Culture

Les intellos américains, ce n'est plus ce que c'était...

Ayaan Hirsi Ali n'a pas reçu le même soutien que Salman Rushdie. Loin de là.

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Il fut un temps où les intellectuels publics engagés s'affrontaient sur le trotskisme et l'anarcho-syndicalisme, bataillaient pour déterminer qui avait trahi qui dans les rues sanglantes de Catalogne pendant la Guerre civile espagnole, et rejouaient ces luttes un peu plus tard dans les pages de la sauvage Revue du partisan. C'était le bon temps... Avec le recul, la grande solennité de ces luttes entre penseurs peut certes parfois paraître exagérée. (Rappelez-vous la blague de Woody Allen sur Commentary et Dissent, deux célèbres revues intellectuelles américaines, qui auraient fusionné pour former Dysentery - «Dysenterie».) Mais ces débats d'après-guerre entre les esprits les plus acérés se sont avérés fondateurs: ils ont amené sur le devant de la scène des questions de première importance sur l'avenir du totalitarisme et de la démocratie.

Le nouveau livre de Paul Berman, La Fuite des intellectuels, nous rappelle cette époque grisante. L'ouvrage, qui doit être publié au cours du printemps, va certainement déclencher une vive controverse chez les intellectuels, notamment parce qu'il explique que certains des plus célèbres d'entre eux -des gens qui se sont précipités pour défendre Salman Rushdie quand il a été menacé de mort pour un roman qui soi-disant blasphémait l'islam- ne parviennent pas à soutenir comme il le faudrait les dissidents musulmans d'aujourd'hui. Ayaan Hirsi Ali par exemple, cette écrivaine née en Somalie qui a renié l'islam et dont la vie est également menacée. Selon Paul Berman, cette défaillance, cette «fuite des intellectuels» est signe d'un abandon extrêmement grave des valeurs des Lumières face aux menaces récurrentes contre la liberté d'expression.

Colère, éloges, condamnations: le livre va certainement faire réagir dans la presse et sur Internet. Ce faisant, il nous rappellera que ces vieilles batailles d'idées de la Revue du partisan ont soulevé des questions qui, si elles ont évolué, demeurent toujours sans réponse. Y a-t-il un paradoxe au cœur même des valeurs des Lumières? Faut-il tolérer les intolérants? Doit-on mettre entre parenthèses les valeurs des Lumières face au multiculturalisme? Ou les valeurs du multiculturalisme se muent-elles parfois en un relativisme moral? L'une des questions-clés: la campagne d'Ayaan Hirsi Ali contre les mutilations génitales faites aux femmes fait-elle d'elle une «fondamentaliste éclairée» -une expression qui a été utilisée par ces intellectuels auxquels s'en prend Paul Berman et qui a fait du buzz. (Même si, en matière de buzz, mon expression préférée est celle que l'intellectuel français Pascal Bruckner a inventée pour décrire ceux qui se raillent d'Ayaan Hirsi Ali, il dit que c'est: «le racisme des anti-racistes».)

Une intelligensia si silencieuse

Sur ces questions, le nouveau livre de Paul Berman fait preuve d'autant d'attachement à la morale que son précédent opus, Les Habits neufs de la terreur. Quel sérieux! Il a un don pour percevoir et expliquer non seulement les idées les plus subtiles, mais aussi ces choses évidentes à propos desquelles tant de soi-disant intellectuels se voilent la face, avec leur manie de vouloir toujours tout complexifier pour faire leur intéressant. Je pense par exemple à cette critique qu'a faite Paul Berman du Complot contre l'Amérique de Philip Roth. Une critique longue et pleine de digressions (mais c'est ce qui faisait son intérêt), et qui avait le courage de dire ce que tant de critiques n'avaient pas trouvé les mots pour expliquer: que le livre de Philip Roth sur un candidat antisémite à l'élection présidentielle (Charles Lindbergh) parlait vraiment d'antisémitisme! (Ces intellectuels s'étaient empressés de nous dire que c'était en fait un livre sur Bush. Et ce, même si Philip Roth lui-même avait démenti. Ils savaient mieux que lui, bien sûr.)

