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Aux États-Unis, la peur du communisme est encore aux frontières

Une note des services fédéraux de l'immigration diffusée le 2 octobre instaure une procédure destinée à identifier les candidat·es membres d'un parti communiste ou «totalitaire».

La policy alert PA-2020-16 semble être le reflet des tensions qui vont crescendo entre les États-Unis et la Chine. | Josh Johnson <a href="https://unsplash.com/photos/ALGRkWz3-yc">via Unsplash</a>
La policy alert PA-2020-16 semble être le reflet des tensions qui vont crescendo entre les États-Unis et la Chine. | Josh Johnson via Unsplash

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«Êtes-vous membre du Parti communiste?» Dans le documentaire d'Alexandra Pelosi, Citizen U.S.A., a 50 State Road Trip, consacré aux candidat·es à la naturalisation, cette question revient à plusieurs reprises. Si elle repose majoritairement sur la sincérité de l'intéressé·e, elle est un passage obligé pour toute personne candidate à l'immigration ou à la naturalisation.

C'est ainsi que le 2 octobre, l'US Citizenship and Immigration Services a émis une note destinée à ses services les informant de la mise en place d'une procédure destinée à traiter les questions d'inadmissibilité basée sur l'appartenance ou l'affiliation à une organisation communiste ou considérée comme totalitaire.

Si, politiquement, cette directive met l'accent sur les demandes d'immigration de personnes venant d'Asie (et plus particulièrement de Chine), elle ne demande aux agent·es de l'US CIS qu'une stricte application des dispositions législatives datant des années 1950.

Aucun bouleversement législatif

Les États-Unis ne ferment pas leur porte aux membres d'une quelconque organisation communiste. Elle est, d'un point de vue législatif, fermée depuis 1952. La Red Scare (peur rouge), dont on peut situer le début dans les années post-Haymarket Square, a donné lieu à quelques réponses législatives dont certaines sont toujours en vigueur aujourd'hui. Au lendemain de la révolution russe, l'Immigration Act de 1918 vient renforcer l'Immigration Act de 1903, ciblant prioritairement les anarchistes et les syndicalistes (notamment le syndicat Industrial Workers of the World, né en 1905). Les philosophes anarchistes Emma Goldman et Alexander Berkman seront ainsi expulsés en vertu des dispositions de la loi de 1918.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et dans un contexte d'expansion du communisme, le pays se dote en 1950 de l'Internal Security Act, une loi portée par le sénateur Démocrate et viscéralement anti-communiste Patrick McCarran: «Une loi pour protéger les États-Unis contre certaines activités non américaines et subversives en exigeant l'enregistrement des organisations communistes, et à d'autres fins.» C'est l'article 305 de cette loi qui vient mettre un terme à la naturalisation des immigrant·es membres ou affilié·es à une quelconque organisation communiste.

 

Cette disposition, toujours en vigueur, a été modifiée par l'article 212 de la loi McCarran-Walter de 1952 (encore portée par le sénateur du Nevada Patrick McCarran, accompagné cette fois par le sénateur Francis Walter de Pennsylvanie) pour y inclure l'expulsion et le refus d'entrée sur le territoire à toute personne membre d'une organisation communiste ou totalitaire. Bien qu'ayant fait l'objet d'un veto du président Truman le 25 juin 1952, le texte sera néanmoins adopté par la Chambre des représentants et le Sénat dans les deux jours qui suivirent grâce à un vote aux deux-tiers des deux chambres –condition nécessaire pour contrer un veto présidentiel.

Ainsi, les services fédéraux de la citoyenneté et de l'immigration se doivent d'appliquer ces dispositions depuis près de soixante-dix ans. La policy alert PA-2020-16 n'apparaît alors n'être que le reflet des tensions qui vont crescendo entre les États-Unis et la Chine.

Un contexte diplomatique tendu

Contacté, un porte-parole de l'US CIS confirme qu'il ne s'agit que d'un changement mineur au sein des procédures internes: «Le motif d'inadmissibilité en raison de l'appartenance ou de l'affiliation au parti communiste ou à tout autre parti totalitaire fait partie d'un ensemble plus large de lois adoptées par le Congrès pour faire face aux menaces à la sécurité des États-Unis. […] La mise à jour fournit un aperçu étape par étape de la détermination d'une interdiction de territoire, des conseils relatifs à la charge de la preuve, ainsi que les exceptions et dérogations applicables. L'US CIS ajoute ces informations au manuel des procédures internes pour aider les agents à rester en conformité avec la loi fédérale.»

La procédure en question présente en effet la démarche d'identification d'une inadmissibilité. Elle permet ainsi aux agent·es des services fédéraux de distinguer toute situation entraînant une inadmissibilité et celles entrant dans le cadre des exceptions prévues à l'origine dans l'Internal Security Act de 1950 (membre involontaire, membre avant l'âge de 16 ans ou encore membre pour des raisons impérieuses) ou des renonciations prévues par l'Immigration and Nationality Act de 1952 (la personne candidate et membre d'une organisation communiste n'est pas considérée comme un danger pour le pays). Ce droit de renonciation, discrétionnaire, est accordé au secrétaire à la sécurité intérieure.

Ainsi, si des organes de presse chinois comme le South China Morning Post ou le Hong Kong Free Press ont titré que «Les États-Unis ferment la porte de l'immigration aux communistes», il n'en est rien: cette porte est fermée depuis les années 1950 et il n'y a, à l'heure actuelle, aucun renforcement de la législation relative à l'immigration ou à l'accès à la citoyenneté.

En revanche, compte tenu du contexte diplomatique tendu entre Washington et Beijing, il paraît clair que les services fédéraux concernés semblent désormais beaucoup plus regardant sur l'obédience politique des candidatures à l'immigration. Près d'un siècle après la naissance du comité Overman (ancêtre du House Un-American Activities Committee, né en 1938) et près de soixante-dix ans après les auditions du sénateur Joseph McCarthy, les États-Unis paraissent renouer avec l'anti-communisme… Une caractéristique qui n'avait, pourtant, jamais disparue.

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