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Augusta, les gardiens du temple golfique

Tradition, tradition et tradition sur le parcours de légende qui verra le retour de Tiger Woods.

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Jusqu'à dimanche, l'amateur de golf ne sera là pour personne, ou presque. Pendant quatre jours, du 8 au 11 avril, son cœur ne battra plus, en effet, qu'au rythme des coups frappés à l'Augusta National Golf Club qui accueille, à Augusta, dans l'état de Géorgie, le Masters, premier des quatre tournois du Grand Chelem de l'année. Premier par ordre chronologique avant l'US Open (17-20 juin), le British Open (15-18 juillet) et le PGA Championship (12-15 août). Premier par ordre d'importance, au moins pour les Américains, ce qui fait déjà beaucoup dans le monde du golf.

Seul tournoi majeur à se dérouler chaque année sur le même parcours, le Masters est, cerise sur ce très beau gâteau, le cadre du retour à la compétition de Tiger Woods. Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle le passionné sera rivé devant son écran, même si en France, parent pauvre du golf qui n'a jamais accès aux chaînes non payantes, il doit être abonné à Canal + Sport (et donc avoir les moyens) pour pouvoir ne rien rater en direct. Car le Masters est plus grand que Tiger Woods, vainqueur à quatre reprises à Augusta. Le tournoi est tellement monumental qu'il peut même imposer son diktat à la télévision américaine.

La chaîne CBS, diffuseur de l'épreuve depuis 1956, dut attendre, par exemple, 2002 pour pouvoir filmer en direct les premiers trous du parcours jusque-là totalement interdits d'antenne par la direction du club. Quant aux droits, ils sont, fait exceptionnel dans l'univers télévisuel, renégociés année après année et de surcroît pour une somme raisonnable, mais tenue secrète, alors que les organisateurs pourraient en exiger bien davantage.

C'est leur manière, originale, de garder le contrôle de leur formidable épreuve quitte, parfois, à exiger et à obtenir la tête de commentateurs ayant «fauté» à leurs yeux comme nous le racontions récemment.

Ce qui fait la grandeur du Masters? La magie liée à la beauté de l'endroit, sorte de bonbonnière végétale et florale. Et, bien sûr, le parcours, magistral, et le poids, écrasant, des traditions.

Un parcours diabolique

D'une longueur de 6 807 mètres, le parcours est un par 72 (c'est-à-dire qu'il doit être idéalement bouclé en 72 coups). Le record est détenu par Tiger Woods qui, en 1997, lors de son premier succès, avait joué un total de 270 coups sur quatre jours, soit 18 sous le par.

L'Augusta National a ouvert ses portes en décembre 1932 à l'initiative de Clifford Roberts, qui s'y est suicidé par arme à feu en 1977, et de Bobby Jones, le célèbre joueur américain qui dessina le tracé en compagnie de l'architecte Alister MacKenzie. Lors de sa première édition, en 1934, le tournoi ne s'appela pas Masters, mais Augusta National Invitation Tournament. C'est en 1940 seulement que le mot Masters fut adopté.

Les 18 trous ont la particularité d'être mis au repos, et donc interdits aux membres du club, la moitié de l'année afin d'être bichonnés dans l'optique du Masters. Ils ont l'originalité de tous porter le nom d'un arbre. Cela va du «Tea Olive» pour le N.1 au «Holly» pour le N.18 en passant par le «Carolina Cherry» pour le 9 ou le «Redbud» pour le 16. Car le parcours recense plus de 350 variétés de fleurs et d'arbres. Parmi les 80.000 spécimens dispersés sur le site, quelques-uns ont fait la légende de l'Augusta National, une ancienne floralie avant que ne soit bâti le golf. Il y a le célèbre grand chêne, âgé de 150 ans, près du club-house. C'est abrités sous ses branches que les journalistes du monde entier recueillent les impressions des joueurs.

L'Arbre d'Eisenhower, un majestueux pin centenaire localisé sur la partie gauche du fairway du trou N.17, est l'un des autres musts de l'endroit. Il a été ainsi baptisé parce que Dwight Eisenhower, l'ancien président des Etats-Unis et membre du club, avait pris l'habitude de s'y égarer systématiquement au point qu'il en demanda même l'abattage — poliment refusé.

Les fairways, étroits, et les greens, diaboliques, sont la marque de «fabrique» d'Augusta et du Masters, premier tournoi au monde à installer, rappelons-le, des cordes afin de canaliser le public et de permettre, en quelque sorte, aux joueurs et à leurs caddies de pouvoir s'isoler. Pour évaluer l'énormité du défi lancé à tous les compétiteurs par les pentes et la vitesse des greens, il est recommandé de regarder, et d'admirer, le fabuleux coup exécuté par Tiger Woods en 2005 sur le trou n°16.