Quoi qu'il en soit, Paul Berman n'y va pas de main morte quand il décrit la manière dont les intellectuels d'aujourd'hui réagissent au sort d'Ayaan Hirsi Ali. Je devrais dire certains intellectuels, parce qu'il s'en prend surtout à deux écrivains très respectés, Ian Buruma et Timothy Garton Ash, pour la façon agressive et insidieuse dont ils ont mis en pièces Ayaan Hirsi Ali alors qu'elle était menacée de mort (et elle l'est toujours). Mais ce qui est presque plus scandaleux encore, c'est le quasi silence du reste de l'intelligentsia face à ces menaces de mort. (A l'exception de mon collègue de Slate.com Christopher Hitchens.)

Souvenez-vous, Salman Rushdie

Ayaan Hirsi Ali, qui a expliqué en 2007 dans son livre Infidel (Ma vie rebelle en français) pourquoi elle a tourné le dos à l'islam, a été forcée de quitter son asile néerlandais après des menaces de mort qui l'avaient suivie depuis la Somalie, et à la suite du meurtre de son ami le réalisateur néerlandais Théo van Gogh. Le corps lacéré de ce dernier a été retrouvé accompagné d'une note disant qu'Ayaan Hirsi Ali serait la prochaine à mourir.

Dans La Fuite des intellectuels, Paul Berman oppose la façon dont les intellectuels ont traité Ayaan Hirsi Ali -la soutenant en apparence, mais avec condescendance et dédain, et la critiquant à tout-va lors de leurs réunions entre pairs- et la manière dont ils se sont ouvertement ralliés à Salman Rushdie en 1989 lors de la fatwa contre les Versets sataniques.

C'est ainsi que Ian Buruma tire à boulets rouges sur «son attitude, son style», se moque de ce qu'il interprète comme un mouvement snob de sa main dans un clip télé, et la traite d'«hautaine» (le fameux «racisme des anti-racistes»). Comme le résume Paul Berman, «la Ayaan Hirsi Ali dont Ian Buruma brosse le portrait» dans son livre Meurtre à Amsterdam est «animée par des idées simplistes» qui manquent cruellement de sophistication, bien sûr. «Elle est zélée, elle fanfaronne, (...) elle est arrogante, aristocratique», poursuit-il. Elle n'a pas sa place dans la bande d'Ian Buruma. Et Timothy Garton Ash nous explique, à peine machiste, que si Ayaan Hirsi Ali «avait été petite, trapue et qu'elle louchait, son histoire et ses idées n'auraient pas retenu autant l'attention». (Remarquez ce ton méprisant et pédant qu'il emploie -le sexisme des anti-racistes.)

C'est presque comme si quelqu'un qui soutenait à l'époque Salman Rushdie avait dit quelque chose du style: «Certes, je suis contre l'idée que sa vie soit menacée, mais j'en ai assez de ses histoires de réalisme magique, et puis il avait l'air arrogant quand je l'ai vu la dernière fois à la télé.» Ou: «Après tout, il s'est peut-être montré trop méprisant envers la culture de ceux qui veulent sa peau.»

La confusion

Les détracteurs d'Ayaan Hisrsi Ali estiment qu'elle est l'archétype de l'obéissance aveugle aux valeurs tolérantes et libertaires des Lumières, que c'est une «fondamentaliste des Lumières». Elle serait en quelque sorte le pendant moral d'un fondamentaliste islamique qui soutient les attentats-suicide. Probablement parce qu'elle ne tolère pas une tolérance qui tue, estropie et enchaîne les femmes. C'est Ian Buruma qui a inventé l'oxymore «fondamentalisme des Lumières». Il a ensuite été repris par Timothy Garton Ash. Ce dernier a tout de même fini par s'excuser publiquement d'avoir utilisé cette expression pour parler d'Ayaan Hirsi Ali lors d'un débat à Londres, mais il ne semblait pas totalement sincère.

Excuses ou pas, Paul Berman pense que cette expression reflète une erreur de compréhension fondamentale de certains intellectuels occidentaux. Même si «les Lumières constituent l'une des plus grandes réussites de la civilisation occidentale», ces intellectuels «en sont venus à les considérer comme un simple paquet de préjugés anthropologiques», ils en sont arrivés par exemple à penser que la liberté d'expression n'est qu'une idée occidentale.

