Politique

Et si le «tsunami» vert des municipales n'en était pas un?

Une étude de la Fondation pour l'innovation politique passée inaperçue met en évidence la fragilité du résultat des écologistes.

Le nouveau maire (EELV) de Bordeaux Pierre Hurmic entouré des membres du conseil municipal le 3 juillet 2020 à Bordeaux. | Mehdi Fedouach / AFP
Le nouveau maire (EELV) de Bordeaux Pierre Hurmic entouré des membres du conseil municipal le 3 juillet 2020 à Bordeaux. | Mehdi Fedouach / AFP

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L'étude était passée inaperçue lors de sa publication, en juillet dernier. Elle tombait mal au moment des vacances car les Français·es avaient plutôt la tête ailleurs pour oublier le confinement récent. Et puis cette analyse n'était pas dans l'air du temps médiatique post-municipal... unanimiste. Dès avant le scrutin, en janvier, le ton avait déjà été donné via des enquêtes d'opinion: les écologistes remporteraient haut la main le scrutin.

Après cette consultation à rallonge, nombre de médias et d'observateurs avaient décrété que le second tour des élections, très éloigné du premier dans le temps (28 juin et 15 mars 2020), était une réussite «spectaculaire» ou «éclatante» des écologistes qui ne se discutait pas: la vague verte était là, il était donc inutile d'examiner plus avant dans le détail les tenants et les aboutissants de ce «tsunami» d'Europe Écologie-Les Verts (EELV).

Six villes de plus de 100.000 habitants pour les écolos

Il est vrai que EELV venait d'enlever six grandes villes de plus de 100.000 habitant·es qui sont, par ordre décroissant, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Tours et Besançon, en étant chef de file de la liste gagnante. Le cas de Marseille est un peu particulier car les Verts locaux avaient fait le choix d'une liste autonome en octobre 2019, en refusant de s'associer au Printemps marseillais, regroupement citoyen de mouvements et de partis de gauche.

Conseillère départementale (EELV) des Bouches-du-Rhône, Michèle Rubirola –la future maire de la cité phocéenne–, favorable à cette alliance d'union de la gauche, avait été mise en minorité... et en marge de son parti. Cheffe de file du Printemps marseillais, elle avait gagné son pari au premier tour, provoquant le ralliement de ses camarades écologistes à sa cause pour le second. Donc, Marseille n'est pas à proprement parler une ville enlevée en première intention, comme on dit au football, par EELV.

Avec la gauche dans douze autres villes sans être tête de liste

À côté de ces six grandes villes, les écologistes avaient conduit une liste indépendante ou une coalition au premier tour dans douze autres métropoles de plus de 100.000 habitant·es (Annecy, Brest, Le Mans, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Paris, Rennes, Rouen, Saint-Étienne et Villeurbanne) avant de rejoindre une coalition de gauche sans en être à la tête. À l'exception de Saint-Étienne, toutes ces coalitions l'avaient emporté au second tour.

Enfin, EELV avait intégré une coalition de gauche dès le premier tour dans sept villes de la même catégorie (Amiens, Argenteuil, Clermont-Ferrand, Nice, Nîmes, Saint-Denis dans le 93 et Saint-Paul à La Réunion). Ces listes ont connu des fortunes diverses: trois ont été élues et quatre ont été battues.

Des maires qui reflètent la petite bourgeoisie urbaine

L'étude dont il est question ici a été réalisée par la Fondation pour l'innovation politique, un think tank libéral et européen placé sous la direction de Dominique Reynié, politologue, professeur des universités et éphémère conseiller régional centriste (UDI) d'Occitanie en 2016. Elle se penche sur les résultats aux municipales, plus particulièrement ceux des écologistes, dans les quarante-et-une villes de plus de 100.000 habitant·es pour en tirer la conclusion qu'il n'y a pas eu de «vague verte», «même dans la France des métropoles».

Les personnes à l'origine de cette étude ont privilégié ces villes car ce sont elles qui concentrent le mieux les variations électorales des écologistes entre 2014 et 2020.

Jamais la participation n'avait été aussi faible depuis les premières élections municipales de la Ve République.
 

Un choix chiffré que corrobore le politologue Jérôme Sainte-Marie dans une autre analyse, en affirmant que «les maires écologistes sont le reflet de la petite bourgeoisie urbaine». Et il ajoute que «le vote écologiste a cependant ceci de spécifique qu'il constitue une tentative d'échapper à l'affrontement social bloc contre bloc».

La première observation que met en évidence l'étude est le niveau record de l'abstention que «le commentaire public n'a fait qu'effleurer» selon les auteurs et autrices, au profit de la thèse d'un «triomphe du vote écologiste». Or, jamais la participation n'avait été aussi faible depuis les premières élections municipales de la Ve République, en 1959, tant au premier qu'au second tour. Étant entendu que ce scrutin, avec l'élection présidentielle, est la consultation préférée des Français·es.

