Monde

Le chemin de croix de Benoît XVI

Accusé d'avoir étouffé des affaires, Benoît XVI est paradoxalement le pape qui aura le plus fait pour combattre ce mal.

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Si Pâques est pour tous les chrétiens la fête de la Résurrection du Christ, cette Pâques 2010, célébrée dimanche 4 avril, est vécue dans la douleur au sein d'une Eglise catholique traversée par une tempête d'une rare ampleur. De la base au sommet, elle semble aujourd'hui gangrenée par les révélations en cascade d'actes de pédophilie commis par une partie de son clergé.

La capacité de résistance qui est prêtée à Benoît XVI, 83 ans, est mise à rude épreuve. Le pape est personnellement suspecté en tant qu'ancien archevêque du diocèse de Münich, où de graves scandales ont éclaté, et en tant qu'ex-préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, où il aurait fait preuve, pour le moins, d'une étrange passivité. Mais le paradoxe est que Benoît XVI - dont on célèbrera le 19 avril le cinquième anniversaire de l'élection - laissera à l'histoire le souvenir d'un homme d'Eglise qui aura failli par son silence dans certaines affaires et, en même temps, le pape qui aura le plus fait pour combattre ce mal.

En tant qu'archevêque de Münich (1977-1982), le cardinal Joseph Ratzinger aurait couvert les défaillances sexuelles de certains de ses prêtres et religieux. Au monastère bénédictin d'Ettal, une centaine d'anciens élèves ont été victimes des agissements d'une dizaine de religieux dans les années 1960-1980. Dans ce même diocèse, Joseph Ratzinger a accepté en 1980 qu'un prêtre ayant violé un garçon de 11 ans vienne faire une cure de thérapie. Mais il aurait ignoré que son vicaire général de l'époque - qui aujourd'hui assume seul la responsabilité de la faute - avait redonné à ce prêtre la responsabilité d'une paroisse, où il a récidivé jusqu'à son arrestation en 1986. Le New York Times est revenu sur cette affaire dans son édition du 26 mars pour démontrer que le cardinal Ratzinger avait été tenu précisément informé des actes commis par ce prêtre pédophile. Le futur pape a été aussi mis en cause par le biais de son frère Georg, qui dirigea la célèbre chorale de la cathédrale de Ratisbonne où des exactions ont été également commises.

C'est comme préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi (1982-2005) que sont aussi réclamés des comptes à Joseph Ratzinger. Le New York Times, toujours lui, a déploré le 24 mars qu'il n'avait donné aucune suite à des informations venues du diocèse de Milwaukee aux Etats-Unis mettant en cause un prêtre, coupable dans les années 1970 d'abus sexuels dans un institut pour enfants sourds, victimes particulièrement vulnérables. Le porte-parole du pape a répliqué que la congrégation pour la doctrine avait été informée à Rome de cette affaire vingt ans après les faits, à une époque où le prêtre coupable était devenu très âgé, en mauvaise santé et avait accepté de vivre dans la solitude. Aucune nouvelle plainte contre lui n'avait été enregistrée. Le cardinal Ratzinger avait pris acte de cette nouvelle situation et seulement exigé que le prêtre reconnaisse l'entière responsabilité de ses actes passés.

La volonté du pape de faire la lumière

Ainsi, l'étau se resserre t-il sur Benoît XVI. Beaucoup de catholiques sont aujourd'hui sonnés, désemparés par ce qu'ils décrivent comme un acharnement médiatique (voir la pétition d'intellectuels publiée dans Le Figaro daté du 2 avril). Plusieurs épiscopats, dont celui de la France, ont volé à son secours. Tous admettent l'étendue du mal, de la peine ressentie et réclament la vérité. Aucun ne conteste que la hiérarchie de l'Eglise a fait preuve de graves manquements et de dysfonctionnements. Mais tous saluent aussi la volonté du pape de faire la lumière sur ces scandales, soulignent le courage qu'il démontre en assumant le poids des crimes de ces prêtres et des défaillances de leurs supérieurs, louent la compassion dont il témoigne envers les victimes enfantines. Il a sans doute été la figure d'Eglise la plus impliquée dans les efforts pour faire face aux abus sexuels, au niveau de la prévention, de la réparation et de la détermination pour que la justice soit rendue aux victimes.