Ce qui le mène au point culminant de sa critique: «Ian Buruma et Timothy Garton Ash ne savent plus faire la plus élémentaire des distinctions, ils ne savent plus faire la différence entre un meurtrier fanatique et une oratrice rationnelle» comme Ayaan Hirsi Ali.

Je dois préciser que je ne suis pas neutre quand je parle de ce livre. Ne considérez pas ce que je raconte comme une critique de l'ouvrage, mais comme un avant-goût d'un feu d'artifice en gestation. Gardez en tête que je ne suis pas un observateur neutre, mais quelqu'un qui côtoie Paul Berman en public et en privé depuis des années et qui se réjouit que sa colère contre «la fuite des intellectuels» l'ait poussé à transformer un article de 28.000 mots en livre. Je suis en effet tombé sur Paul peu après la publication du petit article en question, alors intitulé Qui a peur de Tariq Ramadan?. Quand il m'a dit qu'il était en train d'en faire un livre, je lui ai répondu, d'une façon un peu présomptueuse mais sincère, qu'il avait, dans l'article, gardé le meilleur pour la fin au lieu de commencer par l'essentiel.

Dans la majeure partie de l'article d'origine, il s'attachait à mettre à jour, d'une façon quasi-interminable, les véritables idées de l'énigmatique Tariq Ramadan. Cet érudit et porte-parole islamique, né en Suisse, est devenu une sorte de test de Rorschach pour les intellectuels occidentaux. Certains l'identifient à une forme modérée et moderne de l'islam.

L'article de Paul Berman cherche à montrer que les idées de Tariq Ramadan sont en réalité plus complexes que ça, il met en avant la multitude de connexions discrètes qu'il a avec des fondamentalistes islamiques de la mouvance de son grand-père Hassan al-Banna, fondateur des fanatiques Frères musulmans.

J'ai trouvé cet aspect de l'article véritablement captivant, je lui ai dit. C'est comme un thriller intellectuel, avec Berman dans le rôle de l'inspecteur qui cherche des indices dans les écrits et les idées de Tariq Ramadan. Mais je pense qu'il aurait dû commencer son article par la dernière partie, celle où il parle de Timothy Garton Ash, d'Ian Buruma et de la fuite des intellectuels.

Il n'a pas pris en compte ma suggestion de revoir la structure du livre. Mais il l'a titré en fonction de ce dernier chapitre: La fuite des intellectuels.

Tariq Ramadan est une figure importante et il a récemment fait l'objet d'une controverse internationale. Le Département d'Etat a voulu lui refuser un visa, officiellement parce qu'il avait donné de l'argent à une organisation caritative qui avait transféré des fonds au Hamas dix ans auparavant. Mais l'interdiction a été levée (et je pense que ce type d'interdiction devrait toujours l'être) il y a deux mois, il y a donc des chances que l'on entende à nouveau parler de lui. (Jacob Weisberg de Slate.com va d'ailleurs animer à New York ce jeudi 8 avril un débat auquel participera Tariq Ramadan.)

Avant de parler davantage de Tariq Ramadan, je dois préciser que je ne suis pas sûr d'être d'accord avec le portrait sinistre qu'en dresse Paul Berman. Celui-ci pense que l'image que Tariq Ramadan veut se donner, celle d'un islamiste modéré qui pense que l'islam peut coexister avec les valeurs occidentales en Europe, n'est qu'un masque. Ce déguisement dissimule selon lui une loyauté sans faille au fanatisme de son grand-père. Je ne suis pas certain que Paul Berman puisse vraiment faire la lumière sur les idées de Tariq Ramadan. (C'est certainement un personnage contradictoire.)

Je dois aussi vous avouer que j'ai moi-même donné une fois de l'argent à Tariq Ramadan. Il s'agissait d'un petit montant à trois chiffres versé à son éditeur, la Presse universitaire d'Oxford, pour pouvoir reprendre un extrait de l'un de ses livres dans un recueil sur l'antisémitisme contemporain que j'ai édité, Ceux qui oublient le passé.