Une abstention record

En 2020, cette abstention a atteint 55,34% au premier tour et 58,40% au second. Par comparaison, aux municipales de 2014, elle était respectivement de 36,45% (1er tour) et 37,87% (2e tour), soit inférieure de vingt points dans les deux cas. Pour mémoire, l'abstention en 1959 était de 25,20% (1er tour) et 26,10% (2e tour). Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'avec un taux d'abstention aussi élevé l'interprétation des résultats électoraux devient compliquée, sinon périlleuse.

Ce simple constat rend nécessaire une analyse non plus seulement en fonction des suffrages exprimés mais également au regard des électeurs et électrices inscrites, soutient l'étude. Ainsi, entre 2014 et 2020, en fonction de cette donnée dans les quarante-et-une villes retenues, «le bloc des gauches recule de 7,2 points au premier tour (passant de 23,89% à 17,72%) et de 8 points au second tour (de 25,60% à 17,59%)».

«Mais le bloc des droites subit un recul plus sévère encore, poursuit-elle, en chutant de 14,7 points au premier tour (passant de 27,17% en 2014 à 12,45% en 2020) et de 16,2 points au second tour (de 28,63% à 12,39%).» Au regard de tous ces pourcentages, les communiqués de victoire de la gauche et de la droite au lendemain du second tour des municipales sont à prendre avec des pincettes tant ils semblent hors sol.

La crise sanitaire n'explique pas seule la participation

En 2017, la gauche et l'extrême gauche avaient pilonné en chœur pendant des mois sur le thème de la légitimité d'Emmanuel Macron –en l'occurrence son «absence de légitimité»– au vu de la participation à l'élection présidentielle. Elles ne s'y sont du reste pas trompées en restant étrangement discrètes au sujet des maires écologistes en 2020. Il est vrai qu'en 2017 l'abstention avait ateint 22,23% au premier tour et 25,44% au second. Si l'on tient à se lancer dans des comparaisons de légitimité, la question est vite réglée.

La faible participation de 2020 s'explique largement par le contexte de crise sanitaire due à l'épidémie de Covid-19 et par la mobilisation modérée de l'électorat face à une offre politique qu'il peut juger insatisfaisante.

L'effondrement du civisme électoral va-t-il se poursuivre?

D'autant que, à la veille du premier tour, le président et le Premier ministre avaient incité les citoyen·nes à ne pas sortir. Le second tour étant tellement déconnecté du précédent il coulait de source que le fiasco participatif allait se reproduire à l'identique.

En dépit de ces paramètres négatifs, le «contexte politique et médiatique [était] très favorable au vote écologiste», assure l'étude. Celle-ci souligne la persistance depuis 2017 de l'effondrement des deux grands partis de gouvernement, le Parti socialiste et Les Républicains. Cette chute devait profiter aux écolos en leur ouvrant une brèche, d'autant plus que La République en marche (LREM) était confrontée à l'exercice du pouvoir, que le Rassemblement national (RN, ex-FN) présentait moins de listes qu'en 2014 et que La France insoumise (LFI) avait globalement fait l'impasse sur les municipales.

Le civisme électoral en déroute

À cette aune, l'analyse de la Fondation pour l'innovation politique avance l'idée, en creux, que les résultats obtenus par les écologistes (incontestablement en hausse en matière de grandes villes détenues) ne sont peut-être pas à la hauteur de leurs espérances ou des rêves que le parti nourrissait en secret. Et qu'ils s'avèrent en tout cas bien plus faibles que le «tsunami» qu'on a bien voulu présenter ici ou là. «La poussée de EELV est aussi le résultat d'un simple déplacement des forces à l'intérieur de la gauche», écrivent les auteurs et autrices. Souvent au détriment du PS, voire de LFI, dont les électorats sont plus attirés par un vote alternatif que celui de LR.

Au-delà du fait de savoir si EELV a fait ou non une razzia sur les municipales, analyse à chaud qui ne correspondait pas vraiment à la réalité électorale; au-delà du rééquilibrage politique qui s'effectue au sein des gauches au détriment du PS, semble-t-il; au-delà du recul manifeste de la droite par rapport aux municipales de 2014 dans la France des métropoles, tant en pourcentage des suffrages exprimés qu'en pourcentage des électeurs et électrices inscrites; au-delà de la faiblesse de l'assise locale de l'extrême droite qui n'a pas forcément de rapport avec son assise nationale, une question cruciale se pose pour l'avenir: l'effondrement du civisme électoral, mis en évidence ici, va-t-il se poursuivre?

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