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Quand on songe aux séries qui auraient mérité un peu plus de temps à l'antenne, on pense à Enlightened, Dead Like Me, Firefly ou The OA. Enfin ça, c'est juste nous. Visiblement, il y en a qui pensent plutôt à Dexter, série de huit saisons dont la moitié (ou plus) sont généralement considérées comme mauvaises.
Dexter s'intéresse à un expert médico-légal qui, la nuit, se transforme en tueur en série… de tueurs en série. Diffusée entre 2006 et 2013, en plein boom de la figure de l'antihéros complexe, la série s'est finalement achevée en eau de boudin. Pourtant, le 14 octobre 2020, la chaîne Showtime a annoncé que Dexter reviendrait donc pour une saison inédite de dix épisodes, reprenant l'intrigue là où elle s'était terminée. Une décision aberrante.
Un concept déjà épuisé
Si les réactions à l'annonce du retour de Dexter à l'écran sont si négatives, c'est d'abord parce que la série est connue comme l'une des plus grosses débâcles de l'histoire télé. Ça avait pourtant bien commencé. Au fil de ses quatre premières saisons, Dexter était devenu le programme phare de la chaîne Showtime, aussi populaire auprès du public que de la critique.
Pur produit de l'ère des antihéros, la série puisait aussi dans la fascination morbide du public pour la violence. Les téléspectateurs et les téléspectatrices avaient aimé Tony Soprano, le parrain de la mafia en pleine crise existentielle? Ils allaient adorer Dexter Morgan, serial killer au code éthique strict qui ne s'attaque qu'à d'autres serial killers.
Niveau ambiguïté morale, on ne pouvait pas rêver mieux. Michael C. Hall parvenait à rendre Dexter à la fois menaçant et étrangement attachant, et les méchant·es étaient, il faut le dire, d'excellent·es méchant·es –du tueur au camion frigorifique de la saison 1 jusqu'au tueur de la Trinité, interprété par John Lithgow dans la saison 4.
Bande-annonce de la saison 4 de Dexter. | via YouTube
Mais un concept comme celui de Dexter, ça s'épuise vite. Après les quatre premières saisons, le showrunner Clyde Phillips cède sa place, et la série perd nettement en qualité. On commence à se demander d'où sortent tous ces serial killers qui peuplent Miami et à combien de relations toxiques Deb, la sœur de Dexter, peut survivre. Surtout, on se demande combien de fois Dexter peut échapper à la justice et jusqu'où la série est prête à aller pour excuser les actes de son antihéros.
Regarder la sixième saison de Dexter, c'est ressentir tout le désespoir des scénaristes qui tentent, envers et contre tout, de poursuivre une histoire qui aurait dû se conclure deux ans plus tôt. Dans un développement grotesque qui a révolté les fans de la série à l'époque (et pour révolter des fans qui regardent un psychopathe torturer et tuer ses victimes toutes les semaines, il faut le vouloir), on découvre ainsi que Deb, le personnage le plus maltraité de la série, est amoureuse de son frère. Si la série était une personne, ça aurait été le moment d'organiser une intervention, de la prendre à part et de lui dire «c'est bon, arrête tes conneries».
Au lieu de ça, Dexter a été renouvelée deux saisons de plus pour se conclure par un final qualifié comme le «pire de l'histoire de la télé» par nombre de fans et de critiques. Après tout ça, on a du mal à imaginer ce que Dexter a à dire de nouveau sept ans après son dernier épisode et alors que son concept a déjà été saigné à blanc.
D'ailleurs, on peut arrêter avec la fascination pour les serial killers?
L'autre concept usé et abusé par la pop culture (et par Dexter), c'est l'idée que les tueurs en série sont des personnages hautement dignes d'intérêt. Figure du mal par excellence dans l'imaginaire collectif, le serial killer attise les peurs et les fantasmes. Il n'y a qu'à faire un tour sur Netflix pour s'en rendre compte. Des dizaines de documentaires s'intéressent à eux, des plus connus, comme dans Ted Bundy: Autoportrait d'un tueur, qui donne directement la parole au serial killer américain, aux plus anonymes, regroupés dans des séries documentaires sensationnalistes comme Dans la tête des criminels.
