunesse de s'affirmer dans l'espace public. Les jeunes d'aujourd'hui votent peu et ne sont pas spécialement engagés dans des mouvements politiques, ils montrent qu'ils sont une force à travers ce genre de manifestations.

Si cette vogue des apéros géants se poursuit, Monique Dagnaud pense que les pouvoirs publics s'adapteront:

Certes, la population des centres villes n'apprécie pas du tout et ce sont de précieux électeurs. Mais il est difficile d'aller contre les mouvements de la jeunesse. La société adulte se sent redevable voire coupable du sort fait aux jeunes. Dans les sociétés contemporaines, il est difficile d'interdire, et encore plus quand il s'agit de la jeunesse. La tendance est plutôt d'encadrer. Les raves party sont maintenant complètement prises en charge par les pouvoirs publics.

La mine inquiète de Claire Chazal au sujet de l'apéro géant rennais est probablement la première d'une longue série. Après le reportage alarmiste «Internet, la cour de récré qui tue», diffusé lundi 29 mars en prime-time sur TF1, à quand le reportage paranoïaque «Internet rend vos enfants alcooliques»?

Vincent Glad

Monique Dagnaud est aussi contributrice à Slate.

Photo: La foule nantaise le 10 novembre 2009. Capture d'écran reportage Presse-Océan.

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