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Sans le Covid-19, il n'y aurait pas eu tous ces records sur le Tour de France

Certains des meilleurs grimpeurs de cette édition ont battu des records d'ascension qui avaient été établis par des coureurs dopés dans les années 2000.

Tadej Pogacar, Mikel Landa, Egan Bernal et Primoz Roglic lors de la neuvième étape du Tour de France entre Pau et Laruns, le 6 septembre 2020. | Kenzo Tribouillard / AFP
Tadej Pogacar, Mikel Landa, Egan Bernal et Primoz Roglic lors de la neuvième étape du Tour de France entre Pau et Laruns, le 6 septembre 2020. | Kenzo Tribouillard / AFP

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Quelques bourrelets sont apparus sur votre ventre et vous aviez le souffle court en grimpant les escaliers de votre immeuble après avoir passé plus de temps que d'ordinaire à grignoter des sucreries sur votre canapé pendant le confinement? Pour certains coureurs cyclistes qui composent le peloton du Tour de France, c'est tout l'inverse: à l'issue de la longue période sans compétition à cause du Covid-19, des champions de la bicyclette sont revenus plus fort qu'avant.

Depuis le début du Tour de France 2020, décalé de juillet à septembre en raison de la pandémie, les meilleurs grimpeurs de l'épreuve ont battu plusieurs records d'ascension dans des cols. Des performances qui étonnent puisque certaines de ces références chronométriques avaient été établies lors des années de dopage lourd à l'EPO par des athlètes pris la main dans le pot de miel survitaminé à un moment de leur carrière.

Au sommet du col de Peyresourde dans les Pyrénées, le Slovène Tadej Pogacar a ainsi explosé le record de la montée (24 minutes 35 secondes contre 25 minutes 22 secondes) qui appartenait au très sulfureux Kazakh Alexandre Vinokourov, exclu du Tour de France 2007 après un contrôle positif à la transfusion sanguine.

Autre record inquiétant, dans la très raide montée de Marie-Blanque, toujours dans les Pyrénées, Roglic, Pogacar, Bernal et Landa, quatre des meilleurs grimpeurs de ce Tour de France de rentrée scolaire, ont grimpé 23 secondes plus vite qu'un petit groupe emmené en 2005 par Lance Armstrong, le septuple vainqueur de l'épreuve dont le nom a été effacé du palmarès pour dopage avéré.

Des watts en pagaille

Selon les auteurs de ChronosWatts, un site web de référence dédié à l'analyse des performances athlétiques des coureurs cyclistes, même un coureur français comme Guillaume Martin, qui était classé troisième du classement général après la première semaine de course avant d'être lâché par les favoris au maillot jaune dans les étapes de montagne du Massif central puis du Jura, a significativement augmenté son degré de performance athlétique sur cette Grande Boucle où les radars s'affolent.

«Guillaume Martin est bien en progression de 5% cette année pour un effort de 30 minutes, passé de 6,2 watts par kilogramme à 6,5 w/kg», analysaient-ils après une semaine de course. Sur un vélo, la puissance en watts par kilogramme est le produit de la force exercée sur les pédales par la vitesse de rotation des manivelles, et par l'effet de la gravité: plus un coureur est léger, moins il doit produire de watts pour rouler à une certaine vitesse sur une forte pente.

Comment expliquer cette progression collective du peloton après des mois sans entraînement à cause de l'épidémie de Covid-19, qui avait poussé les autorités publiques et les instances sportives à annuler toutes les épreuves du début de saison?

De longs séjours en altitude lors de la période sans compétition

Plusieurs paramètres sont avancés pour expliquer la vitesse actuelle des coureurs, qui étaient déjà arrivés gonflés à bloc en août sur le Dauphiné, une course par étapes préparatoire au Tour de France se tenant dans les Alpes.

Tout d'abord, en l'absence de compétitions, les coureurs ont pu améliorer leur processus d'entraînement pour programmer leur pic de forme sur une seule course: le Tour de France. De nombreux cyclistes du peloton ont ainsi organisé des périodes d'entraînement plus longues à l'accoutumée en altitude ou en hypoxie (un environnement pauvre en oxygène).

Dans les colonnes du journal L'Équipe daté du 7 septembre, Samuel Bellenoue racontait comment il avait poussé plus loin qu'à l'habitude l'entraînement de son coureur Guillaume Martin pendant les quatre mois sans compétition. «On a profité de la longue période Covid sans courses pour effectuer un stage en hypoxie. Guillaume a fait une double exposition: deux semaines à Prémanon, dans le Jura (où il dormait dans une chambre hypoxique où l'air est raréfié comme en altitude), puis trois semaines dans les Alpes.»