Dexter offre une plongée dans la psyché de l'un d'entre eux: non seulement Dexter est le héros de la série, mais sa narration en voix off nous permet d'avoir accès à toutes ses pensées, ses fantasmes et ses pulsions dans chaque scène –processus d'ailleurs repris par la très douteuse série You.
Mieux encore, les fans peuvent enfin pénétrer dans l'esprit d'un·e psychopathe sans se sentir trop sales ou coupables, car Dexter est un gentil serial killer: il ne tue que des méchant·es, il a un code moral, et quand des innocent·es meurent des conséquences de ses actes, ce n'est jamais vraiment de sa faute.
Le problème, bien sûr, c'est que les gentils tueurs et tueuses en série, ça n'existe pas. Que Dexter a beau s'attaquer à des meurtrièr·es comme lui, les scènes de torture et d'exécution de la série n'en glorifient pas moins les meurtres et la violence. Sans parler de la question morale de se soustraire à la justice et d'enlever la vie pour punir –des interrogations qui auraient pu être passionnantes à explorer dans une série plus subtile, mais qui ne sont ici qu'effleurées.
Ce divertissement morbide n'est pas sans conséquence, et la série a inspiré plusieurs meurtres au fil des années. En 2012, un fan inspiré par le tueur fictif a démembré sa petite amie. En 2008, un autre, qui se présentait en ligne sous le pseudo de «Dexter Morgan» avait tué un homme en reproduisant le mode opératoire du personnage. Une série n'est pas responsable de la façon dont elle sera perçue par des fans désaxé·es. Mais Dexter participe à l'idée qu'un homme qui tue est un objet de fascination et une énigme à résoudre. Une pierre de plus dans le culte de la personnalité des serial killers dont on se passerait franchement à la télé.
Où sont les idées originales?
Ce qu'on aimerait surtout voir dans les séries, en fait, c'est un peu de fraîcheur. Le retour de Dexter n'est que le dernier d'une longue série de projets ressuscités à tort ou à raison par Hollywood. Certes, l'industrie du divertissement s'est toujours adonnée au recyclage, et certaines suites sont unanimement révérées (allô, Le Parrain 2). Mais il faut l'avouer, à la télé, les revivals sont rarement réussis.
Pour un Twin Peaks: The Return, sacré chef-d'œuvre de l'année 2017, combien de saisons désavouées et à moitié ratées de X-Files, Arrested Development, Veronica Mars ou Gilmore Girls? Cette dernière a connu une situation très similaire à Dexter: après des premières saisons très populaires, la série a changé de showrunner en cours de route et baissé en qualité, jusqu'à une fin regrettée par la créatrice elle-même. Ses quatre nouveaux épisodes, diffusés par Netflix dix ans après la conclusion originale, étaient censés rectifier cette trajectoire. Pourtant, loin du triomphe attendu, le résultat a été considéré, au mieux, comme anecdotique.
Le retour de Dexter, et la multiplication des revivals en tous genres, sont d'autant plus déprimants que les idées originales, elles, sont de moins en moins privilégiées par les chaînes. Il y a quelque chose de particulièrement déprimant à voir des séries qui ont fait leur temps remises sur le tapis, alors que certaines, novatrices dans leur forme et dans leur propos, aurait mérité de se poursuivre pour quelques saisons supplémentaires.
C'est le cas de GLOW, série Netflix sur un groupe mal assorti de catcheuses dans les années 1980, subitement condamnée après trois excellentes saisons sous prétexte que le tournage de la quatrième, déjà entamé, coûterait trop cher en pleine pandémie. C'était aussi le cas de The OA, ovni lunaire annulé par Netflix après deux saisons encensées par la critique et les fans.
Avec l'accent mis ces dernières années sur l'importance de la représentation et de l'inclusivité à l'écran, tout un pan de la fiction s'est ouvert aux scénaristes: il y a tant d'histoires de personnages marginalisés qui n'ont jamais été racontées. Mais plutôt que d'investir dans celles-ci, l'industrie semble déterminée à recycler celles que l'on connaît déjà par cœur.