Je voulais faire entendre dans le recueil une voix islamique et Tariq Ramadan était l'un des rares intellectuels islamiques à avoir publiquement renié l'antisémitisme -mais pas les antisémites, comme Paul Berman le souligne à souhait. Dans l'extrait que j'ai publié, Tariq Ramadan exprime son désir de partager le monde avec d'autres croyances: ça ne fait pas de mal de propager ce message, même si Paul Berman est persuadé que Tariq Ramadan n'est pas sincère. Certains peuvent prendre ce qu'il dit pour argent comptant, ce n'était donc à mon avis pas une erreur de republier son texte.

Dans l'article d'origine comme dans le livre, Paul Berman dissèque à la fois le désir de Tariq Ramadan d'être la voix de la modération et l'attrait qu'il exerce sur les intellectuels occidentaux. Pour ces derniers, explique Paul Berman, Tariq Ramadan est la solution à un problème. Ses idées leur permettent de croire que les valeurs des Lumières peuvent coexister avec un multiculturalisme au sein duquel l'islam serait capable de condamner des pratiques comme les meurtres d'honneur de femmes.

Exemple parfait de la nature problématique de la modération de Tariq Ramadan: il appelle, dans les sociétés islamiques, à un moratoire sur la lapidation à mort des femmes pour des questions d'honneur. Le fait qu'il ait demandé un moratoire a été accueilli par les intellectuels occidentaux, surtout européens, comme un signe réconfortant. Il a rassuré ceux qui se préoccupent des droits des femmes dans les communautés musulmanes toujours plus importantes des pays occidentaux.

Tariq Ramadan, «messie» des intellectuels

Qu'il ait appelé à un «débat» sur la question avec les érudits et les théologiens islamiques pendant la durée du moratoire, plutôt que de condamner ouvertement la pratique ou d'appeler à son interdiction complète, ne rassure toutefois pas complètement tout le monde.

Tariq Ramadan est un peu vu comme le messie, estime Paul Berman. Il est furieux que les intellectuels n'aient pas conscience de ce qu'il pense être son véritable objectif: permettre l'essor d'un islam politique anti-Lumières, dissimulé derrière une modernisation de façade. Ce qui l'a le plus énervé, c'est quand Ian Buruma l'a qualifié, dans un portrait admiratif écrit pour le New York Times Magazine, de pont vers une modernité euro-islamique. Je pense que Paul Berman croit que l'article a eu pour effet de blanchir Tariq Ramadan, et que c'était peut-être même l'objectif -mais c'est encore une fois quelque chose de subjectif.

Ian Buruma a-t-il délibérément minimisé dans l'article les connexions entre Tariq Ramadan et les supposés sympathisants des terroristes? Ou était-il vraiment convaincu de la nécessité de prendre au sérieux les tendances modernistes du bonhomme, même de manière purement opportuniste? Si, dans l'Occident non-musulman, nous ne prenons en compte chez lui que son côté ostensiblement réformiste et le fait qu'il n'est pas clairement décidé sur le plan dogmatique, cet aspect de lui s'en trouvera renforcé. Paul Berman pense au contraire que les idées de Tariq Ramadan sont clairement définies mais qu'il a deux visages, que c'est un loup déguisé en mouton et qu'il s'est servi de Ian Buruma.

Mais c'est la dernière partie du livre de Paul Berman -notamment le chapitre 9, celui qui a donné son titre au livre, La fuite des intellectuels- qui marquera l'histoire d'une question au cœur de nombreux débats: la question de savoir si les islamistes peuvent s'intégrer dans le pluralisme de nos sociétés occidentales.

La peur de critiquer

Par «fuite des intellectuels», Paul Berman entend fuite par rapport aux valeurs qu'ils ont épousées quand ils ont pris la défense de Salman Rushdie en 1989, et la manière dont ils ont, plus récemment, démonté Ayaan Hirsi Ali sans en avoir l'air. Est-ce simplement parce qu'elle ne fait pas partie de leur bande? Paul Berman explique qu'il s'agit en fait d'un cocktail de culpabilité et de supériorité coloniales: les intellectuels occidentaux ont peur de critiquer ouvertement les autres cultures, ce qu'Ayaan Hirsi Ali fait d'une manière plus directe que ne le faisait Salman Rushdie dans ses pérégrinations littéraires.