Une séquence de trous — les 11, 12 et 13 — participe aussi à la réputation du parcours sous le sobriquet d'Amen Corner.  Ce surnom fut la trouvaille, en 1958, de Herbert Warren Wind, journaliste au magazine Sports Illustrated. Il cherchait une formule pour sanctuariser le lieu où s'était jouée, cette année-là, la victoire d'Arnold Palmer. L'Amen Corner, qui ne comprend pas la totalité des trous 11, 12 et 13 (il commence au 2e coup du 11 et se termine après le 1er coup du 13), est le coin de le plus reculé du parcours par rapport au club-house et doit son nom à un vieux titre de jazz, Shouting at Amen Corner, standard à la connotation religieuse.

C'est à l'Amen Corner que, souvent, se dessinent les victoires ou les défaites. Le trou N.12, petit par 3 de 141m protégé par un obstacle d'eau, en est le joyau et est jugé, par beaucoup, comme le trou le plus difficile d'Augusta en raison du vent tourbillonnant qui le traverse. En 1980, l'Américain Tom Weiskopf, pourtant vainqueur du British Open en 1973 et quatre fois 2e de ce même Masters, eut besoin de 13 coups pour faire entrer sa balle dans le trou (au lieu de trois en principe).

Le poids des traditions

Comme pour le tournoi de tennis de Wimbledon, le Masters a su conserver ses traditions à travers le temps. La veste verte en est l'un des symboles les plus éclatants. Chaque année, le vainqueur se voit remettre, comme seul trophée, une veste verte aux couleurs du club par le champion de l'année précédente qui l'aide à l'enfiler. Sinon, chaque tenant du titre est tenu, douze mois plus tard, d'organiser le dîner des champions en ouverture du tournoi, généralement le mardi. Ce rituel a été installé en 1952 par Ben Hogan qui décida d'inviter tous les anciens vainqueurs à partager un repas avec lui. Cette année, c'était donc au tour de l'Argentin Angel Cabrera, couronné en 2009, de composer le menu qu'il a essentiellement agrémenté de viandes issues de son pays.

Parmi les autres us et coutumes d'Augusta, le concours de par 3 figure en bonne place. Chaque mercredi, avant le début du tournoi le jeudi, les champions rivalisent lors d'une mini compétition organisée sur le 9 trous compact d'Augusta avec une originalité: les caddies sont, la plupart du temps, les enfants des joueurs en question. Depuis qu'il a eu lieu pour la première fois en 1960, ce tournoi n'a jamais été gagné par le vainqueur du Masters la même semaine.

Le rêve de tout golfeur est, bien sûr, de jouer un jour à Augusta. Sauf à avoir ses entrées au club par la grâce de relations avec des membres ou à être un journaliste accrédité lors du Masters et tiré au sort pour jouer le lendemain du tournoi (privilège accordé une seule fois), il relève de l'impossible. Comme il est presque inimaginable aussi d'espérer s'octroyer un ticket d'entrée pour le Masters à cause du système mis en place. Les spectateurs sont, en effet,... «accrédités» et badgés! Et il y en a 30.000 comme cela appelés «patrons».

Pas de vente via le Net

Ces 30.000 personnes sont les seules admises à pouvoir accéder, chaque jour, dans l'enceinte du tournoi, sachant que la liste de ces spectateurs est arrêtée depuis... 1972! La liste d'attente fut elle-même refermée en 1978 car le délai d'attente était alors estimé à... 50 ans! Elle a été brièvement rouverte en 2000. Depuis 2008, chaque «patron» peut être néanmoins accompagné d'un enfant de 8 à 16 ans qui bénéficie d'un accès gratuit.

On précisera également que le tournoi ne commercialise aucun de ses produits (casquettes, tee-shirts...) par Internet et que l'immense magasin de souvenirs, sur place, est donc l'unique moyen de s'en procurer. C'est ce qui s'appelle rester maître chez soi.

Yannick Cochennec

Si vous voulez lire plus d'article de Yannick Cochennec sur Tiger Woods, cliquez sur ce lien. Nous nous conseillons «Le golf a besoin du retour de Woods sur les greens» et «Woods de retour chez les sexistes».

Photo: Tiger Woods au Masters d'Augusta en 2006, REUTERS/Robert Galbraith

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