Un tel entraînement est loin d'être nouveau pour les cyclistes professionnels qui effectuent régulièrement des stages en altitude pour augmenter leurs capacités physiques du Tour de France. Mais, la longue période sans compétition a permis de pousser encore davantage cette méthode de préparation.

Guillaume Martin lors de la 18e étape du Tour de France, entre Méribel et La Roche-sur-Foron, le 17 septembre 2020. | Marco Bertorello / AFP

Selon Grégoire Millet, chercheur spécialiste de l'entraînement en hypoxie à l'Université de Lausanne, un entraînement bien calibré en haute altitude peut amener un gain de performance supplémentaire à des athlètes déjà ultra-entraînés.

«Le transport en oxygène dans le sang dépend de la masse d'hémoglobine qui dépend elle-même de votre durée d'exposition en altitude. On estime que toutes les 100 heures passées en hypoxie, la masse d'hémoglobine augmente de 1 à 1,1%. La capacité aérobie [soit la capacité des poumons et du cœur à acheminer l'oxygène aux muscles pendant un effort physique, ndlr] d'un coureur peut ainsi augmenter de 1 à 3% après un long séjour en hypoxie. Ce qui est notable pour des coureurs du Tour de France», expose Grégoire Millet, lui-même ancien champion de France de triathlon.

Un effondrement des contrôles antidopage

Si un entraînement optimisé grâce à une longue période sans compétition liée à la pandémie de Covid-19 a pu booster les mollets de certains coureurs, l'ombre du dopage plane tout de même sur la Grande Boucle. À cause de la crise sanitaire, le volume de tests antidopage s'est effondré au printemps. Selon un rapport de la Cycling Anti-Doping foundation (CADF), le nombre de tests réalisés dans le peloton avait baissé de 90% lors des deux premiers mois de l'épidémie du nouveau coronavirus.

«La période de confinement a été une aubaine pour ceux qui veulent tricher. Il n'y a plus eu de contrôles pendant des semaines. Donc ceux qui le voulaient pouvaient très bien se faire une cure d'anabolisants avec des produits qui sont efficaces six mois et ne sont plus détectables après une certaine période. À la question “y a-t-il des tricheurs sur ce Tour de France?”, je dis oui. À la question “sont-ils devant?”, je dis oui aussi», affirme Antoine Vayer, ancien entraîneur de l'équipe Festina et auteur (avec son compère le scientifique Frédéric Portoleau) des analyses des performances des coureurs sur la plateforme ChronosWatts.

Antoine Vayer juge cependant que la nouveauté par rapport aux années noires du dopage est que «certains coureurs refusent catégoriquement le dopage». Il défend par exemple la progression du coureur français Guillaume Martin. «J'avais appelé son entraîneur Samuel Bellenoue car je me posais des questions quand je l'ai vu monter Peyresourde à ce rythme avec les leaders. Il m'a expliqué que Guillaume s'était préparé de manière plus rationnelle et en altitude avec la longue période sans compétition. Et puis, on a ensuite vu qu'il y avait le “presque”. Un super coureur propre peut réussir à suivre “presque” les autres s'ils sont dopés. Tout tient dans ce “presque”, comme dans l'ascension du Grand Colombier dimanche où Guillaume Martin a “presque” suivi», poursuit Antoine Vayer. Le grimpeur français s'est en effet longtemps accroché en queue du groupe des favoris avant de se faire décrocher à quelques kilomètres du sommet.

Si certains observateurs remettent en cause la fiabilité des calculs de vitesse ou de puissance en watts dans les ascensions, d'autres estiment que ce sont des outils très révélateurs du niveau du peloton. Sur son compte Twitter, le Français Warren Barguil, présent sur le Tour au sein de l'équipe Arkea-Samsic, a par exemple affirmé qu'il jugeait fiables les calculs de @ammattipyoraily, un Finlandais très suivi par les fans de vélo sur ce réseau social pour ses calculs très détaillés des performances des coureurs. «Les calculs de @ammattipyoraily sont souvent très bons en comparaison à mon capteur, c'est très intéressant je trouve», a tweeté le maillot à pois du Tour de France 2017.

 

 

Lâché par ses concurrents pour le maillot jaune, le Colombien Egan Bernal, vainqueur du Tour de France 2019, a simplement déclaré à l'issue de l'étape qui arrivait en haut du Puy Mary, dans le Cantal: «Je regardais les données de mon capteur dans la dernière montée et c'étaient parmi les meilleures de ma carrière. Après, si les autres sont plus forts, je ne peux rien y faire.»

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