Mais je pense qu'une autre peur joue ici. Qu'est-ce qui explique la différence entre la défense chaleureuse de Salman Rushdie et la réponse froide qu'a reçue Ayaan Hirsi Ali? Paul Berman a beau le nier, je crois qu'il y a quelque chose de sous-jacent dans sa critique de ceux qui pinaillent sur Ayaan Hirsi Ali: le fait que deux décennies après l'affaire Salman Rushdie, s'exposer aux menaces de mort des islamistes demande plus de courage physique que les intellectuels ne veulent en montrer. Ils préfèrent se cacher derrière des critiques un peu molles, pour éviter le danger.

Mais les menaces de mort, les tentatives de meurtre et les assassinats réussis de dissidents de l'islam sont désormais monnaie courante dans le paysage intellectuel européen. Les passages les plus choquants et les plus marquants du livre de Paul Berman sont ceux dans lesquels il raconte, d'un air détaché, ses rencontres avec des personnalités harcelées et pourchassées pour avoir offensé tel ou tel mollah radical. Une des parties les plus marquantes du livre, c'est quand il fait la liste de ces dissidents -islamiques ou non- qui sont menacés de mort et pourraient avoir à vivre 24 heures sur 24 jusqu'à la fin de leur vie avec un garde du corps à cause de ces menaces.

Pour Théo van Gogh, se rapprocher d'Ayaan Hirsi Ali a été fatal. Les caricaturistes danois sont toujours menacés de mort, rapporte Paul Berman. Ibn Warraq (c'est le pseudonyme d'un autre apostat) lit sur Internet les menaces de mort énoncées à son encontre. Bassam Tibi, qui, comme l'explique Paul Berman, «a le premier qualifié l'islamisme de totalitarisme moderne et a inventé le concept d'euro-islam, a passé deux ans sous protection policière 24 heures sur 24 en Allemagne».

Le journaliste italien d'origine égyptienne Magdi Allam ne voyageait pas sans ses cinq gardes du corps. (...) La journaliste italienne Fiamma Nirenstein était accompagnée de son propre garde du corps. (...) En France, Caroline Fourest, l'auteure de la première critique et la plus importante de Tariq Ramadan, a dû bénéficier d'une protection policière. (...) Le professeur d'histoire français Robert Redeker a dû se cacher. En 2008, la police belge a démantelé un groupe terroriste qui s'apprêtait à assassiner entre autres Bernard Henri Levy.

Paul Berman a passé une soirée à New York avec Flemming Rose, le rédacteur en chef des pages culture du journal danois Jyllands-Posten: «Il était en visite à New York simplement parce qu'à ce moment-là, c'était trop dangereux pour lui de rester au Danemark.»

Et la liste continue. Kurt Westergaard, Boualem Sansal. C'est scandaleux, cette accumulation -ça le serait aussi d'ailleurs s'il n'y avait qu'un nom sur la liste. C'est scandaleux aussi que les intellectuels qui trouvent du temps pour mépriser Ayaan Hirsi Ali nous parlent si rarement de la terreur que vivent ces écrivains et ces artistes. Les menaces de mort ont abouti à une censure théologique sur le continent européen, tout le monde estimant qu'il est plus sage de garder le silence sur cette question. Mais pour moi, écrire tout cela, c'est rendre un service.

L'irrévérence dans le discours, précieuse en Europe depuis l'époque de Chaucer et Rabelais, semble désormais menacée de disparition, voire carrément bâillonnée. Les héritiers de cette tradition intellectuelle sont bien trop terrorisés pour parler de ce silence. Le livre de Paul Berman va peut-être déclencher un débat chez les intellectuels. Certains de ceux qui gardaient jusqu'ici le silence vont peut-être se mettre à dénoncer les escadrons de la mort plutôt que de mépriser les victimes et les cibles.

Par Ron Rosenbaum

Traduit par Aurélie Blondel

Photo: Ayaan Hirsi Ali en février 2008 à Paris. REUTERS/Gonzalo Fuentes

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