Ses anciennes responsabilités l'ont doté d'une bonne connaissance du dossier. Dès la veille de son élection comme pape en 2005, le cardinal Ratzinger avait exprimé son dégoût devant les révélations de sévices sexuels perpétrés par des prêtres: «Que de souillures dans l'Eglise, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement». Cette franchise lui avait valu des voix au conclave. Devenu Benoît XVI, multipliant les directives et les appels aux épiscopats locaux, il n'a montré aucune complaisance.

Aux Etats-Unis en avril 2008, à la surprise générale, il est allé à la rencontre de plusieurs victimes de prêtres. Un peu plus tard à Sidney en Australie, il a renouvelé sa condamnation des pédophiles et célébré une messe privée avec des victimes. En février 2010, il a rappelé à l'ordre les évêques irlandais convoqués au Vatican et, le 27 mars, rendu publique une lettre émouvante à tous les catholiques d'Irlande exprimant sa «honte» et son «remords». C'est lui aussi qui a mis au secret, en 2006, le Père Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, canonisé de son vivant, soutenu contre vents et marées par Jean Paul II, décédé en janvier 2008, contre qui pèsent aujourd'hui les plus lourdes allégations: double vie, abus sur des séminaristes, concubinage avec plusieurs femmes dont il a eu plusieurs enfants. Une enquête disciplinaire dans les rangs de cette puissante organisation militante a été ordonnée par Benoît XVI et devrait prochainement aboutir à des sanctions.

Culture du soupçon

Cette partie-là du bilan de Benoît XVI apparaît rarement dans les commentaires. Comme si ce pape devait porter à lui seul le poids de la culture du soupçon qui s'est répandue, insinuée même à tous les niveaux d'une institution qui a trop longtemps préféré étouffer, couvrir, plutôt qu'agir. D'une institution dont on ignore ou on ne comprend plus les règles de fonctionnement, comme en témoigne la relance du débat sur le lien entre le célibat des prêtres et la pédophilie. Faut-il rappeler que dans un pays comme la France où la pédophilie représente plus de 60% des procès en assises, les accusés ne sont des célibataires que pour une infime minorité? Que des prêtres aient détruit les promesses de vie de beaucoup d'enfants est un crime odieux. Mais on doit aussi rappeler que plus de 90% des victimes de la pédophilie le sont à cause d'un proche, d'un père ou d'un voisin, et non d'un prêtre. Présenter le mariage des prêtres comme une solution pour combattre la pédophilie est une ineptie. On peut être contre l'obligation du célibat sacerdotal, mais cet argument n'est pas le bon.

Plus généralement, cette culture du soupçon semble témoigner d'une sorte de ressentiment vis-à-vis d'une Eglise qui a choisi de s'inscrire à contre-courant des évolutions du monde moderne. Le décalage se creuse entre, d'un côté, l'effort de ce pape pour maintenir un discours de prescription universel, dénoncer le «relativisme» et le «nihilisme» qui, à l'entendre chaque jour, dominent l'air du temps et, de l'autre, une opinion que les rappels à l'ordre et les discours d'autorité n'impressionnent plus. D'une opinion qui assiste, avec presque autant de jouissance que de dépit, au moins pour partie, à l'éclatement de cette crise au sommet d'une Eglise jugée ringarde et décalée. Crise que l'Eglise ne doit, pour une fois, qu'à ses propres échecs et défaillances. Crise de crédibilité dont elle ne sortira que par un effort supplémentaire de clarté, une révision de ses procédures, une collaboration plus étroite avec la justice civile, une réflexion sur sa place dans la société.

La grande injustice serait d'étendre le procès de pédophilie à l'ensemble de cette Eglise, de voir derrière chaque prêtre un pédophile potentiel. On en oublierait la participation de beaucoup d'entre eux aux efforts en matière d'éducation et de lutte contre la pauvreté, pour la défense des droits de l'homme dans les pays où ils ne sont pas respectés, pour l'amélioration des conditions de vie et de santé. Mais on a raison d'exiger de cette Eglise qu'elle fasse preuve de plus de modestie et de pertinence dans son discours éthique. Elle doit se donner pour mission de répondre à la demande de «valeurs», de sens et de repères moraux autrement que par la répétition d'interdits et de normes qui ne sont plus entendues.

Henri Tincq

LIRE EGALEMENT SUR LA PEDOPHILIE ET L'EGLISE: Pédophilie, le réquisitoire du pape, Quand Benoît XVI protégeait les pédophiles, Eglise: pourquoi la France est épargnée par les scandales pédophiles et Pédophilie: la tolérance zéro selon Benoît XVI.

Photo: Benoît XVI au Vatican le 4 avril 2010, Reuters/Max Rossi

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